On pourrait croire que les habitants de la célèbre ville californienne ont retenu leur souffle mais c’est faux, ils n’ont connu la vérité que près d’une demi-siècle plus tard. Il y a 75 ans jour pour jour un Boeing B-29 Superfortress de l’US Air Force se crasha à Fairfield-Suisun AFB, non loin de la baie de San Francisco. L’avion transportait une arme atomique de type Mark 4, dénuée de noyau fissile mais disposant d’une structure de sécurité en uranium appauvri. La catastrophe aérienne tua 20 personnes et en blessa 173, soit bien plus que l’équipage d’un tel bombardier stratégique.
L’avion accueillait un équipage de vingt membres, parmi lesquels le général de brigade Robert F. Travis. Ce dernier était un vétéran de la Seconde Guerre mondiale, ayant piloté des Boeing B-17 Flying Fortress au-dessus de l’Europe. Il connaissait donc parfaitement le monde des bombardiers. Il avait embarqué à bord parce que l’état-major américain lui avait demandé de superviser le déploiement de dix B-29 Superfortress sur l’île de Guam, dans le Pacifique. Ces avions devaient pouvoir prendre l’alerte au cas où la Chine décidait d’une action offensive contre le Japon ou Taïwan suite au déclenchement de le guerre de Corée. Chaque B-29 décollait donc de sa base américaine avec sa bombe Mark 4 à son bord, mais sans le noyau fissile. Les Mark 4 pesait 4900 kilogrammes dont 2300 d’explosifs devant permettre la mise à feu de la charge nucléaire une fois celle-ci remontée dessus. Une structure en uranium appauvri d’environ 350 kilogrammes devait sécuriser la charge atomique. Les dix noyaux étaient prévus pour voyager dans le plus grand secret à bord de deux Douglas C-74 Globemaster.
Le Boeing B-29 Superfortress en question, serial 44-87651, décolla de Fairfield-Suisun AFB le samedi 5 août 1950 à 22 heures. L’espace aérien avait été dégagé, suite au caractère sensible de la mission. Le roulage et le début du décollage se déroulèrent sans encombre. C’est une fois à 2380 mètres d’altitude que le pilote et le copilote se rendirent compte que le moteur intérieur gauche (le numéro 2) s’emballait. Il passa en quelques secondes seulement de 2800 à 3500 tours par minutes. C’était beaucoup trop. Le pilote décida de stopper l’hélice tout en continuant son ascension. Arrivé à 2680 mètre le moteur intérieur droit (le numéro 3) l’imita. L’avion devenait instable. Le capitaine Eugene Q. Steffes, aux commandes du B-29, en informa immédiatement le général Travis qui se trouvait dans l’avion. Ce dernier donna son feu vert pour un retour à la base.
Le contrôle aérien fut informé de la situation, et les services de secours de Fairfield-Suisun AFB placé en alerte maximale. Le crash d’un bombardier transportant une arme nucléaire, mais dénuée de son noyau, était un des pires cauchemars de l’US Air Force. Afin de se replacer dans l’axe de la piste Steffes et son copilote, le lieutenant Carter Johnson, décidèrent d’engager un 180 degrés. Malheureusement ce demi-tour était un peu raide pour un B-29 dont deux moteurs avaient stoppés. Le bombardier décrocha. Il passa à quelques mètres au-dessus des habitations de Fairfield, le pilote réussissant à les éviter de justesse. Quasi aligné avec la piste il posa son avion légèrement en dessous de 200 kilomètres heures. Le choc fut tel que le Boeing B-29 Superfortress se brisa immédiatement en deux. L’avion devant réaliser un vol transpacifique il avait ses réservoirs de carburants pleins. La partie avant s’enflamma immédiatement, la partie arrière quelques secondes plus tard. L’avion était une énorme boule de feu qui fonçait sur le tarmac. Dix des vingt membres d’équipage de l’avion, dont Robert F. Travis, réussirent à évacuer l’avion. Certains se blessèrent en chutant, d’autres furent brûlés. Les équipes de secours les prirent immédiatement en charge et les évacuèrent vers l’hôpital militaire de San Francisco, distant d’une cinquantaine de kilomètres. Lors de leur transfert le général de brigade et le navigateur décédèrent des suites de leurs blessures.
Le dispositif de secours était très conséquent, trop au goût du lieutenant-colonel Raymond E. Holsey. Le numéro 2 de la base ordonna à plusieurs dizaines de secouristes et de militaires de s’écarter. Il savait pertinemment que les 2300 kilogrammes d’explosif de la Mark 4 ne demandaient qu’à… exploser. Et qu’il en était de même des milliers de cartouches de calibre 12.7 millimètres des tourelles automatiques du B-29. Quelques instants après qu’il ait lancé son ordre sa prédiction se réalisa. Il ne s’agissait évidemment pas d’une explosion nucléaire, le cœur isotopique n’étant pas dans la bombe. Pourtant un cratère de 18 mètres de diamètre sur deux de profondeur se forma. On entendit le bruit de l’explosion jusqu’à San Francisco à une cinquantaine de kilomètres de là. Les services de secours de toutes les villes de la région arrivèrent en urgence et la scène était apocalyptique avec des dizaines de corps jonchant le sol, des bâtiments en feu, d’autres éventrés. Certaines victimes, notamment une infirmière militaire et la secrétaire du lieutenant-colonel Holsey avaient chacune une jambe qui avait été arrachée par le souffle de l’explosion.
Vingt personnels furent tués, douze d’entre eux se trouvaient dans l’avion et huit autres sur la base. Six décédèrent à l’hôpital ou lors de leur transfert, à l’instar du général de brigade Travis ou de la jeune secrétaire du lieutenant-colonel Holsey. Cent soixante-treize personnels furent blessés et hospitalisés parmi lesquels quarante-neuf furent placés en soins intensifs. Les médecins réalisèrent six amputations. Mais surtout une quinzaine de grands brûlés qui présentaient des plaies inhabituelles furent évacués des hôpitaux civils par les autorités militaires américaines. Ils furent pris en charge à San Francisco et ensuite évacué vers une structure hospitalière militaire proche de Washington DC, à plus de 3000 kilomètres.
Une commission d’enquête établit très rapidement que l’accident résultait d’un défaut dans l’entretien mécanique de l’avion. Les restes de l’avion furent récupérés et transférés dans le désert du Nevada pour être enfouis. Officiellement le Boeing B-29 Superfortress serial 44-87651 réalisait un vol d’entraînement. De nombreux journalistes et élus soulevèrent la question alors de la présence à bord de Robert F. Travis dans un équipage de vingt personnes alors même que l’US Air Force elle-même ne préconisait que dix à onze membres d’équipage pour de tels vols. La censure s’abattit rapidement sur l’affaire.
Si le général de brigade Travis eut droit aux obsèques nationales à Arlington les dix-neuf autres victimes décédées ont été inhumées à la hâte au cimetière municipal de Vacaville, à trois kilomètres de la base. Quatre d’entre eux avaient des cercueils plombés et verrouillés. Leurs proches ne purent jamais voir les dépouilles. Ce n’est qu’en avril 1994 que l’US Air Force reconnut officiellement la présence à bord de la bombe Mark 4. Les 350 kilogrammes de structure de protection à l’uranium appauvri ont été pointés du doigt quand cause du développement de cancers de la peau, des os, et des cordes vocales chez onze survivants de la catastrophe.
Contrairement à ce que certains sites complotistes ou encore à des médias peu regardant sur la véracité historique ont pu écrire la catastrophe du Boeing B-29 Superfortress de Fairfield-Suisun AFB ne relève nullement de la posture Broken Arrow. Celle-ci est engagée lorsqu’une bombe atomique américaine est portée disparue, comme cela eut lieu au Canada quelques semaines auparavant. Le mardi 14 février 1950 un bombardier stratégique Convair B-36B Peacemaker s’écrasa en Colombie Britannique, et sa Mark 4 avait disparu. Elle n’a officiellement jamais été retrouvée. Le Canada a déclaré la zone de l’accident site protégé en 1998. Régulièrement des chercheurs d’épaves tentent de retrouver cette bombe atomique… à leurs risques et périls. Il est à noter que Fairfield-Suisun AFB est aujourd’hui connu comme Travis AFB. Elle accueille des avions de ravitaillement en vol et des avions de transport stratégique.
Ironie de l’Histoire le lendemain du crash l’US Air Force célébrait le 5e anniversaire du bombardement atomique sur Hiroshima.
Photo © US Air Force
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