Au tournant des années 2010, l’industrie aéronautique militaire chinoise entreprend une ambitieuse diversification de ses programmes de chasseurs de cinquième génération. À la différence du Chengdu J-20, porté dès l’origine par un soutien gouvernemental affirmé, le programme qui deviendra le Shenyang J-35 naît comme une initiative privée de la Shenyang Aircraft Corporation (SAC). En 2011, SAC lance le développement de manière autonome, sous la désignation FC-31 Gyrfalcon (Gerfaut), d’un chasseur furtif bimoteur, multirôle, susceptible d’intéresser tant les forces armées nationales que des clients étrangers exclus des marchés occidentaux. L’enjeu est double : briser la prédominance technologique de Chengdu sur les appareils furtifs chinois et fournir une plateforme opérationnelle adaptable, y compris aux besoins d’une aviation embarquée en pleine mutation.
Le contexte géopolitique de cette époque est marqué par la montée en puissance du F-35 Lightning II américain dans la région Indo-Pacifique et par une affirmation croissante de la puissance navale chinoise en mer de Chine méridionale. La nécessité de disposer d’un intercepteur embarqué de nouvelle génération s’impose face à un J-15 de conception lourde et reposant sur la cellule du Su-33, dont les limitations en matière de furtivité et de manœuvrabilité restreignent les capacités opérationnelles à long terme. Le FC-31 a sûrement été pensé dès l’origine par les ingénieurs de chez Shenyang comme une cellule adaptable à une double déclinaison : terrestre et navale, préfigurant ce qui deviendra plus tard le J-35A pour l’Armée de l’air et le J-35 standard pour la Marine.
Le premier vol du prototype intervient en octobre 2012 depuis le site d’essai de Shenyang. Ce premier exemplaire, encore motorisé par deux turboréacteurs russes Klimov RD-93, est propulsé à une vitesse proche de Mach 1,8, avec une autonomie opérationnelle estimée à 1200 km en configuration furtive. L’architecture de ce démonstrateur repose sur une cellule en alliage aluminium-lithium et matériaux composites, des entrées d’air en S masquant les aubes de moteur, et une soute interne permettant l’emport de six missiles air-air PL-10 ou PL-15. Les lignes générales, la verrière mono-pièce et les empennages inclinés vers l’extérieur rappellent les codes visuels et l’esthétique générale du F-35, bien que l’appareil conserve sa configuration bimoteur distinctive.
Les essais initiaux mettent en lumière des performances prometteuses mais perfectibles. La sous-motorisation constitue le principal frein, de même que certaines limitations des systèmes de vol. En 2016, SAC présente un prototype entièrement remanié, parfois désigné FC-31 V2, intégrant un fuselage allongé, des surfaces de contrôle augmentées et des empennages verticaux redessinés. Cette nouvelle version améliore nettement la stabilité longitudinale, la capacité de manœuvre à haute incidence et la charge utile, estimée alors à 8 tonnes réparties entre soutes et points d’emport externes.
Entre 2017 et 2019, sous l’effet conjugué de pressions opérationnelles et d’un soutien renforcé de la part de la Marine de l’Armée populaire de libération, le programme est intégré formellement à la planification militaire chinoise. Deux variantes distinctes émergent : la version embarquée J-35, destinée aux futurs porte-avions à catapultes comme le Type 003 Fujian, et la version terrestre J-35A, optimisée pour l’Armée de l’air. Ce dernier modèle abandonne certaines contraintes structurelles liées à l’appontage, ce qui permet un allègement significatif et l’intégration anticipée des moteurs chinois WS-19, en développement avancé, capables de délivrer environ 9500 kgp de poussée avec postcombustion.
Le J-35 embarqué conserve un train d’atterrissage renforcé, une crosse d’appontage, ainsi que des points d’ancrage spécifiques pour les catapultes électromagnétiques. Sa mise en service est planifiée en parallèle de l’entrée en fonctions opérationnelles du Fujian, conçu pour accueillir des appareils plus lourds et complexes que les précédents porte-avions STOBAR chinois. Les premiers essais dynamiques sur pont simulé débutent en 2022, avant des campagnes d’intégration embarquée qui se seraient poursuivies à bord du Liaoning, utilisé comme plate-forme d’évaluation. La version navale vise des missions d’interception longue portée, de supériorité aérienne navale et de frappe profonde, avec un effort marqué sur la guerre en réseau et les capacités d’interopérabilité avec les drones type GJ-11 Sharp Sword.
La version J-35A, quant à elle, se distingue par sa priorité donnée à la vitesse, à l’autonomie et à l’avionique de dernière génération. Elle est conçue comme un intercepteur longue portée doté de capacités d’engagement multibande, de capteurs multispectraux (radar AESA, capteurs IRST et systèmes de guerre électronique) et d’une intégration réseau étroite avec les plateformes de détection sol-air ou aéroportées chinoises. Les essais de pré-série, menés entre 2023 et 2024, culminent avec une présentation remarquée lors du salon de Zhuhai 2024, où quatre appareils exécutent des démonstrations de manœuvrabilité à basse vitesse et de montée rapide qui impressionnent les observateurs étrangers. La reconnaissance officielle de la variante terrestre est ainsi consolidée.
L’appareil, dans ses deux versions, semble naturellement offrir des performances supérieures à celles du J-10C ou du J-16, notamment en ce qui concerne la furtivité et la survivabilité dans un environnement hostile. Son rayon d’action opérationnel dépasserait les 1800 km avec des réservoirs conformes, et sa configuration multi-rôle lui permet l’emport aussi bien de missiles air-air longue portée que de munitions guidées de précision. Le J-35A pourrait ainsi devenir un complément stratégique au J-20, plus lourd et centré sur la pénétration en profondeur.
La mise en production du J-35 débute en pré-série autour de 2023, avec une estimation variant entre 50 et 200 appareils selon les projections les plus récentes. Les installations de SAC ont été adaptées pour permettre une cadence maximale de 24 exemplaires par an. Les premières unités à être dotées de la version navale devraient être des escadrilles expérimentales de la marine basées à Sanya ou Qingdao, tandis que la version terrestre serait attribuée aux régiments de chasse d’élite stationnés en Mongolie intérieure et dans le Hubei.
Le potentiel d’exportation, toujours évoqué mais évidemment non concrétisé, reste central dans la stratégie d’AVIC. Le FC-31 dans sa version d’export serait proposé à des partenaires comme le Pakistan — déjà client du JF-17 Thunder — ou à des États du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord en quête d’une alternative abordable au F-35. Toutefois, l’adoption massive à l’international dépendra de la maturité des chaînes logistiques et de la fiabilité des systèmes embarqués, en particulier des moteurs WS-19 et des modules radar locaux.
À l’heure actuelle, les capacités opérationnelles complètes du J-35 ne sont pas encore atteintes, mais l’appareil représente déjà une rupture technologique majeure. Il marque la transition d’une industrie chinoise dépendante de modèles russes (voire soviétiques) vers une capacité de conception autochtone avancée, tournée vers les standards occidentaux (sans nécessairement les copier). L’entrée en service progressive des versions navales et terrestres, couplée à leur intégration dans des architectures de guerre en réseau, devrait profondément remodeler la posture aérienne de la Chine dans la décennie à venir.
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