Il y a quelque chose d’étrangement rassurant dans le fait qu’un avion de combat français continue d’évoluer par itérations successives, à l’image d’un logiciel mis à jour en fonction des besoins de sécurité croissants. Le Rafale, au standard F5, prévue à l’horizon 2030, n’échappera pas à cette logique quasi « darwinienne » de l’aéronef bien né (rappel toujours utile), mais jamais vraiment au bout de ces capacités d’évolutions, à l’instar d’autres grands « avions légendaires« , comme le F-16. Et dans cette montée en puissance annoncée, c’est bien la mission de dissuasion nucléaire qui se retrouve, encore et toujours, au coeur de l’ADN de l’appareil (sans dénigrer son caractère omnirôle). Car on a beau en parler par euphémismes, la capacité nucléaire reste le socle du dogme français, celui que les Présidents nous rappellent à la télé (pas encore sur TikTok) avec une diction un peu solennelle et un regard qui cherche la gravité. Le Rafale F5, lui, n’aura pas besoin de mots. Il sera le vecteur.
D’abord, remettons les choses à plat. Le Rafale au standard F3R actuel, pour tout remarquable et déjà abouti qu’il soit, ne représente qu’un état intermédiaire. Certes, il emporte depuis plus de 10 ans l’ASMP-A, missile supersonique à charge nucléaire, successeur du vieillissant ASMP des années Mitterrand. Certes, il peut pénétrer l’espace ennemi à très basse altitude et grande vitesse, dans un profil de mission qui reste très années 90 dans l’esprit, avouons-le. Mais à mesure que les menaces évoluent, notamment avec le retour des défenses sol-air multi-couches et la montée en gamme des radars passifs, ce profil devient risqué, pour ne pas dire suicidaire. Le F5 ne viendra donc pas pour « faire joli » dans le carnet de commandes de Dassault, il viendra pour adapter l’outil nucléaire français à un monde post-soviétique devenu multipolaire, instable, et franchement paranoïaque.
Ce que l’on sait déjà du Rafale F5 est à la fois modeste sur le papier et ambitieux dans le réel. La cellule ne changera pas radicalement. Pas de nouvel avion, pas de rupture visible. Ce sera le même chasseur, mais avec des ambitions plus affûtées. Le cœur du saut capacitaire tiendra en trois éléments principaux : des capteurs nouvelle génération, une fusion de données revisitée, et surtout l’arrivée de compagnons de jeu autonomes, les fameux drones « Remote Carriers » du programme SCAF. Autrement dit, le Rafale F5 n’ira plus seul à la guerre. Il aura des acolytes aériens à la fois leurres intelligents et éclaireurs boostés à l’électronique. Une meute sous contrôle humain, mais conçue pour ouvrir la voie, perturber les défenses, ou même frapper si nécessaire. Une révolution silencieuse, mais déterminante.
Sur le volet nucléaire, c’est une équation un peu plus sensible. Le Rafale F5 sera, sauf revirement improbable de la doctrine engagé par l’Armée de l’Air et de l’Espace, le dernier avion de combat français à embarquer un missile nucléaire aéroporté. L’ASMP-A, lui aussi en fin de cycle, doit être remplacé par l’ASN4G, un engin de rupture, hypervéloce, potentiellement manœuvrant, probablement furtif, et quasi impossible à intercepter une fois lancé. En clair, on passe d’un missile supersonique à un outil hypersonique capable de frapper à plusieurs centaines de kilomètres en quelques minutes. Ce n’est plus de la pénétration, c’est de la démonstration technologique. Et c’est exactement ce que la doctrine française attend : une capacité à dissuader, non par la quantité, mais par la certitude et la précision de la riposte.
Dans le même esprit, mais sur le versant conventionnel cette fois, le Rafale F5 devrait également être le premier à intégrer le missile dit « Smart Cruiser« , une arme longue portée furtive en cours de développement chez MBDA. Pensé pour des frappes profondes de haute précision, ce nouveau vecteur viendrait combler le vide laissé par l’actuel missile SCALP-EG, qui atteindra rapidement ses limites face aux défenses modernes. Plus compact, modulaire, potentiellement piloté via liaison de données en vol, le Smart Cruiser marquera l’entrée du Rafale dans l’ère de la frappe conventionnelle collaborative à très longue portée. Il ne dissuadera pas, non, mais il permettra d’intervenir vite, loin, et fort en saturant les défenses aériennes ennemies. Au final, c’est toujours aussi utile et pas seulement dissuasif.
Le problème, si l’on peut dire, c’est que le monde ne nous attend pas. La Russie modernise activement ses vecteurs aériens avec des porteurs de missiles Kh-47M2 Kinzhal, déployés depuis des MiG-31K, même si l’efficacité réelle du système reste discutée à la lumière du conflit ukrainien. Les États-Unis, quant à eux, accélèrent sur le B-21 Raider, successeur du télégénique B-2 Spirit, toujours furtif, plus modulaire, et surtout pensé pour la dissuasion du XXIème siècle. La Chine développe en secret un arsenal qui semble suivre une logique duale, entre saturation conventionnelle et frappe stratégique. Pendant ce temps, la France doit maintenir, seule, une crédibilité nucléaire sur une plateforme aérienne unique. Il n’y a pas 36 solutions aéroportée chez nous, il y a le Rafale. Point.
Et pourtant, c’est peut-être là notre singularité la plus robuste. L’autonomie stratégique française repose sur une chaîne industrielle souveraine, capable de produire à la fois le porteur (Dassault), le moteur (Safran), l’armement (MBDA), les systèmes électroniques embarqués (Thales), et bien d’autres encore. Cela n’existe nulle part ailleurs en Europe. Même les Britanniques, pourtant dotés d’une force nucléaire, sous-traitent à Lockheed Martin ou à Boeing des pans entiers de leur dissuasion. Le Rafale F5, dans cette optique, ne sera pas seulement une bête de guerre, mais le manifeste volant de l’indépendance française. Une sorte d’objet technique ultra-politisé (maintenant qu’il a fait ces preuves, car j’ai toujours en travers de la gorge le Rafale baching des années 2000), où chaque boulon est une déclaration d’autonomie.
Reste une question, celle qui fâche toujours : et si le monde basculait ? Si une crise majeure, Taiwan, Ukraine, Moyen-Orient ou ailleurs, imposait un changement brutal de doctrine ? Le Rafale F5, avec ses capacités collaboratives, ses drones d’accompagnement, et son système de guerre en réseau, est-il vraiment adapté à une posture nucléaire « flexible » ? Peut-il incarner la dissuasion dite de « dernier avertissement » ? Ou reste-t-il figé dans une logique héritée du temps où l’on frappait une cible pré-programmée depuis une base aérienne bien connue ? La réponse est encore floue. Mais il semble qu’en misant sur l’interopérabilité totale et l’adaptabilité à des conflits hybrides, le F5 s’offre une certaine plasticité. C’est peut-être là que se joue l’essentiel.
Au fond, ce Rafale F5 ne sera pas seulement une version améliorée (bien qu’un peu tout de même). Ce sera une tentative de réponse technologique à une interrogation existentielle : comment dissuader, aujourd’hui, dans un monde où tout va plus vite, où la guerre revient par petites touches, où les alliances vacillent, voire s’ébranlent, et où les frappes nucléaires ne sont plus un tabou stratégique (qui l’eut cru), mais une hypothèse théorisée dans certains cercles de pouvoir ? Dans cette époque incertaine, l’aviation reste un message. Et le Rafale F5 pourrait bien être, pour quelques décennies encore, le porte-voix supersonique de la parole nucléaire française. Pas besoin de hurler fort quand on peut voler à Mach 1.8 avec un message accroché sous l’aile.
© Dassault Aviation – E. Pecchi
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10 réponses
bonjour à tous
vous ecrivez que l’asn4g sera le dernier missile nucléaire aéroporté, pourriez vous préciser svp car je ne me souviens pas avoir lu quelque chose à ce sujet.
d’avance merci.
Pas exactement, disons que la future continuité du combo Rafale+MissileNucléaire est (à mon avis) la dernière version aéroporté imaginée par les responsables du programmes de dissuasion. Mais il s’agit d’une conjecture au regard de ce que les informations disponibles nous enseignent.
Je parlais donc de « dernier » vecteur piloté
Ça c’est de l’article. Faut dire que le patron est de retour. Rien à redire sur ta prose mon Gaga je plussoie à 100%.
Merci Arnaud, j’ai tout de même dû un peu mettre du dégrippant pour sortir ce texte
Article top! J’ai une question qui me taraude ; auparavant il y avait souvent des appareils de combat biplaces F4,F14 avec un navigateur et vu la masse de données actuelles comment un pilote seul peut les gérer ? N’allons pas assister à un retour en force des appareils biplaces?
@Rondeau,
Le Rafale M peut effectuer une mission avec l’ASMP-A comme le B, c’est prévu à la conception du M grâce à l’assistance du système.
Vu le nb croissant de données à gérer, de l’IA sera utilisée, ça commence un peu déjà dans la version F4 mais seulement pour des fonctions non essentielles.
Comme l’a dit James, l’IA va venir assister les pilotes, comme c’est déjà le cas pour nos forces terrestres (en particulier dans les forces spéciales) où l’intelligence artificielle embarquée sur l’homme vient l’aider dans ses décisions et son analyse du terrain et du danger
Super article Gaétan.
» L’autonomie stratégique française repose sur une chaîne industrielle souveraine, capable de produire à la fois le porteur (Dassault), le moteur (Safran), l’armement (MBDA), et l’intégration avion-système. »
Vous avez oublié l’électronique par Thalès 🙂
Dassault a su trouver là une solution astucieuse et peu coûteuse en temps et en argent pour rattraper le retard sur les vecteurs suffisamment furtifs pour pouvoir pénétrer des zones fortement défendues, et en plus vecteurs dont la perte n’est que matérielle et non humaine.
Le Rafale (tout seul) reste un excellent outil pour effectuer les missions qui demandent moins de furtivité et plus de charges militaires et d’allonge.
Anecdote: C’était Serge Dassault qui, lors d’un interview et à l’époque du Rafale bashing tous azimuts, avait émis l’idée de faire accompagner les Rafale de drones, bien avant le concept du loyal wingman.
Merci James
J’ai ajouté Thales qui effectivement méritait de faire partie de l’équation.