Détourner un avion de ligne pour tenter d’empêcher la sortie des Aventures de Rabbi Jacob !

Plus de 45 ans après ce fait-divers paraît toujours aussi incroyable. Le jeudi 18 octobre 1973 Danielle Cravenne détourne un Boeing 727 d’Air France réalisant un vol régulier entre Paris et Nice. La jeune femme exige que le film comique «Les Aventures de Rabbi Jacob» soit censuré et ne sorte pas sur les écrans. Retour sur une affaire qui en son temps ne laissa pas insensible les Français.

Danielle Cravenne n’est pas pas totalement une inconnue en octobre 1973. Seconde épouse du publicitaire et producteur de cinéma Georges Cravenne (le créateur notamment de la cérémonie des Césars) c’est également une militante acharnée de la cause palestinienne. Et à cette époque cela veut dire quelque chose puisque les forces israéliennes mènent la guerre du Kippour contre leurs ennemis égyptiens et syriens. Madame Cravenne mène une campagne médiatique fort pour défendre les Palestiniens face à Israël.

À l’époque les films sortent encore au cinéma le jeudi et non le mercredi comme actuellement. Georges Cravenne s’occupe alors de la promotion de la nouvelle comédie réalisée par Gérard Oury et titrée : «Les Aventures de Rabbi Jacob». Il est alors le metteur en scène de gros succès populaires comme «Le Corniaud», «La Grande Vadrouille», «Le Cerveau», ou encore «La Folie des Grandeurs». Excusez du peu.
Oury retrouve d’ailleurs son acteur fétiche, la plus grande star comique de l’époque : Louis de Funès qui tient le haut de l’affiche du film aux côtés d’autres comédiens humoristiques de l’époque tels Claude Piéplu, Jacques François, Popeck, ou encore Suzie Delair. Mais le film fait aussi la part belle aux valeurs montantes du cinéma et de la scène française au travers de Claude Giraud, Henri Guibet, Miou-Miou, ou encore Gérard Darmon.

Le film est alors très attendu mais Danielle Cravenne ne l’entend pas de cette oreille. Elle estime qu’il tient un propos ouvertement sioniste et anti-palestinien. Elle décide alors de faire un acte criminel d’une portée lourde de conséquence mais très à la mode à l’époque : le détournement d’avion de ligne.
Quelques jours plus tôt le vendredi 21 septembre 1973 l’OACI, l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale, signe un traité à Rome autour justement de la question de la piraterie aérienne. Il insiste sur la souveraineté de chaque pays sur son espace aérien. Il faut dire que les détournement se multiplient dans le monde.

Or ce jeudi matin les contrôles sont quasiment inexistants à l’aéroport parisien d’Orly quand Danielle Cravenne monte à bord du Boeing 727-200 immatriculé F-BPJC. L’avion doit rallier Nice. La trentenaire transporte sur elle une carabine de calibre 22 Long Rifle et un pistolet… factice. À peine l’avion a t-il décollé que la passagère se transforme en pirate de l’air. Elle menace clairement l’équipage et les 82 passagers. Mais selon les témoins de l’affaire ses propos sont alors confus. Dans le cockpit elle explique par radio que si la sortie au cinéma du film «Les Aventures de Rabbi Jacob» n’est pas annulée elle fera exploser l’avion en vol.
À Paris on prend l’affaire très au sérieux.

À la radio toujours les négociations semblent porter très vite leurs fruits puisque Danielle Cravenne change d’avis. Elle ne veut plus faire exploser l’avion, d’autant qu’elle ne porte aucune bombe, mais demande à rejoindre Le Caire. Seulement voilà le Boeing 727-200 n’a pas assez de carburant en réservoir. Une solution est trouvée, en fait un plan d’intervention des forces de l’ordre est montée. Air France propose à Cravenne de poser son avion à Marignane afin de procéder à son avitaillement en carburant.
Dans le plus grand secret alors un commando du GIPN (le Groupe d’Intervention de la Police Nationale) de Marseille se met en place à l’aéroport. Ses policiers d’élite attendent le Boeing de pied ferme.

Et ce qui devait arriver arriva le Boeing 727-200 se pose sur l’aéroport provençal. Mis à l’écart pour avitailler en vue de son vol vers l’Égypte l’avion est immédiatement pris d’assaut par un commandos de policiers d’élite. Tout va très vite. Deux tirs sont entendus. Danielle Cravenne s’effondre. Elle a été atteinte d’une balle au thorax et d’une seconde au niveau de la tête. Vivante mais dans un état très grave la pirate de l’air est inconsciente quand les passagers sont évacués de l’avion. Elle est immédiatement prise en charge par des secouristes et conduite en ambulance vers un hôpital marseillais. Elle décède sur le chemin. Elle avait 35 ans.

Très rapidement un début de polémique éclate. Des témoins de l’accident, en fait deux passagers et une hôtesse de l’air, affirment que Danielle Cravenne ne tenait pas son fusil lors de l’assaut du GIPN. Une enquête est diligentée par la PJ marseillaise qui met en avant la légitime défense d’autrui, les policiers ont tiré en respectant le droit.
Georges Cravenne de son côté ne croit pas en cette thèse. Le veuf demande à ses deux avocats, Georges Kiejman et Robert Badinter, de porter plainte en son nom contre l’état. Ce sont alors deux des avocats les plus puissants en France, tous deux abolitionnistes. Malgré cela ils sont déboutés. Il n’y aura pas de procès de l’affaire Cravenne car l’affaire n’existe pas aux yeux de la justice.
Surtout très vite les médecins et l’entourage de la pirate de l’air mettent en avant ses fragilités psychologiques bien plus que son militantisme pro-Palestiniens. Madame Cravenne était sans doute un peu déséquilibrée. Suffisamment pour avoir l’idée de détourner un avion de ligne et donc pour prendre en otages tous ses passagers et membres d’équipage.

Et le film dans tout ça ?
Eh bien il est sorti sur les écrans. Et il a cartonné. Véritable phénomène de société il demeure aujourd’hui encore un des films français les plus rentables de l’histoire cinématographique. Avec «Les Aventures de Rabbi Jacob» l’acteur Louis de Funès réalisait là un de ses plus gros coups. Les scènes de la cuve de chewing-gum vert, de la danse hassidique en plein cœur de la rue des rosiers à Paris, ou encore de l’arrivée de la voiture du héros surmontée d’un bateau à moteur sous escorte de la garde républicaine entrant aux Invalides demeurent cultes. Aujourd’hui encore le film cartonne. À chacune de ses rediffusions (au moins une fois par an) il réunit entre 8 et 10 millions de téléspectateurs.

Photo © San Diego Air & Space Museum.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

11 réponses

  1. Je n’avais jamais entendu parler de ce fait divers. J’espere sincerement qu’elle pourrit en prison.
    Quand aux métodes des Palestiniens et de leurs amis (qui ne sont jamais allé au Moyen Orient) on a pu les apprécier l’année précédente aux Olympiades a Munich.

    1. D’où l’intérêt monsieur van Ackere de lire l’article en entier avant de le commenter. Vous auriez vu qu’elle ne « pourrit » pas (pour reprendre votre terme) en maison d’arrêt. Du coup votre commentaire n’a plus aucun intérêt !

  2. Je lève mon chapeau bien haut à Arnaud pour ce superbe article qui aurait fait un premier avril! La crise du COVID-19 qui sévit amène plusieurs chaînes de télévisions québécoises rediffuser les films d’humour dont les films de Monsieur Louis de Funès. Les Archives de Radio-Canada ont conservé une entrevue réalisée en novembre 1973, de Monsieur Louis de Funès accorde « une rare entrevue à la télévision canadienne à l’animatrice Lise Payette et son coanimateur Jacques Fauteux , dans le cadre de l’émission Appelez-Moi Lise. De Funès y était en compagnie du réalisateur Gérard Oury, lors de la sortie du film « Les Aventures de Rabbi Jacob ». Occasion pour le célèbre comédien de parler sérieusement de son style d’humour et de son métier.
    https://www.facebook.com/ArchivesRadioCanada/videos/entrevue-louis-de-funes-1973/10153919667626052/
    De Funès et Gérard Oury eurent l’audace de produire un film chef-d’œuvre sur un sujet très épineux à l’instar de Monsieur Charlie Chaplin avec Le Dictateur (The Great Dictator) 1940.
    J’apprécie plusieurs films de grand acteur mais j’ai un faible pour Le Petit Baigneur réalisé par Robert Dhéry, sorti en 1968.

    1. En ce qui me concerne mes « De Funès » favoris sont Oscar, Ni vu ni connu, L’homme-orchestre, et L’aile ou la cuisse. Mais à titre très personnel j’ai toujours préféré l’humour de Bourvil à celui de son comparse.

    2. « Le petit baigneur », j’aime aussi, et notamment (en plus d’aimer l’aviation) je m’intéresse également à la navale et le petit passage dans la rade de Toulon avec notamment le crépusculant Jean Bart, dans ce film, est une archive qui n’a pour moi pas de prix.

  3. Est-ce que les services de sécurité de l’état ont pris cette prise d’otages là comme exemple pour la prise d’otages d’Air France de 1994 ? Car les deux fin de prises d’otages et les assauts des forces d’interventions se ressemblent.

    1. Oui et non. Car entre 1973 et 1994 la donne était différente. 1994 c’est un acte terroriste réalisé par un commando entraîné alors que 1973 c’est l’acte d’une personne psychologiquement fragilisée. Mais en effet la prise d’otage de madame Cravenne fait désormais partie des scénarii de base utilisés par le GIGN et le RAID dans les procédures d’intervention en milieu confiné.

  4. Je n’avais jamais entendu cette histoire pour le moins étrange ! Rabbi Jacob est mon Louis de Funes préféré.

  5. je ne connaissais pas cette histoire, en effet cette dame devait être fatigue du cerveau pour espérer réussir…il est regrettable qu’on en parle plus dans les médias , un cas typique de personne bonne a être enfermer dans un asile de fou.

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