Série noire pour l’aviation de brousse au Québec

Le paradis terrestre, du moins pour un amateur de pêche, est une cabane en bois rond sur la rive d’un lac poissonneux accessible uniquement en hydravion. Fidèles à nos ancêtres «coureurs des bois», nombre de Québécois sont adeptes de chasse et de pêche. Principale clientèle des opérateurs d’avions de brousse, ceux-ci peuvent ainsi accéder à un vaste territoire inaccessible par voie terrestre. Les plus fortunés disposent même de leur propre aéronef afin de combiner deux passions. Toutefois, le rêve d’une expédition dans la nature sauvage peut parfois tourner au cauchemar. Trois tragédies récentes rappellent les risques inhérents à l’aviation de brousse. En seulement quelques jours d’intervalle, l’écrasement de trois aéronefs immatriculés au Québec a entraîné la mort d’une douzaine de personnes.

Le 11 juillet dernier, la famille de Stéphane Roy, président de l’entreprise agroalimentaire Savoura signalait sa disparition de même que celle de Justin, son fils de 14 ans. Tous deux revenaient d’une expédition de pêche à bord de l’hélicoptère Robinson R-44 immatriculé C-FJLH piloté par l’homme d’affaires. Malgré le déploiement d’un imposant dispositif de recherche qui a tenu en haleine la population du Québec pendant une quinzaine de jours, ce n’est que le 25 juillet que l’appareil et ses deux occupants malheureusement décédés ont été retrouvés par un hélicoptère de la Sûreté du Québec. Apparemment non doté d’une balise de détresse, et sans plan de vol préétabli, la recherche de l’appareil disparu dans les collines densément boisées des Hautes-Laurentides s’est révélée particulièrement ardue. Devant initialement scruter un vaste territoire de 20000 km2, l’Aviation royale canadienne (ARC) a utilisé toute la panoplie de ses aéronefs de recherche et sauvetage disponibles, soit des quadrimoteurs CC-130 Hercules ainsi que des hélicoptères CH-146 Griffon et CH-149 Cormorant. On a même eu recours à un Lockheed CP-140 Aurora doté de senseurs ultra-perfectionnés. Après une dizaine de jours d’efforts infructueux, l’ARC a abandonné les recherches. C’est en recoupant diverses informations, dont de maigres signaux téléphoniques, que le travail policier de la Sûreté du Québec a permis de circonscrire plus finement la zone de recherche. L’autopsie révèlera si les deux victimes sont mortes dès l’écrasement du frêle hélicoptère ou si elles auraient pu être sauvées en cas de secours plus rapide. D’ores et déjà, la famille et les proches des deux victimes ont l’intention de militer en faveur d’un resserrement de la réglementation pour obliger l’installation de balises de détresse fonctionnelles sur tous les aéronefs.

Robinson R-44 / C-FJLH

Pendant que l’ARC était à la recherche du Robinson R-44 disparu, les signaux d’une balise de détresse furent d’ailleurs captés le 12 juillet. Ils provenaient toutefois du DHC-2 Beaver immatriculé C-GRHF qui venait tout juste de s’écraser à une centaine de kilomètres au sud de Chibougamau. Un C-130 Hercules fut immédiatement dépêché sur les lieux. L’hydravion accidenté fut rapidement localisé près du lac Boulène et deux secouristes furent parachutés pour venir en aide à ses occupants. Avocat connu de Montréal, le pilote de 67 ans était accompagné de trois vieux copains pour une expédition de pêche. Un seul occupant est sorti miraculeusement vivant de l’appareil. Celui-ci s’affairait à préparer un feu lorsque découvert par les secouristes. Il fut évacué par hélitreuillage dans un Griffon, puis dirigé vers un centre hospitalier. Selon le  témoignage du survivant, l’hydravion volait à basse altitude en raison de mauvaises conditions météorologiques et a percuté la cime des arbres.

DHC-2 Beaver / C-GRHF

Un autre accident tragique impliquant un DHC-2 Beaver a eu lieu le 15 juillet sur le lac Mistastin au Labrador. Ayant quitté le camp de pêche Three Rivers Lodge avec sept personnes à bord, l’hydravion d’Air Saguenay immatriculé C-FJKI fut retrouvé en partie submergé à près de deux kilomètres des rives de ce grand lac. Avec aucun survivant en vue, les corps de trois occupants de l’appareil furent récupérés au lendemain de la tragédie par l’équipe d’un hélicoptère Cormorant de l’ARC. Les forts vents et les pluies torrentielles du lendemain ont empêché la poursuite de l’opération de recherche. Des plongeurs de la Gendarmerie royale canadienne ont trouvé un cadavre en eau libre quelques jours plus tard, mais aucune trace de l’épave qui a coulé. D’un diamètre d’environ 16km, le lac Mistastin occupe la dépression particulièrement profonde d’un cratère météoritique, ce qui présente un défi de taille. Ayant détecté des cibles potentiellement intéressantes grâce à un sonar, les secouristes recevront l’assistance d’une équipe spécialisée des Forces armées canadiennes dotée de véhicules sous-marin téléguidés afin de retrouver l’avion et le remonter à la surface. Outre le pilote québécois de grande expérience qui manque encore à l’appel, l’hydravion avait à son bord deux guides de pêche du Labrador ainsi que quatre clients américains.

DHC-2 Beaver
DHC-2 Beaver / C-FJKI

 

Lac Mistastin, Labrador

Les enquêtes du Bureau de la sécurité des transports du Canada s’amorcent sur les épaves du Robinson R-44 et du DHC-2 Beaver récupérées à ce jour, alors que les recherches se poursuivent au Labrador. Outre ces décès tragiques, la perte de deux DHC-2 Beaver attriste les amateurs de cet avion légendaire. Certains se questionnent sur la sécurité de ces avions qui volent dans des conditions souvent difficiles depuis plus de 50 ans. La communauté des pilotes de brousse est toutefois unanime à l’effet qu’il n’y a aucun avion moderne qui puisse battre les performances et la fiabilité des vénérables Beaver. À preuve, nombre d’appareils Beaver accidentés sont récupérés et remis en état de vol afin de poursuivre leur carrière. Dans un avenir que l’on espère lointain, tous les vaillants Beaver auront disparu ou pris leur retraite dans des musées ou aux mains de collectionneurs. À moins que Viking Air, qui détient les droits de fabrication du DHC-2, propose une nouvelle génération de cet irremplaçable avion de brousse, à l’instar de son Twin Otter 400.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Marcel
Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

7 réponses

    1. L’aviation est un champ de juridiction fédéral au Canada. Donc oui, une immatriculation canadienne, d’où le C. Ces aéronefs sont toutefois immatriculés au Québec et non en Alberta… Pas toujours évident à comprendre pour les personnes ne vivant pas dans une fédération…

  1. Malheureusement pour les victimes cette série d’accidents est loin d’être une série noire…

    De part la nature du pilotage de brousse, les risques sont importants, et les coins souvent coupés.
    Pour les accidents d’un appareil piloté par un pilote privé, la responsabilité des erreurs revient entièrement aux pilotes (Sauf quelques exception).
    Cependant dans le cadre d’un appareil commercial, je trouve ça particulièrement choquant que même en respectant a la lettre les lois en vigueur, la sécurité est parfois franchement compromise. D’autre part, je ne parle même pas des situations dans lesquelles certaines compagnies franchissent clairement des limites établies de manière a améliorer leur rentabilité… C’est choquant, mais il est très compliqué de contrôler des compagnies dans des endroits éloignés comme l’a prouvé le crash d’un ATR de WestWind il y a quelques années.

    C’est un monde que j’ai finalement quitté pour me tourner vers des opérations commerciales sécuritaires. Choix que je ne regrette pas! Meme si j’aimerais que les choses changent!

  2. Marcel, juste pour ma gouverne, a-t-on une idée du taux d’accident de ce type d’aéronef? J’ai l’impression que le nombre de ce type de vol est relativement élevé…

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