Au même titre que la Jeep, le bazooka, ou encore la bombe atomique le bombardier Boeing B-17 Flying Fortress fait quasiment parti des images d’Épinal de l’engagement américain dans la Seconde Guerre mondiale tant cet avion a marqué de son empreinte l’histoire du conflit. Voire même l’Histoire tout court. Et pourtant les missions qu’on lui confia ne furent pas toujours aussi évidentes que de déverser des tonnes de bombes sur les villes allemandes et italiennes de jour comme de nuit. Ce bombardier lourd sut même s’adapter à d’autres tâches beaucoup plus surprenantes, comme celles confiées aux six seuls et uniques exemplaires reçus par la Royal Canadian Air Force à partir de décembre 1943.
À cette époque le bombardier quadrimoteur de Boeing était déjà devenu un des pires cauchemars de la population allemande qui avait appris à se cacher de ses raids meurtriers et dévastateurs. Cependant c’était dans un tout autre registre que les Canadiens se préparaient à les faire entrer en service : le transport de courriers !
Il faut dire que jusque là les hydravions commerciaux Boeing 314 et Short S.23 Empire appartenant à la British Overseas Airways Company assuraient les liaisons postales transatlantiques entre les États-Unis et/ou le Canada et le Royaume-Uni. Et ce aussi bien pour le compte des troupes britanniques que pour celles des autres pays membres du Commonwealth. Cependant le premier ministre britannique Sir Winston Churchill décida de mettre fin à ce service et pria (avec beaucoup d’insistance) son allié canadien de prendre le relais. Ainsi les hydravions de la BOAC pourraient être réaffectés à des tâches plus prioritaires comme le transport des troupes ou bien le rapatriement des blessés.
De ce fait le 18 octobre 1943 l’état-major canadien mit sur pied le 168th Squadron de la Royal Canadian Air Force, une unité de transport lourd dédiée aux missions postales transatlantiques. Néanmoins un souci, de taille, subsistait : l’unité ne possédait pas le moindre avion ! En fait pour pouvoir traverser l’océan Atlantique les pilotes canadiens devaient voler sur quadrimoteur et l’avion le plus évident à cette époque était l’ultramoderne Douglas C-54 Skymaster. Une demande fut donc faite pour que les Américains en livre six au titre de la loi de prêt-bail.
Une demande qui à la grande surprise canadienne fut immédiatement refusée au motif que le C-54 Skymaster était produit à trop petite cadence pour être livré à un autre destinataire que l’US Army Air Force.
Dans le même temps, conscients que la mission qui s’annonçait aux pilotes de la Royal Canadian Air Force n’allait pas être de tout repos les généraux américains cherchèrent une alternative au C-54. Ils proposèrent alors de livrer deux lots de bombardiers Boeing B-17 Flying Fortress aux Canadiens, avec la liberté pour ces derniers de les transformer en avions de transport. Une telle option existait déjà puisque le constructeur avait fait voler en août 1943 un tel avion destiné au transport personnel du général Douglas MacArthur et désigné Boeing C-108. Bon gré mal gré l’état-major canadien accepta la proposition américaine tout en plaçant une option sur la livraison au cours du printemps 1944 pour six Consolidated C-87 Liberator Express, acceptée cette fois ci par l’US Department of War.
Lorsque le 4 décembre 1943 les deux premiers avions arrivèrent sur la base de Rockliffe dans la banlieue d’Ottawa la capitale canadienne ils portaient encore les marquages de l’US Army Air Force… ainsi que leur armement défensif. Il s’agissait alors de deux B-17F. Trois jours plus tard un troisième avion similaire atterrit sur la base.
Globalement ces machines étaient alors en bon état général, ayant en fait peu servis au feu.
À cette époque la gronde montait au Royaume Uni où les soldats canadiens n’avaient plus reçu de courriers de leurs proches depuis des semaines, en fait depuis la fin du service de la BOAC. De ce fait il ne faut pas tarder pour commencer les missions, d’autant que les sacs postaux s’accumulent dans les dépôts militaires.
Une fois le premier d’entre-eux repeint à la hâte aux couleurs canadiennes il s’élance pour ses premiers vols d’entraînement. Il faut dire que les pilotes réquisitionnés alors pour servir au sein du 168th Squadron n’ont aucune expérience de ce quadrimoteur. La majorité des pilotes canadiens provient d’unités volant alors sur des bimoteurs Avro Anson, Douglas Digby, ou encore Lockheed Electra. Le Boeing Fortress est donc pour eux une véritable découverte. Le 15 décembre un quatrième avion atterrit à Rockliffe, il s’agit cette fois d’un B-17E ayant participé aux combats dans le Pacifique.
Finalement le premier équipage s’envole pour l’Angleterre au lendemain de Noël 1943 avec deux tonnes et demi de sacs postaux en lieu et place des bombes. Les mitrailleuses, elles, sont bien en place en dehors de celles de sabords ôtées pour permettre de gagner de la place. C’est donc un étrange B-17F qui prend les airs car il a tout d’un bombardier lambda sans ce qui en fait par nature même l’essence. L’avion mettra un peu moins de quinze heures pour rallier le Royaume Uni et apporter sa précieuse cargaison.
Il prend l’indicatif radio de Mailcan, ce qui deviendra par la suite celui de l’unité.
Dès lors les vols s’enchaînent avec dans l’esprit des pilotes canadiens que ces avions ne sont finalement que transitoires au sein du 168th Squadron, en attendant mieux à savoir les Consolidated C-87. Le 1er et le 2 février 1944 ce sont pourtant bien deux B-17E qui viennent d’atterrir sur le tarmac de Rockliffe. Le premier d’entre eux d’ailleurs a atterrit avec difficulté sur trois moteurs au lieu de quatre. Et pour cause l’un d’entre eux est carbonisé, il a brûlé et ça ne date pas de quelques heures. C’est un scandale pour l’état-major canadien qui envoie immédiatement une récrimination à Washington DC. La réponse ne se fera pas tarder, sous la forme d’une plate excuse selon laquelle un fonctionnaire se serait trompé d’avion affecté. Pour autant le B-17E devra bien demeurer au Canada. Les mécanos de Rockliffe vont aller de découvertes en découvertes avec cette machine. Ils retrouvèrent même un manifeste de vol qui attestait que l’avion avait été réformé par le 19th Bomber Group américain évoluant alors dans la Pacifique après avoir été fortement touché par la DCA japonaise.
Dans le même temps les vols transatlantiques continuaient, avec à chaque fois pour les équipages la même appréhension avant de s’attaquer à l’Atlantique nord. Il faut dire que si le ciel allemand était libre de tous chasseurs il n’en était pas encore de même de l’océan où les hydravions de la Luftwaffe continuaient de voler tranquillement depuis leur base française de Biscarrosse. Or au fur et à mesure des semaines les mécanos canadiens avaient allégés leurs B-17 en leur ôtant petit à petit les mitrailleuses et en obstruant les tourelles. Un drôle d’équipement apparait pourtant à bord des avions : des bancs en bois. En effet désormais en plus du courrier et des colis de faible masse les Mailcan vont devoir transporter des troupes.
En mars 1944 la sentence tombe : aucun Consolidated C-87 n’est disponible pour les pilotes du Mailcan qui devront se contenter de leurs B-17. Dans le même temps l’état-major modifie leur route aérienne. Désormais outre les traditionnelles escales au Québec et à Terre Neuve les avions fonce droit au sud pour rejoindre l’archipel des Açores puis après une escale technique c’est la direction de Gibraltar.
La colonie britannique du sud de l’Espagne sert également de repos nocturne pour les équipages canadiens : soit ils redécollent le lendemain matin pour rentrer au pays avec le courrier soit ils prennent la direction du sud de l’Angleterre en évitant soigneusement de survoler la France occupée.
Le sort voulu que le premier avion perdu par le 168th Squadron fut le B-17E numéro 41-2581 celui là même qui avait été radié par les Américains après sa rencontre avec les artilleurs nippons. Le 2 avril 1944 alors qu’il décollait de la base écossaise de Prestwick l’avion heurta la cime d’un bosquet d’arbres et s’écrasa quelques dizaines de mètres plus loin tuant l’ensemble de ses cinq membres d’équipage. L’enquête menée par la Royal Air Force attesta que l’avion avait été trop lourdement chargé.
Par la suite c’est le 17 septembre 1944 qu’un des trois B-17E est perdu lors de son atterrissage à Rockliffe au retour d’une mission. Le train d’atterrissage se rompt en touchant le sol et l’avion glisse sur la piste. Les cinq hommes d’équipage ont juste le temps de sauter de l’avion… en marche. On relèvera une épaule démise sur le copilote et une entorse à la cheville pour l’un des mitrailleurs. C’est un miracle. L’avion lui est bon pour la casse. Pour autant les quatre B-17 encore en état de vol continuent leur dur labeur au-dessus de l’Atlantique nord.
Le 10 octobre 1944 un télégramme arrive à Rockliffe annonçant l’arrivée prochaine de trois Liberator Express livrés par les Américains à la demande des Britanniques. En fait ceux-ci étaient secrètement annoncés au 168th Squadron depuis le mois d’août mais pour d’obscures raisons administratives ils étaient retenus en douanes de l’autre côté de la frontière. L’état-major de l’unité se fait une joie de recevoir ses trois Consolidated C-87. Elle sera de courte durée. En effet les avions n’étaient pas du tout des machines de transport mais des B-24D Liberator de bombardement lourd auquel on avait ôté à la hâte une partie de l’armement défensif. La soute à bombe, elle, demeurait bien en place.
Le 15 décembre 1944, date anniversaire de l’atterrissage du troisième avion de l’unité, le 168th Squadron connut un nouveau drame. Ce même avion s’abîma en mer au large des côtes marocaines, les cinq membres d’équipages sont déclarés portés disparus et morts en mer. Par la suite c’est un des trois B-24D qui connut un incident majeur lors d’un décollage de Rockliffe le 2 février 1945 quand un de ses moteurs prit feu après avoir heurté une volée d’oiseaux. L’équipage s’en sortit sain et sauf mais l’avion fut immobilisé plusieurs semaines durant.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale prit fin le 168th Squadron de la Royal Canadian Air Force avait réalisé 220 vols transatlantiques complets. Pour autant les opérations aériennes n’étaient pas terminées pour lui. Fin octobre 1945 en accord avec les autorités américaines, britanniques, françaises, et soviétiques deux des B-17 Mailcan décollèrent d’Angleterre à destination de Varsovie afin d’apporter une aide médicale sous la forme de trois tonnes et demi de pénicilline cependant un seul des deux avions arriva à bon port, l’autre s’écrasa près de la ville de Münster dans l’ouest de l’Allemagne en raison d’une mauvaise météo.
Finalement le 168th Squadron canadien fut démantelé en avril 1946 après 240 missions transatlantiques remplies et ses avions encore en état de vol radiés des cadres militaires. Ainsi se terminait l’histoire peu banale d’une escadrille pas comme les autres. Peut-être plus encore que toutes les autres unités alliées ayant eu à voler sur B-17 le 168th Squadron dut beaucoup à ses mécanos qui firent des merveilles pour tirer profit de leurs avions, et ce malgré l’état général de ces machines à leur arrivée. Jamais le 168th squadron ne reçut d’avion neuf de toute son histoire. Pour autant deux d’entre eux furent revendus en 1947 à un opérateur privé argentin qui les conserva jusqu’en 1964 dans le rôle d’avions de transport de fret. Ils ont fini entre les mains des ferrailleurs sud-américains.
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