HESA Shahed 136

Dans le monde des drones les munitions rôdeuses tiennent une place à part. Elles se trouvent aux confins des avions sans pilote et des missiles de croisière. Pourtant ce sont bien des drones, principalement par leur mode de pilotage à distance, leur architecture, et leur motorisation. Ce sont aussi des armes qui interrogent sur l’avenir du champ de bataille car même si elles sont apparues dans les années 1980 les munitions rôdeuses sont bel et bien devenues un symbole de la guerre du premier quart du 20e siècle. L’une des plus tristement célèbres provient d’Iran : l’HESA Shahed 136.

Les premiers travaux iraniens en matière de munitions rôdeuses remontent aux années 1980 au travers des HESA Ababil, pensés durant la guerre contre l’Irak baasiste. Lancé depuis des rampes installées sur des camions poids-lourds leur rayon d’action a toujours posé problème, tout comme leur système de guidage jugé peu fiable. Pour autant les mollahs iraniens s’en sont régulièrement servi contre Israël et en ont fournis à des groupes terroristes comme le Hamas, le Hezbollah, ou encore les Houthis. L’expérience des Ababil a permis de développer une munition rôdeuse bien plus efficace et meurtrière : la Shahed 136.

C’est au début des années 2010 que l’avionneur HESA décide de développer une munition rôdeuse de nouvelle génération destiné à contrer les défenses anti-aériennes ennemies. L’Irak voisine est alors en train de se redresser politiquement et de se tourner vers les Américains et les Européens. Le régime des ayatollahs voient cela d’un mauvais œil, il lui faut donc un vecteur de frappes bon marché mais plus fiable que les Ababil.

La réponse apparait en 2014 sous la forme du Shahed 136, un engin à aile delta et moteur à piston entraînant une hélice propulsive. Construit en bois, contreplaqué, et matières plastiques cet engin doit être le moins onéreux possible. Son moteur Mado MD.550 à quatre cylindres opposés à plat de 50 chevaux est réputé très peu bruyant. La charge de combat, installée dans le nez, s’élève à cinquante kilogrammes d’explosif.
Initialement le lancement du Shahed 136 est prévu pour se faire via une classique rampe de catapultage. Le guidage du Shahed 136 se fait via radiocommande sur un rayon d’action pouvant atteindre 2250 kilomètres. L’idée de ses concepteurs est alors de pouvoir le lancer de n’importe quel point du Proche-Orient à destination de l’état hébreux.

Lors de sa découverte par la communauté internationale l’HESA Shahed 136 est taxé d’être une copie du Harpy israélien. C’est faux. En fait il reprend les grandes lignes du Shahed 131 apparu dix ans auparavant et n’ayant pas vraiment marché. Celui-ci s’inspirait clairement du DAR, une munition rôdeuse allemande des années 1980 conçu par l’industriel Dornier. La filiation Shahed 136 et Harpy est donc fausse.

Arme de terreur plus que réellement tactique l’HESA Shahed 136 a été employée par l’Iran dans sa guerre d’usure contre Israël dès 2019. Et c’est d’ailleurs en décortiquant plusieurs exemplaires tombés avant explosion que les experts internationaux se rendirent compte qu’on y retrouvait assez logiquement des composants électroniques chinois et pakistanais, mais de manière plus surprenante également américains et polonais. Ces derniers avaient été acheté au marché noir. En fait dans les premières années d’emploi de ces engins les Shahed 136 n’impressionnaient guère.

Il faudra attendre l’automne 2022 et leur apparition dans le camp russe pour découvrir à quel point les HESA Shahed 136 peuvent être des armes de grandes destructions. Téhéran les fournit alors par milliers d’exemplaires à Moscou afin de soutenir l’effort de guerre de Vladimir Poutine contre la démocratie ukrainienne. Lancés depuis des camions par salves de cinq engins à la fois ces munitions rôdeuses sont difficiles à identifier au radar et donc à intercepter.

Appelés Geran-2 dans la nomenclature russe les Shahed 136 sont assemblés localement à partir de mars 2023. Par rapport aux versions d’origines ils disposent d’une charge de combat de quarante kilogrammes mais possèdent désormais un guidage via le système GLONASS, l’équivalent russe du GPS américain. À partir du moment où la Russie peut construire ses Geran-2, en plus des exemplaires vendus par l’Iran, ils seront massivement employés contre les cibles civiles ukrainiennes. Kharkiv, Kyïv, ou encore Odessa sont régulièrement les objectifs de ces engins. Entre mars 2023 et octobre 2024 les autorités ukrainiennes ont estimé que ces munitions rôdeuses russes d’origine iranienne avaient tué plus de 10 000 civils et en avait blessé quatre fois plus. Pour nombre d’historiens l’impact du Shahed 136 auprès des populations ukrainiennes est comparable à celle des V1 en Angleterre à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’Iran et la Russie ne sont pas les seules à employer cette munition rôdeuse. Téhéran en a livré aux groupes terroristes islamistes Hezbollah et Houthis. Ces derniers engagent leurs Shahed 136 aussi bien contre des civils innocents en Israël que face au trafic maritime mondiale dans la région du Golfe. Hezbollah et Houthis semblent tirer leurs munitions rôdeuses depuis des rampes et non des camions.

À l’automne 2025 on estime que plus de 20 000 exemplaires de l’HESA Shahed 136 ont été assemblés. L’Iran profite ainsi de la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine et sa souveraineté. On estime que 80 à 85% des Geran-2/Shahed 136 lancés sont interceptés. Les 15 à 20% restant continuent de tuer des civils.
Le Shahed 238 est une version profondément améliorée, dotée d’une propulsion à réaction.