Retour sur le salon du Bourget 1975

J’ai manqué le salon de 1973 car je faisais mon service militaire. Mais je m’en souviens cependant très bien car, de garde au magasin d’armes, les copains m’avaient amené un petit poste TV et j’ai pu assister à la « fête aérienne » en direct commentée par Léon Zitrone, qui, avec élégance, se trompait souvent d’avion ! Mais c’est la catastrophe du Tupolev 144 qui a marqué ce salon et on a pu y assister bien que ne voyant que l’appareil qui disparaissait ! Terrible ! Par conséquent, le salon de 1975 a été amputé d’une telle fête aérienne, remplacée par des démonstrations isolées et calibrées pour éviter les accidents. De ce fait, il y aura toujours quelques crashes mais pas de risques pour le public ou la population des environs.

Aviation militaire : le « Marché du Siècle »
Affiche officielle du Bourget 1975
Affiche officielle du Bourget 1975

Malgré la fin de la guerre du Vietnam, le marché des avions militaires se porte bien. C’est la fin d’une génération d’avions (F-104, Mirage IIIMig-21) et d’autres sont usés par ce conflit (F-4 Phantom).  Il faut les remplacer. Les nouveaux F-14 et F-15 font rêver mais sont trop cher et le Pentagone les exporte au compte-gouttes. Une chance pour les avions européens, Mirage F1 déjà en service (on en propose une version plus puissante avec le réacteur M53) et Viggen suédois, magnifique delta canard.

Mais les américains viennent proposer à leurs alliés européens de l’Otan, Bénélux, Norvège, Allemagne entre autres le YF-16 au look futuriste et à la technologie avancée (commandes électriques, joystick latéral, cockpit sans montants) et le YF-17. L’US air Force promet d’acheter 650 de ces chasseurs légers et maniables et la Navy doit remplacer Crusader et bientôt Phantom usés par le Vietnam. Le Bourget voit donc ces machines s’affronter, le YF-16 dans sa livrée voyante tricolore et les deux européens en treillis camouflé, bardés d’armes à n’en plus finir !

C’est la fin de la course à la vitesse, le début du règne de l’électronique, des missiles, des systèmes d’armes. Pour la haute vitesse, on a dévoilé le SR-71A mais il ne sert qu’au renseignement. On connait aussi le Mig-25 mais ni l’un ni l’autre ne sont au Bourget. L’américain viendra à Farnborough depuis New York en septembre en… 1h 54 ! On veut la polyvalence, on ne court plus après les bombardiers stratégiques car les missiles les ont remplacés. Les bombardiers ne volent plus dans la stratosphère mais au ras du sol, comme le nouveau B-1, dont on ne saura que faire ou le Mirage IV très beau mais à l’allonge insuffisante. La « force de frappe » chère au Général est cependant en place. Le Tornado et l’Alphajet commencent leur carrière et montrent que les européens coopèrent pour survivre.

En termes de marché, les Etats-Unis dominent le secteur de l’aviation militaire occidental à 80%. La guerre du Vietnam s’achève mais il ne manque pas de raisons de s’armer car malgré une certaine « détente » la course aux armements est-ouest perdure et le Moyen-Orient est toujours embrasé un an et demi après la guerre du Kippour.

La « crise » et le marché civil

Justement, depuis la guerre de 1973 on assiste au pont de vue économique au choc pétrolier et à la fin de la croissance continue de l’économie, donc du transport aérien, qui n’est pas encore le vecteur de masse que l’on connait aujourd’hui. Les compagnies aériennes sont dans le rouge, les commandes sont en baisse et cela joue sur les choix des compagnies. Supersonique ou transport de masse ?

Cela tombe vraiment mal pour Concorde, encore une fois vedette au salon. Il vient de recevoir son certificat de navigabilité mais les commandes tardent, en dehors des compagnies nationales française et britannique. Le coût d’une traversée océanique rend l’appareil non rentable. L’avion des millionnaires ? Le Tupolev 144 lui, entre en service sur les lignes de Sibérie et d’Asie centrale, mais pour transporter fret et courrier. Cela fait cher du timbre !

En revanche les américains, qui multiplient les obstacles à l’utilisation de leurs aéroports au supersonique, font leurs choux gras des gros porteurs 747, DC-10, Lockheed L-1011 Tristar. Ils dominent à 98% le marché des long courriers occidentaux, et 78% celui des moyens courriers avec DC-9 et Boeing 727 et 737. On n’a pas su exploiter la formidable percée technique du Caravelle et peu croient aux chances du nouvel Airbus, qui vole au salon mais dont le carnet de commandes est insuffisant, de l’ordre de quelques dizaines d’A 300B. Il y a bien le Mercure de Marcel Dassault, mais trop petit, trop « court » au point de vue autonomie. Seule Air Inter en achète une dizaine. Donc on a le moral dans les chaussettes côté marché civil. Et côté moteurs on se demande que pourra bien faire le Snecma-GE CFM56 dans cette situation difficile. Pourtant il est l’avenir, comme Airbus. De la nécessité d’investir, de croire en l’avenir et de faire les bons choix.

Il y a les hélicoptères qui se vendent bien et l’Aérospatiale a acquis une place enviable : les Alouette, Puma, Super Frelon, Gazelle sont partout dans le monde et le Bourget accueille le nouveau biturbine Dauphin. Moins impressionnant que le Mil Mi-12 mais qui a plus d’avenir. Le petit Kamov Ka-26 démontre le savoir-faire russe en termes de rotors superposés.

Détente dans l’Espace
Soyouz-Saliout au Bourget
Soyouz-Saliout au Bourget

Les stands américain et soviétique rappellent les succès de leurs industries astronautiques : dernières missions lunaires (Apollo 17 fin 1972), habitées ou automatique pour les Russes. Ces derniers mettent en exergue leur station Saliout, alimentée par les nombreux lancements de Soyouz. Mais c’est un projet commun qui tient la vedette, le vol Apollo-Soyouz, symbole de la « Détente » pour lequel des américains sont allés s’entrainer en URSS et nécessitant la fabrication d’un module de connexion des deux vaisseaux. Ils partiront en juillet et une belle poignée de main et des sourires ponctueront cet inédit rendez-vous spatial.

Ouverture du musée de l’Air du Bourget

Il s’ouvre à l’occasion de ce salon et bien entendu je n’ai pas manqué la visite, encore limitée, des collections. L’essentiel consistait en avions de la Seconde Guerre mondiale avec les principaux chasseurs (D.520, Spitfire, Thunderbolt, P-51D, Yak-3 du Normandie-Niemen, Fw 190, Me 109 ou plutôt Buchon à moteur Merlin, Heinkel 162, et quelques bombardiers dehors avec encore un espagnol d’origine allemande avec des Rolls Royce, le Casa 2.111, et un B-17 venant sans doute de l’IGN. En vedette aussi les avions français, des Morane 230  de l’entre-deux guerres aux premiers appareils français à réaction, Leduc 0.21 , Triton entre autres en passant par le Morane MS.406, lui aussi combattant valeureux.

Il y avait sans doute bien d’autres appareils mais c’est le souvenir que j’en ai et les photos que j’ai retrouvées. Le Musée deviendra plus tard le Musée de l’Air et de l’Espace, avec les collections astronautiques et ouvrira bien d’autres galeries pour devenir un des plus beaux musées aéronautiques du monde. C’est en tout cas l’irremplaçable conservatoire de l’histoire de l’aviation française.

 

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Bernard
Bernard
professeur d'Histoire, à la retraite depuis peu mais passionné d'aviation depuis toujours, et en particulier bien sûr d'histoire de l'aviation.
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