Les tueurs de chars en action au-dessus de Bastogne

Souvent considérée comme une des principales batailles européennes de la Seconde Guerre mondiale, le siège de Bastogne a été marqué par une importante mobilisation des forces blindées allemandes, autant qu’américaines. Pourtant, il ne faut pas sous-estimer l’activité aérienne. Bien entendue celle-ci était principalement menée par les avions de la Royal Air Force et de l’US Army Air Force, les appareils de combat allemands ayant déserté les cieux belges depuis belle lurette. Et c’est ainsi que les avions d’appui rapproché et de lutte antichars alliés se taillèrent la part du lion dans l’action aérienne. C’était il y a soixante-dix ans.

Au sol le siège de Bastogne commença dès le 20 décembre 1944. Il s’agissait pour les alliés bien entendu de libérer cette importante ville des Ardennes belges, près de la frontière avec le Luxembourg, mais surtout de couper la retraite aux forces allemandes. Pour ces derniers Bastogne devait leur permettre de maintenir un ravitaillement terrestre à leurs colonnes de blindés, les fameuses divisions panzers, et à leurs unités d’infanteries qui se replient vers l’Allemagne.

La Wermacht entretenait alors dans la région de Bastogne près de cinquante milles soldats. Mais elle pouvait également compter sur quelques centaines présents à la frontière allemande, et qui pouvaient venir la renforcer le cas échéant. Côté Alliés un peu plus de vingt-deux milles fantassins dont la moitié sont des parachutistes de la fameuse 101st Airborne Division américaine. Celle-là même qui sauta sur la Normandie dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, amorçant ainsi la libération de la France.

Dans le ciel la maîtrise revient depuis longtemps aux avions alliés, et notamment aux omniprésents Supermarine Spitfire de la RAF. Les chasseurs et bombardiers de la Luftwaffe ne se hasardaient plus à tenter de les intercepter, ils se cantonnaient juste à prendre les airs pour rejoindre un hypothétique et temporaire refuge allemand. Même les Douglas Dakota anglais et américains de transport évoluaient quasiment sans escorte.

Et ceux-ci vont se révéler une fois encore très utile dans le plan des généraux américains, et notamment Anthony McAuliffe, le « patron » des paras américains dans la région et véritable stratège de cette bataille. Il sait qu’il peut compter sur les bimoteurs de transport pour larguer ses hommes. Ce qu’il ignore c’est comment ceux-ci se comporteront dans des Ardennes aussi hostiles.

En effet si les parachutistes américains étaient désormais des combattants aguerris, l’expérience du bocage normand aura été décisif dans leur parcourt, ce n’étaient absolument pas des chasseurs-alpins. Hors c’était de tels soldats dont McAuliffe aurait bien eu besoin à ce moment là. Il faut dire que toute la région subissait de plein fouet ce rude hiver 1944/1945. Une épaisse couche de neige, atteignant par endroit près d’un mètre, recouvrait les alentours de Bastogne.

La conséquence première résidait dans le fait que les avions de combat ne pouvaient pas se stationner à proximité. Les plus proches étaient basés dans le nord et le nord-est de la France. Certains avions britanniques décollaient ainsi de la région de Reims.
La mission première de ces appareils était l’appui aérien rapproché des troupes américaines.

Dès le 22 décembre il devint évident que les colonnes de panzers représentaient une menace permanente pour les forces alliées. À Londres l’état-major de la RAF pensa alors engager ses chasseurs-bombardiers Hawker Typhoon Mk-IB avec une nouvelle arme qui avait fait ses preuves en Normandie, la roquette air sol à haute vélocité.

Un Typhoon Mk-IB est tracté avant son armement. Remarquez ses bandes d'invasion sous les ailes.
Un Typhoon Mk-IB est tracté avant son armement. Remarquez ses bandes d’invasion sous les ailes.

Huit de celles-ci pouvaient en effet être montées sous les ailes de chaque avion lui conférant une puissance de feu hors du commun. Dans le bocage beaucoup de pilotes avaient souligné le fait qu’une seule salve de deux ou trois de ces armes permettait une destruction totale de n’importe quel char d’assaut allemand, même les plus robustes.

En fait cette arme était appelée HVAR (pour High Velocity Aircraft Rocket) était devenu depuis le début de cette année la principale roquette alliée. Longue d’un mètre soixante-treize, d’un calibre de cent vingt-sept millimètres, et d’un poids unitaire de soixante-et-un kilos, elle possédait une charge de combat de vingt-et-un kilos, dont trois et demi de TNT. Suffisamment pour détruire n’importe quel blindé.
D’autant que sa vitesse était de Mach 1.4, autant dire que quand les tankistes ennemis la voyait, il était déjà trop tard pour eux.

Rapidement après leur engagement les chasseurs-bombardiers britanniques démontrèrent leur puissance de feu mais aussi la précision de leurs tirs. Non seulement leurs roquettes HVAR en faisaient de redoutables tueurs de chars mais en outre leurs quatre canons de calibre 20 mm étaient parfaitement aptes à la destruction des véhicules légers, tels les camionnettes et les voitures de la Wermacht.

Dès le 23 décembre l’US Army Air Force entra également dans la danse, utilisant ses roquettes HVAR sous les ailes de ses lourds chasseurs-bombardiers monomoteurs Republic P-47. Les pilotes américains se firent alors une spécialité de détruire les chars allemands lors de manœuvre à plusieurs avions.
Cette méthode tranchait avec celles de leurs homologues britanniques qui généralement attaquaient seuls, les autres avions restant en couverture à moyenne altitude.

En fait il faut remarquer que la majorité des avions américains et britanniques perdus lors de ces « tirs au pigeons » contre les panzers, le furent surtout du fait d’erreurs de pilotage. Ce qui ne pardonnait pas, vu qu’ils volaient généralement à moins de cinq mètres de la cime des arbres.

À partir du matin de Noël 1944 l’essentiel des unités de panzers n’avançait plus qu’à deux ou trois chars à la fois. Dans l’esprit des Allemands cela permettait de protéger ces engins des avions alliés. Ce que l’état-major du général Hasso von Manteuffel (le commandant en chef de la 5ème division de panzers) ignorait, c’est que la Royal Air Force avait fait remonter un squadron supplémentaire de chasseurs, évoluant sur Spitfire.
Cependant si celui ci était un remarquable chasseur il ne représentait pas un tueur de chars particulièrement satisfaisant. Ses pilotes rappelaient qu’il n’était pas très efficace pour le tir de roquettes à basse altitude.

Finalement l’engagement massif des avions équipés de roquettes HVAR prit fin le 27 décembre avec l’arrivée des renforts terrestres américains, placés sous les ordres du général Patton.
Au final le nombre de chars allemands détruits est assez difficile à établir. Dans les années 1970 deux ouvrages « de référence » faisaient état de mille d’entre-eux. Plus récemment des éclaircissements historique ramèneraient plutôt ce nombre à 700 ou 750, ce qui demeure assez énorme. Entre le 22 décembre et le 27 décembre ça fait une moyenne d’environ 140 à 150 panzers détruits par jours. Et encore les camionnettes, voitures, side-cars, et autres véhicules légers ne sont pas pris en compte.

Photos © San Diego Air & Space Museum.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

9 réponses

  1. Article très intéressant !

    Cependant je nuancerais un point : les Alliés n’avaient aucunement la maîtrise des cieux à cette époque, pas plus que ne l’avaient les Allemands d’ailleurs. Les conditions étaient mauvaises pour tous, et les alliés avaient seulement un maigre avantage en terme de quantité d’aéronefs ainsi qu’en approvisionnement (carburant surtout). Les Spit (XIV) mentionnés ici combattaient loin de leurs bases avancées et ne surclassaient pas les 109K et 190D-9, la maîtrise du ciel est restée ténue jusqu’aux derniers moments (les pertes contées par les pilotes dans les récits d’après-guerre le prouvent, c’était du 50/50 en 44-45).

    Et n’oublions pas le dernier gros coup de la Luftwaffe avec l’opération Bodenplatte à cette période, qui paralysa la Tactical Air Force pendant une à deux semaines, ce qui aurait pu permettre à la Wechrmacht d’enfoncer le front des Ardennes si cette dernière en avait eu les moyens (opération qui brisa par la même les reins de la Luftwaffe avec de lourdes pertes en pilotes très expérimentés donc irremplaçables, contrairement aux pertes alliées).

    1. C’est original ça de soutenir que les Alliés n’avaient pas la maîtrise du ciel au-dessus de Bastogne, vu qu’ils l’avaient sur toute l’Europe occidentale et septentrionale depuis à peu près février 1944.
      Quand à l’opération Bodenplatt elle n’est nullement énoncée ici, et quand à vos conclusions dessus je suis loin de les partager. En même temps avec des si on peut faire énormément de choses. 😉

      1. Nous débattons, aucun souci ;).

        J’ai par exemple relu très récemment Clostermann, et sa vision des choses sur la maitrise de l’air est loin d’être aussi idyllique que vous l’annoncez. Quand il écrit que son wing (Tempest V) perdait en décembre 1944 21 appareils pour 23 avions allemands abattus, c’est quasiment du 50/50. Certes les Alliés avaient plus d’appareils et pouvaient jouer sur les réserves, mais quand les pertes sont identiques des deux côtés, ce n’est pas une « maîtrise » à proprement parler, tel était le sens de mon propos.
        Il dénonce également les chiffres « officiels » de l’USAF que la RAF divisait par 2 pour les victoires revendiquées par les chasseurs, et par 3 pour les mitrailleurs des bombardiers, ce qui est nettement moins dithyrambique. La propagande et les bons de guerre en étaient le prix, surtout pour justifier les pertes en bombardiers lourds dans les raids diurnes.
        Enfin, il souligne que le standard des pilotes allemands était plus élevé en 44-45 que durant les années précédentes, les Jagd-Geschwader les plus efficaces recevant en priorité les approvisionnements.

        Quant à Bodenplatte, je la mentionne justement car elle eut lieu en pleine bataille des Ardennes, le 1er Janvier 1945, et cette opération avait pour but d’obtenir maîtrise de l’air au-dessus des Ardennes afin d’aider leurs troupes.

        Bon, par contre je me suis mal exprimé, car bien sûr même si la Wechrmacht avait su exploiter cette paralysie de la Tactical Air Force et enfoncer le front, cela n’aurait été que de courte durée, la situation in fine aurait tout de même fini par tourner en défaveur des allemands, c’est inévitable, la machine de guerre alliée était un rouleau-compresseur qu’ils n’étaient plus en mesure de repousser à cette époque. Mais une défaite ou une retraite alliée dans les Ardennes auraient sans doute eu leur importance sur les opinions publiques, américaine surtout.
        Je nuançais simplement ;).

  2. Bonjour,

    Petites remarques concernant les photos de cet article.

    La première, il s’agit d’un P-47M, non engagé au-dessus de Bastogne, parce que réservé pour le théâtre du Pacifique.

    Deuxièmement, concernant le Typhoon, il ne s’agit pas de bandes d’invasions, mais de bandes d’identifications pour le différencier du Fw-190. La disposition des bandes et les largeurs sont toutes autres pour les bandes d’invasion.

    1. C’est vrais,les bandes d’invasions font le tours complet de l’aile il me semble (ce qui n’est pas le cas ici) de plus il manque c’elles a l’arrière du fuselage (non visible sur cette photographie) .

  3. Je serais plutôt de l’avis d’Arnaud. La proportion d’avions était nettement à l’avantage des alliés pour plusieurs raisons mais la plus importante est sans aucun doute que l’Allemagne ne pouvait pas aligné de grosses quantités d’avion sur 2 fronts. Georing ne voulait pas lâcher le front de l’Est. Il ne voulait pas écouter les doléances de ses chefs d’escadrille (certains d’eux ont été qualifiés de traite). De plus, je ne pense pas que l’opération Bondeplatt qui allait être le dernier baroud d’honneur de la Luftwaffe, n’a pu influer sur le déploiement aérien allié autant que la météo exécrable qu’il y avait sur les Ardennes à cette époque afin d’aider les troupes au sol. Enfin la bataille des Ardennes n’a été ni plus ni moins qu’une bataille pour le pétrole. A cette époque, le problème majeur dans la contre offensive allemandes est plus le problème de l’essence (les panzers étant hyper gourmand) que le nombre d’avions et de pilotes. Et il ne faut pas oublier non plus que depuis des mois, les allemands subissaient de très lourds bombardements visant son industrie. Donc à part aligner environs 1200 avions en tout et pour tout, c’était le chant du signe.

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