[Suisse] L’évaluation truquée du Gripen et la contre-offre surprise de Dassault

Il y quelques semaines le gouvernement suisse choisissait le Saab Gripen pour remplacer ces vieux F-5 Tiger II. Coup sur coup, cette décision vient de se replacer dans l’actualité avec 2 rebondissements importants. D’abord, ce sont des accusations d’irrégularités au sujet de ce contrat qui ont été jugées assez graves et crédibles pour que le Conseil national suisse décide de créer une commission pour enquêter. Ensuite, le constructeur Dassault a proposé aux parlementaires suisses une offre comprenant 18 Rafale pour 2,7 milliards de francs, qui étant plus modernes, réaliseraient mieux les missions de 22 Gripen.

Des tricheries dans l’évaluation du Gripen

A l’époque, j’ai traité de « médiocre » l’appareil choisi et j’avais connu les foudres de certains lecteurs. Et bien aujourd’hui, je pense que sans vouloir me vanter : « j’avais vu juste !« . En effet, selon les accusations présentées dans un courrier détaillé de 5 pages et signé par un mystérieux « Groupement pour une armée crédible et intègre », le Gripen aurait été jugé « insatisfaisant en vol lors des évaluations de 2008 et 2009« .

Le directeur du projet aurait ordonné de supprimer les facteurs de pondération liés aux risques technologiques non évalués. Ces pondérations devaient normalement tenir compte des améliorations que la firme suédoise avait proposé avec la version E/F mais qui ne figuraient que sur le papier. Cette décision unilatérale et injuste (pour les autres concurrents) a permis de ramener le Gripen dans les minima. Ce qui sous-entend donc que, comme je l’avais dit, le médiocre Gripen (oui, j’insiste) était en fait plus mauvais que ce que demandait l’armée de l’air suisse.

Autre élément, les Forces aériennes suisses n’ont pas eu l’autorisation d’évaluer le nombre d’appareils dont elles auraient eu besoin en fonction de leurs performances. Ainsi, là où, par exemple, il faudrait 24 Gripen, seulement 15 Rafale suffiraient. Ainsi en décidant d’acheter les Gripen pour 3,1 milliards de francs, il aurait fallu comparer cette achat à un équivalent opérationnel. Or ce choix avait été présenté comme « le meilleur rapport qualité-prix et qui correspond le mieux à nos besoins« . Ceci est désormais érroné.

En plus de cela, selon cette lettre, le chef du Département fédéral de la défense, Ueli Maurer, aurait reçu directement une offre faite par Saab pour ensuite faire part de sa préférence pour l’avion suédois. Ceci étant totalement interdit dans le cadre d’un appel d’offre très réglementée.

Un élu du Conseil national estime que « tout cela ne sent pas très bon […]  Je n’aimerais pas que cela tourne en nouvelle affaire des Mirage ». Pour rappel, le Gripen est déjà empêtré dans des affaires litigieuses en République Tchèque ou encore en Afrique du Sud.

La contre attaque inattendue de Dassault

La méthode est certes cavalière, mais l’enjeu est important. Dans une lettre adressée le 19 janvier aux présidents des Commissions de la politique de sécurité, Dassault propose de fournir 18 Rafale pour 2,7 milliards de francs. Selon le constructeur français, cette solution serait à la fois plus efficace, plus moderne et également moins chère que les 22 Gripen. Ainsi la proposition française est de 400 millions de francs moins chère que les Gripen.

Selon la presse suisse, l’offre française comporterait une version du Rafale « optimisée » aux besoins de la Suisse. Ainsi, la capacité air-sol serait légèrement réduite, en renonçant par exemple aux pylônes d’attache pour les grosses bombes. L’avionique serait reste en revanche la même et la capacité opérationnelle pour assurer une permanence aérienne serait rigoureusement identique.

Un haut gradé suisse sous couvert de l’anonymat confirme que 18 Rafales rempliraient largement la tâche des 22 Gripen, car la capacité à maintenir sur la durée différents types de mission. Ainsi le rapport est de 3 Rafales (ou 3 Eurofighter) pour 5 Gripen. Cette différence s’explique notamment par la plus faible autonomie de l’avion suédois.

Pour convaincre les parlementaires suisses, Dassault (et aussi le Ministère de la Défense) met le paquet sur la coopération militaire qui avait été mis en tête lors de l’évaluation selon Armasuisse. La France a ainsi offert un accès 24 heures sur 24, été comme hiver, à toutes ses bases aériennes. L’utilisation des zones de tir et des zones d’entraînement supersonique au-dessus de la mer Méditerranée est également prévue. Tout comme un accès aux satellites militaires pour la reconnaissance Hélios 1 et 2 et la possibilité d’obtenir les données radars des AWACS.

Voici donc une offre, très alléchante pour la Suisse, qui tombe comme par hasard après une campagne de dénigrement du choix du Gripen E/F. De là à casser le choix du Conseil Fédéral, il faudra attendre le résultat de l’enquête de la commission sur les soupçons de tricheries sur l’évaluation.
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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Gaëtan
Gaëtan
Passionné d'aéronautique et formateur en Web et PAO, il est le fondateur, en 1999, de l'encyclopédie de l'aviation militaire www.avionslegendaires.net. Administrateur et rédacteur en chef du blog, il vous fait partager ses avis et coups de coeur (ou de gueule) sur l'actualité aéronautique.
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Commentaires

9 réponses

  1. La dénonciation de tricherie du mystérieux « Groupement pour une armée crédible et intègre » est très certainement une opération de désinformation du groupe Dassault et du gouvernement français. Quand on sait que la lettre en question est écrite en langue française et que les « testeurs » de l’armée suisse sont tous de langue Allemande, cela fait fortement penser à une opération de barbouses hexagonaux peu au fait des arcanes du pouvoir hèlvétique. Cette démarche a d’ailleurs déjà été utilisée lors de l’achat par la Suisse des FA18. Après analyse, il s’était avéré que les dénonciations de tricherie étaient sans fondement.

  2. Pour que la Commission de politique de sécurité du Conseil national décide de la création d’une commission chargée d’examiner les conditions du choix du Gripen de Saab, c’est qu’il y a tout de même un problème. Ce n’est pas juste une simple lettre de Corbeau…
    Par contre je doute qu’elle émane des aviateurs, effectivement tous germanophones, mais de gradés du sérail par contre, c’est possible

  3. Mmmm cette bonne odeur, magouille et compagnie, il y a sûrement des valises en jeux (diplomatique bien sûr 😆 😆 )…..
    Dans ces marchés, aux conséquences incalculables, ce doit être monnaie courante.
    Espérons une issue favorable pour notre industrie nationale 🙂

  4. Les Américains encore, ils corrompent et menacent les parlementaires pour vendre leurs avions quand ces derniers sont mauvais ; là, Les Suédois mentent carrément sur les perfs ! Bravo à eux ! 😆

  5. @gaga: Certains politiques ont intérêts à prendre au sérieux la lettre du Corbeau, pourquoi?

    1° Certains politiques ont été engagés comme « conseiller / consultant » par les différents groupes proposant une avion aux Suisses (c’est légal car le politique suisse n’est pas un professionnel, mais un politique de milice qui est sensé avoir une activité professionnelle à côté). Ces « conseillés » ont tout avantage à ce que cela soit leur « poulain » qui gagne la course

    2° Certains parties politiques suisses comme les socialistes ou les verts (qui sont contre l’armée) ne veulent pas de l’achat d’un avion de combat.

  6. On connaît les méthodes, c’est le Groupement pour une armée crédible et intègre qui nous propose une armée douce, avec de doux avions.

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