Zoom sur les oreilles de béton anglaises

Ce contenu est une partie du dossier thématique : La détection acoustique et la guerre aérienne
Affiche propagande et de recrutement "C'est mieux de faire face aux balles que d'être tué chez soi par une bombe
Affiche propagande et de recrutement « C’est mieux de faire face aux balles que d’être tué chez soi par une bombe

Bien avant le  premier survol de la Grande Bretagne par un aéronef ennemi mais dans la perspective d’une possible attaque aérienne, les autorités britanniques avaient déjà développé un réseau d’alerte couvrant une partie de la côte Est ainsi que certains centres stratégiques ou villes susceptibles d’être des cibles potentielles.

La menace principale émanait évidemment des dirigeables Zeppelin dont la dangerosité n’était plus à démontrer. Durant le conflit et malgré la vulnérabilité due à leurs grandes tailles (150 à 160 m et des volumes de 22 000 à 25 000 m³), ils ont totalisé des dizaines de raids occasionnant sans toutefois montrer une grande précision, des pertes humaines et préjudices importants aux infrastructures.

Carte postale de propagande "In's herz von England" "Au cœur de l'Angleterre"
Carte postale de propagande « In’s herz von England » « Au cœur de l’Angleterre »

Comme sur le continent, l’organisation de la défense aérienne et le matériel utilisé sont relativement identiques (Cornets acoustiques, Canon AA, Mitrailleuses, réseau d’observation, etc…). Néanmoins, dès 1917, les Britanniques se distingueront des autres nations en établissant  un vaste réseau de miroirs sonores (Sound Mirrors). Cette défense expérimentale, mise au point par le Dr WS Tucker et le Royal Engineers est constituée de structures en béton destinées à donner rapidement l’alerte en cas d’intrusion de dirigeables dans un premier temps et par la suite d’avions ennemis (principalement les bombardiers) sur le point d’attaquer les villes côtières ou le centre de l’Angleterre. Durant la seule année 1917,341 raids ont été répertoriés

Sound Locator Mk I (1914 - 1918)
Sound Locator Mk I
(1914 – 1918)

Avec le matériel de détection traditionnel, les Britanniques se dotent au fil du temps de trois types de dispositif acoustique: Le disque, le miroir et le mur. L’un des premiers disques fut taillé dans la craie d’une falaise durant l’été 1915 mais il faut attendre 1917 pour voir paraître le long des côtes une série de miroirs paraboliques en béton de plusieurs mètres de diamètre qui ont été utilisés avec succès jusqu’à la fin du conflit en détectant plusieurs raids ennemis. Conscient du danger grandissant de l’aviation, d’autres miroirs sonores seront construits et la technologie sera développée jusqu’au début des années 30 avec l’apparition de structures aux dimensions impressionnantes telles que des paraboles de plus de 9 mètres de diamètre et mur concave de 60 mètres de long.

Ces structures aux dimensions monumentales sont constituées d’un corps en béton de forme parabolique ou ellipsoïdale au centre duquel se trouve un dispositif d’écoute constitué de microphones directionnels. Ces micros sont orientés mécaniquement par un opérateur se trouvant  dans une salle de contrôle située sous ou à proximité de l’architecture. Leur orientation jusqu’au point de focal (F) maximise l’amplitude du son réfléchi par la surface du miroir. Les résultats d’une équation déterminent l’azimut et l’angle d’élévation de la cible et permettent une localisation relativement précise de l’agresseur. A noter que plusieurs miroirs ou paraboles sonores situés en différents points vont générer des paliers différents, ce qui permet l’utilisation de la triangulation pour déterminer avec plus d’exactitude la position d’une source sonore.

Malgré leurs gigantismes, ces constructions se devaient d’être précises dans leurs conceptions afin d’optimaliser la qualité de la réception acoustique. Le seul miroir sonore construit en dehors de la Grande-Bretagne se situe sur l’ile de Malte. Il est localement connu sous le nom de « l’oreille ».

Bien qu’implantées dans des endroits isolés avec des dispositifs d’écoute performants, ces constructions pouvaient être l’objet de certaines nuisances mineures. En plus des interférences dues aux bruits parasites naturels (pluie, orage, vent, etc…), la modernité des années 30 commençait à menacer le silence imposé pour le bon déroulement de la captation des sons. L’opérateur pouvait ainsi maudire le passage des voitures ou du camion de lait, la présence de pique-niqueurs en bord de plage ou d’enfants un peu trop bruyants sans oublier les perturbations provoquées par la multiplication du trafic maritime à proximité des côtes.

Que retenir de ces constructions ?

D’abord nécessaires durant la courte période de guerre (1917-1918) grâce aux méthodes d’évaluation et de traçage d’avions et plus particulièrement des bombardiers moins impressionnants que les Zeppelins mais plus rapides, les miroirs acoustiques ont été par la suite, d’une efficacité limitée. L’augmentation de la vitesse due à l’évolution de l’aviation durant les années 1930 signifia une réduction considérable du laps de temps destiné à la riposte.

Denge  Mur acoustique et paraboles
Denge
Mur acoustique et paraboles

Le mur de 60 mètres de Denge (Kent) représente l’aboutissement de près de vingt années de constructions expérimentales et d’innovations techniques mais l’Angleterre devra son salut à une nouvelle technologie : Le Radar. En théorie, Il rendait obsolète murs et miroirs en béton mais ces derniers furent encore opérationnels et utilisés durant toute la bataille d’Angleterre.

Par la suite, comme pour un baroud d’honneur, l’intérêt pour les miroirs sonores a été brièvement relancé dans le courant de l’année 1943 car durant un moment, il était à craindre que l’Allemagne aurait pu développer une méthode efficace destinée à brouiller les stations radars britanniques de défense côtière.

D’une façon plus allégorique soulignée par certains chroniqueurs en cette veille de second conflit mondial, l’alignement de ces architectures en béton le long des côtes représentait une forme d’auto-assurance auprès de la population, une sorte de réconfort psychologique. Le côté massif et sculptural des édifices pouvait être comparé à des forteresses contre la menace d’invasion continentale avec comme leitmotiv : « Il y aura toujours une Angleterre ».

Restauration
Restauration

Bien évidemment, il ne s’agissait pas de fortifications traditionnelles destinées à contenir les assauts d’un ennemi mais on se devait, en cette veille de catastrophe mondiale, d’apaiser les craintes et de raffermir le moral d’une population civile de plus en plus inquiète. Il en était de même dans tous les camps.

Maintenant, les sites abritant les miroirs sonores longeant les côtes du Kent ou du Yorkshire sont protégés et reconnus comme patrimoine. Les édifices sont actuellement  l’objet de restaurations et des visites sont organisées pour les amateurs d’architectures et de technologies militaires.

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Mercator
Mercator
De mon vrai nom Patrick Debaisieux, j’ai gardé comme speudo « Mercator » célèbre cartographe (1512-1594) issu de mon plat pays. Forcément, j’apprécie tout ce qui touche de près ou de loin à l’aviation et plus particulièrement l’époque 1918-1939. Amateur de « Bons mots » et de lecture, je me définis plus comme homme des bois que des villes et je suppose qu’avec mes 57 balais, je ne changerai plus guère.
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