Opération Boxtop: par-delà la terre des Inuits au Canada

Quelle est la communauté la plus nordique au monde ? Au risque de décevoir bien des enfants, ce n’est pas le village du Père Noël mais plutôt la Station des forces canadiennes (SFC) Alert située sur la pointe nord de l’île Ellesmere au Nunavut. Sise à seulement 817 km du Pôle nord, SFC Alert est en fait plus près de Moscou que d’Ottawa. En pleine Guerre froide, le Canada mit donc à profit cet emplacement pour surveiller de près l’URSS.

D’abord une simple station météorologique implantée en 1950, Alert devint une base militaire en 1958 spécialisée dans l’écoute électronique et la radiogoniométrie. Depuis les années 1950, Alert est donc occupée en permanence par des militaires et des civils canadiens. Au plus fort de la Guerre froide, ce sont environ 200 personnes qui y vivaient. Aujourd’hui, grâce aux développements technologiques, on en compte plus qu’une cinquantaine.

Les courageux résidents d’Alert, surnommés «Frozen Chosen», font face à un environnement si inhospitalier que même les Inuits n’ont jamais vécu dans ces contrées trop nordiques. La devise de SFC Alert en langue inuktitut, Inuit Nunangata Ungata, signifie d’ailleurs par-delà la terre des Inuits. D’avril à septembre, le soleil de minuit y règne. Par contre, d’octobre à mars le soleil ne monte jamais au-dessus de l’horizon, le jour n’étant que pénombre. Durant l’hiver, le mercure chute à -40 ˚C durant des périodes prolongées, alors que l’été il monte à peine au-dessus du point de congélation. Les précipitations de neige y sont relativement faibles avec moins de 175 cm en moyenne par année, mais les blizzards hivernaux aveuglants sont aussi dangereux que les ours polaires qui rôdent autour des installations. Les chiens eskimos d’Alert jouent à merveille leur rôle de gardiens en lançant l’alarme lorsque ces grands carnassiers s’aventurent trop près. La banquise persiste généralement au large de l’île pendant l’été et forme une masse ininterrompue de la rive à l’horizon en hiver. Il n’est donc pas étonnant que seuls trois navires brise-glaces aient pu s’approcher d’Alert à ce jour. C’est conséquemment par la voie des airs que le transport du personnel et la logistique d’approvisionnement s’effectuent grâce à l’aéroport d’Alert qui est également le plus nordique au monde.

Aurore boréale sur Alert

SFC Alert et son aéroport
En plus de la liaison hebdomadaire effectuée par l’Aviation royale canadienne (ARC), l’Opération Boxtop se déroule deux fois par année afin de ravitailler Alert et la station météorologique d’Eureka située à 400 km plus au sud. Les vols du printemps sont généralement consacrés au transport de carburant et combustible, alors que ceux de l’automne livrent les autres fournitures. À cette fin, l’ARC utilise la base américaine de Thulé au Groenland qui a le double avantage de disposer d’un port en profonde et d’être à moins de 700 km d’Alert à vol d’oiseau. Aujourd’hui, l’ARC met à profit ses poids lourds de transport tactique lors des opérations Boxtop: CC-177 Globemaster, CC-130J Hercules et même CC-150 Polaris. À eux-seuls, les appareils Super Hercules effectuent plus de 200 vols lors de cette imposante opération logistique. Grâce à ce pont aérien, environ deux millions de litres de produits pétroliers et 300 tonnes d’autres biens s’envolent vers Alert et Eureka à chaque année.  Outre l’éloignement, les aléas météorologiques présentent un défi fréquent dans l’extrême Arctique. D’épais bancs de brouillard, du verglas et de fort vents ont compliqué grandement le déroulement de l’opération Boxtop/printemps 2017 qui vient à peine de se terminer.

CC-177 Globemaster à Alert

CC-130J Hercules à Alert

Airbus CC-150 Polaris
Déjà un défi logistique impressionnant avec ces moyens aériens modernes, on peut s’imaginer l’ampleur de cette tâche dans les années 1950 et 1960. À ses débuts, Alert était approvisionné avec des bombardiers Lancaster convertis en avions de transport, ainsi qu’avec les increvables Dakotas de l’ARC. Le avions bipoutres C-119 Boxcar s’ajoutèrent un peu plus tard. L’entrée en service des premiers gros porteurs Hercules au sein de l’ARC dans les années 1960 facilita quelque peu les opérations Boxtop.

Douglas Dakota dans l’Arctique canadien

Fairchild C-119 Boxcar dans l’Arctique canadien
Deux tragédies aériennes témoignent d’ailleurs de la dangerosité de ces opérations d’approvisionnement dans l’Arctique. Dès 1950, alors que la construction de l’aéroport d’Alert n’était pas encore complétée, les neuf occupants du Lancaster KB965 périrent lors d’une opération de parachutage de cargo. Un parachute s’est malencontreusement emmêlé dans l’empennage provoquant ainsi une perte soudaine de contrôle de l’avion. Un monument honore ces aviateurs inhumés sur place.

Monument dédié aux aviateurs du Lancaster KB965
En octobre 1991, l’opération Boxtop 22 a également tourné à la tragédie. Parmi les 18 passagers d’un CC-130 Hercules avalé par blizzard inattendu, cinq sont décédés suite à l’écrasement de leur appareil. Dû aux conditions météorologiques extrêmes, les survivants durent attendre plus de trente heures avant d’être secourus. Toujours sur place, et bien visibles dans la toundra, les épaves de ces avions témoignent du sacrifice de ces aviateurs nordiques.

Épave du Hercules de l’opération Boxtop 22
Alors que Vladimir Poutine replonge la Russie dans une Guerre froide avec les alliés de l’OTAN, SFC Alert conserve toute sa pertinence sur le plan militaire. Aussi, face aux prétentions territoriales de la Russie et du Danemark sur les richesses de l’Arctique, Alert est également l’un des outils d’affirmation de la souveraineté canadienne dans cette région. Enfin, Alert est devenu au fil des ans une importante base de recherche scientifique sur la climatologie et l’environnement arctique, ainsi que le point de départ d’aventuriers en expédition vers le pôle Nord. Quelques avions civils utilisent donc à l’occasion l’aéroport d’Alert, mais l’accès y est sévèrement contrôlé. Il faut donc montrer patte blanche avant d’espérer avoir les autorisations requises pour s’y poser. Cette destination du bout du monde n’est donc pas en voie de devenir une destination touristique populaire !

Avion de recherche scientifique Basler BT-47 Polar 5 de passage à Alert

De Havilland Canada Twin Otter sur la piste d’Alert

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Marcel
Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

5 réponses

  1. Chapeau Marcel pour cet article fort instructif. L’. avion de recherche scientifique Basler BT-47 Polar 5 est une version du célèbre DC-3. Remplacement des moteurs en étoile par des turbopropulseurs Pratt & Whitney Canada PT6A-67R, l’allongement du fuselage, le renforcement de la structure, la modernisation de l’avionique et des modifications sur les bords d’attaque et le saumon des ailes. https://fr.wikipedia.org/wiki/Basler_BT-67
    Depuis le XVI siècle, l’Empire britannique puis le Canada ont toujours revendiqué la souveraineté sur ce vaste archipel arctique et celle est une constante dans l’histoire canadienne. En 2018, le premier des. 6 navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique (NPEA) de la classe Harry DeWolf et résistant sera livré à la Marine canadienne. Il embarquera un hélicoptère CH-148. Il sera armé d’un canon de 25 mm Canon dans une tourelle télécommandée BAE MK 38.

    Canon de 25 mm contrôlé à distance

  2. @Arnaud, Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa comme j’ai appris dans mes cours de religion au primaire. Il faut en effet se méfier des informations provenant de wikipédia. Et quels sont les facteurs qui expliquent la grande longévité de certains aéronefs? La conception de l’appareil? la qualité des matériaux? les conditions d’utilisations?

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