Les réalités de la force aérienne irakienne aujourd’hui

Au moment où Américains, Britanniques, et Français se préparent à livrer des armes et du matériel de soutien militaire aux résistants kurdes en lutte contre les djihadistes de l’État Islamique en Irak et au Levant, arrêtons nous un instant sur l’état réel des forces aériennes irakiennes qui devraient combattre aux côtés justement de ceux armés par les occidentaux. Mais force est de constater que depuis quelques semaines les aviateurs irakiens brillent par leur absence.

Déjà disons-le clairement l’aviation militaire irakienne n’est plus en 2014 ce qu’elle fut du temps de l’Irak baasiste quand Britanniques, Français, et Soviétiques avaient fait de Saddam Hussein leur show-room vivant. Alors certes l’URSS est tombée, la dictature aussi, mais cela n’explique pas tout. Car comme dans les années 70 et 80 l’Irak demeure un pays extrêmement riche, enfin surtout son sous-sol.

Il faut dire que le conflit de 1990/1991 suite à l’invasion du Koweït par l’Irak a profondément marqué la communauté internationale. Voir les hélicoptères de combat et les avions de chasse vendus à Saddam Hussein parader au-dessus des têtes des habitants de ce petit état indépendant allié des occidentaux a été un véritable électrochoc. Pis encore l’opération internationale menée en priorité par le même triumvirat, et soutenu par l’ONU, n’a pas calmé les ardeurs d’un dictateur qu’on disait alors prêt à aller planter son drapeau jusqu’en Arabie Saoudite ou en Jordanie. Il faudra en fait attendre 2003 pour les USA aient enfin l’occasion de pouvoir terminer ce que l’opinion publique américaine considérait comme un acte manqué : la chute de la dictature baasiste. Et force est de constater que l’administration Bush Jr n’y est pas allé avec le dos de la cuillère. Tel père tel fils ?

Alors l’aviation militaire irakienne,  très dépendante désormais de Washington-DC, est un reliquat de cette décennie durant laquelle Saddam Hussein était l’ennemi juré d’une Amérique qui avait perdu tous ses repères. Du coup elle est actuellement faite de briques et de brocs, sans réel dessein à long terme, et plutôt orientée uniquement vers les opérations strictement défensives. L’aviation militaire baasiste, sous influence française et soviétique, avait des moyens de services publics, et sous l’influence britannique une forte flotte de transport longue distance. Désormais ces deux facteurs semblent avoir disparus. Reste à savoir si cela est définitif ou temporaire ?

Huey et Hip parés pour le décollage. Une photo qu'on pourrait croire vieille de plus de vingt cinq ans. Mais non ces hélicos volent actuellement ensemble en Irak.
Huey et Hip parés pour le décollage. Une photo qu’on pourrait croire vieille de plus de vingt cinq ans. Mais non ces hélicos volent actuellement ensemble en Irak.

Petit tour d’horizon donc de cette aviation irakienne nouvelle génération.

  • En premier lieu, et parce que c’est là le symbole fort d’une aviation militaire, la chasse. Ou plutôt la chasse-bombardement. Hormis la grosse dizaine de Sukhoi Su-25 livrés à la va-vite par la Russie au moment de l’offensive djihadiste de ce début d’été 2014, l’Irak n’a plus d’élément de chasse. Elle a bien commandé des F-16C & D Block-52 auprès de Lockheed-Martin mais les premiers de ceux-ci ne seront pas opérationnels avant au plus tôt octobre ou novembre 2014. D’ici là une bonne partie du pays aura eu largement le temps de tomber aux mains de l’EIIL. Et pour le reste me direz vous ? Bah rien. Hormis des avions légers d’entraînement qui peuvent êtres armés et quelques hélicoptères d’appui tactiques.
  • Les avions d’entraînement justement. On le sait la formation aérienne des futurs pilotes et le maintien en condition des aviateurs est une grosse part des budgets de fonctionnement des forces aériennes. Force est de constater que là par contre l’Irak n’a pas perdu ses acquis. Bien entendu elle n’aligne plus des centaines de jets d’entraînement mais sa flotte est suffisamment conséquente et bien entretenu pour permettre d’instruire correctement les élèves. Une vingtaine de Cessna 172 acquis sur le marché civil permettent la sélection et l’entraînement basique des stagiaires qui passent ensuite sur un avion assez exotique, le Lasta 95. Celui ci est un monomoteur d’entraînement intermédiaire de conception serbe. Réputé plutôt fiable et bon marché là encore c’est une vingtaine d’avions qui servent dans les rangs irakiens. Vient ensuite l’entraînement avancé qui se déroule, comme dans l’US Air Force désormais, sur Beechcraft T-6A Texan II. Pas encore de jets d’entraînement moderne et d’avions d’entraînement au tir, ceux ci sont toujours en commande auprès de la Tchéquie, des États-Unis et de la Corée du Sud.
    En fait seuls les Lasta 95 et leur 200 kg de charge offensive pourraient apporter un appui aérien rapproché au troupes engagés contre les djihadistes.
  • Pour combattre il faut connaître l’ennemi, et pour le connaître il faut du renseignement de la reconnaissance aéroporté. Outre les douze drones ultralégers RQ-11 Raven livrés par les Américains en 2010 l’Irak dispose d’une petite flotte d’avions de reconnaissance non négligeable. Notamment une dizaine de Cessna 208 Caravan monoturbopropulseurs dont quelques-uns ont la capacité de tirer des missiles légers AGM-114 Hellfire. Les autres disposent d’une panoplie de capteurs dont des FLIR et des radars à ouverture synthétique. Une dizaine de Beechcraft Super King Air 350ISR viennent les renforcer avec des systèmes derniers cris. Ceux ci ont clairement pour rôle de traquer les djihadistes, et notamment leurs communications via les téléphones portables.
  • Alors certes comme du temps de Saddam Hussein l’aviation irakienne repose une partie de ses moyens aériens de combat sur les voilures tournantes, et force est de constater que là aussi elle a perdu de sa superbe. Fini les centaines d’hélicoptères made-in France ou made-in URSS alignés comme à la parade. Désormais l’Irak se serre la ceinture. Niveau appareils de combat elle peut compter sur la demi-douzaine de Mi-35 livrés par la Russie en même temps que les Su-25 et qui viennent renforcer la vingtaine d’Eurocopter EC635 armés de pods-canons et de paniers à roquettes. Elle a aussi commencé à réceptionner ses Bell 407 AS équipés eux aussi pour l’appui aérien rapproché. Pour le reste, c’est à dire les liaisons, l’assaut , et l’évacuation sanitaire ses appareils sont globalement désarmés, à l’exception parfois de mitrailleuses tirant en sabord et destiné à l’autodéfense : Mil Mi-17, Gazelle, UH-1H, Bell 206B et OH-58C, et Bell 412EP et HP. Au total une petite centaine de machines tout de même. Il ne faut pas oublier que malgré les demandes faites à Moscou, les Hip irakiens, pourtant récents, ne disposent d’aucun systèmes d’autoprotection, en faisant donc des cibles de choix pour les combattants de l’EIIL.
  • Niveau avion de transport ce n’est encore pas là franchement réjouissant. Une grosse vingtaine d’avions, dont une majorité de King Air de transport léger et de liaisons rapides. En fait seule la dizaine de Hercules (des C-130E de seconde main et des C-130J-30 neufs) acquis auprès des USA et la demi-douzaine d’An 32 achetés aux Ukrainiens semblent avoir de véritables capacités tactiques.
Un des fameux Beechcraft 350 ISR de reconnaissance.
Un des fameux Beechcraft 350 ISR de reconnaissance.

Voilà en gros les réelles capacités actuelles de l’Irak. Il est à noter que les djihadistes disposent de plusieurs types de missiles sol-air portatifs légers (types SA-7 ou Stinger) et qu’ils s’en servent assez souvent contre cette aviation militaire.
Alors certes l’Irak actuelle négocie avec les Américains et les Européens pour des matériels récents, mais ces pourparlers sont longs, notamment en raison du manque de stabilité politique du pays. Ainsi les militaires irakiens n’ont jamais caché s’intéresser de près au Black Hawk, à l’EC 645, et au Bell 429. Certains experts internationaux annoncent même que l’aviation irakienne aimerait racheter les Mirage F1-CT retirés du service par l’Armée de l’Air et stockés sous cocon au sein de la Base Aérienne 279 de Châteaudun.

Symbole fort d'une Irak passée sous influence américaine, le Bell 206B Jet-Ranger.
Symbole fort d’une Irak passée sous influence américaine, le Bell 206B Jet-Ranger.

Quoi qu’il en soit cela apporte un éclairage sur le pourquoi du comment du silence des médias internationaux par rapport à la chasse irakienne dans ce conflit. Elle n’existe quasiment pas, hormis sur le papier. De ce fait on comprend encore mieux l’empressement des dirigeants de Bagdad à voir l’US Navy venir bombarder les positions ennemies.
En espérant que ce petit topo vous aidera à mieux cerner cette aviation irakienne actuelle.

Photos © US Department of Defense.

 

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

6 réponses

  1. Merci Arnaud pour ce topo très intéressant. Un appareil pourrait aider les forces irakiennes: le Lockheed AC-130 Spectre. Est-ce la possession de missiles de type sol-air portatifs légers par les djihadistes qui empêche ce  »gunsphip » d’intervenir?

    1. Pour l’instant l’engagement américain concerne des frappes aériennes ciblées et non de l’appui aérien rapproché, c’est ce qui explique que les canonnières volantes ne soient pas entrés en jeu. Par contre on parle de plus en plus du Fairchild A-10 qui pourrait venir en complément des avions de l’US Navy, à partir de bases de l’OTAN situés en Turquie.

  2. Un livre passionnant à lire pour en savoir davantage sur la participation des Fairchild A-10 à la première Guerre du Golfe:
    William L. Smallwood, Pilotes dans l’enfer irakien, traduction française de Warthog – Flying the A-10 in the Gulf War, Editions ATIPRESSE, c2007, ISBN: 978-2-911218-56-9

    1. En fait non, une partie a été « exfiltré » vers l’Iran qui les utilise toujours de nos jours pour de la défense aérienne.

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