Fils de l’illustre aristocrate, diplomate et entrepreneur français Ferdinand de Lesseps, auquel on doit le canal de Suez, Jacques Marie de Lesseps est né à Paris, le 5 juillet 1883. Avec ses frères et sœurs, Jacques passe une bonne partie de son enfance sur l’avenue Montaigne, une des plus élégantes rues de Paris. Fasciné par l’aviation, il est inscrit dès septembre 1909 à l’école de pilotage d’Issy-les-Moulineaux en banlieue de Paris où il obtient son brevet de pilote en janvier 1910. En décembre 1909, le brillant élève devient le premier aviateur au monde à voler et à atterrir de nuit.
En mars 1910, il fait l’acquisition d’un des premiers Blériot XI à moteur Gnome, qu’il baptise Le Scarabée. À son bord, il réalise la deuxième traversée de la Manche par avion en mai 1910, moins d’un an après son illustre prédécesseur. Il gagne ainsi le Prix Ruinart de 12 500 francs-or attaché à cet exploit. En 1909, Louis Blériot avait déjà accompli cette prouesse, mais sa traversée ne fut pas prise en compte en raison d’erreurs qu’il a commises en remplissant les papiers d’enregistrement.
Invité à participer au tout premier Congrès international de l’air au Canada se tenant entre le 24 juin et le 2 juillet 1910 sur l’île de Montréal, Jacques de Lesseps traverse l’Atlantique par bateau avec ses deux avions Blériot. Aux commandes du Scarabée, il réalise le premier survol de la ville de Montréal par avion, le 2 juillet 1910. Déjà célèbre, l’exploit fait de lui un héros au Canada. Il est invité dans la communauté amérindienne de Kahnawake où les Mohawks lui confèrent le titre honorifique de Tehanerahontsowaner (Le Chef aux grandes ailes). Montréal n’est toutefois que la première étape d’une tournée Nord-Américaine durant laquelle il effectuera également le premier vol en avion au-dessus de Toronto. En octobre 1910, il est également le premier à survoler la statue de la Liberté, inaugurée en 1886 par son père en présence du président américain Grover Cleveland.
C’est lors de son premier séjour à Toronto qu’il rencontre Grace, fille de Sir William MacKenzie, magnat du rail et cofondateur du Canadian Northern Railway. MacKenzie invite de Lesseps à son somptueux manoir et lui présente ses trois filles. De Lesseps invite les sœurs MacKenzie à venir le voir voler à New York. Mais c’est Grace qu’il veut impressionner et elle devient la première canadienne, sinon la première femme au monde, à voler en avion quand de Lesseps lui fait voir Manhattan du haut des airs. De Lesseps se rend ensuite à Baltimore, puis retourne à Toronto où il se fiance avec Grace. Leur mariage a lieu à Londres en janvier 1911, suivi d’un voyage en Égypte où ils vogueront sur le canal de Suez. Le couple s’installe ensuite à Paris où naîtront leurs quatre enfants, soit deux filles et deux garçons.
La guerre vient toutefois bouleverser la vie de la jeune famille. Durant le conflit, la comtesse de Lesseps fait du bénévolat infirmier pour l’armée française. De son côté Jacques de Lesseps sert son pays comme aviateur. Volant surtout de nuit, il défend Paris contre les attaques de Zeppelins. Il réalise aussi 95 missions nocturnes de bombardement, en plus de vols photographiques et de reconnaissance. Héros de guerre, Lesseps reçoit huit citations pour bravoure, la Croix de Guerre ainsi que la Croix de chevalier de la Légion d’honneur. Les américains lui attribuent aussi la Distinguished Service Cross.
En 1919, Henri Balleyguier, un ancien commandant d’escadrille ayant combattu avec de Lesseps, fonde la Compagnie Aérienne Française (CAF) et recrute son compagnon d’armes. La guerre a toutefois laissé des séquelles et le mariage de Lesseps ne va plus. En 1920, Grace retourne au Canada avec ses jeunes enfants. La CAF est choisie en 1925 par le Gouvernement du Québec pour réaliser des relevés aériens de la péninsule gaspésienne. Voulant sans doute se rapprocher de ses enfants, Jacques de Lesseps devient le directeur d’exploitation et Chef-pilote de la CAF au Québec. Deux premiers hydravions Shreck FBA 17 sont importés d’Europe par bateau. De Lesseps établit une hydrobase principale à Gaspé en 1926, puis une seconde à Val-Brillant sur les rives du lac Matapédia. Le siège de l’entreprise se trouve dans la ville de Québec afin d’accéder à l’atelier photo et la cartothèque du gouvernement québécois. En 1927 s’ajoutent deux autres Shreck FBA 17 et un hydravion FBA 21 de plus grande taille pouvant transporter fret et passagers pour relier Gaspé, Val Brillant, Québec et Montréal. Vivant à Toronto avec leur mère, les enfants de Jacques viennent passer leurs vacances d’été à Gaspé et accompagnent parfois leur père dans le ciel.
Grâce à ses talents de pilote et d’organisateur, de Lesseps permettra à la CAF de photographier, en deux saisons de vol, plus de 24 000 km² du territoire gaspésien. La très grande qualité des photographies obliques prises à basse altitude, tant en Gaspésie, qu’à Québec et Montréal permettront aussi de produire des cartes postales fort populaires. Le succès de la CAF au Québec provoque toutefois une réaction négative du gouvernement fédéral canadien qui revendique la compétence exclusive en aéronautique. De Lesseps se retrouve bien malgré lui au centre d’une querelle constitutionnelle durant laquelle le gouvernement fédéral tente de s’opposer à ce que le Québec ait recours à une compagnie étrangère, française de surcroît ! La CAF crée alors une filiale canadienne, soit la Compagnie aérienne Française-Canadienne (CAFC). Mais le gouvernement fédéral exige que l’entreprise ait recours à des pilotes de nationalité canadienne ou britannique. De Lesseps doit donc se résoudre à demander la nationalité canadienne, mais le gouvernement fédéral montre peu d’empressement d’accéder à sa demande. Ce bras de fer Québec/Ottawa dégénère lorsque que la presse anglo-canadienne lance une campagne de dénigrement à l’endroit de Jacques de Lesseps afin de faire fléchir le gouvernement québécois.
L’affaire va connaître un dénouement dramatique. De Lesseps est convoqué à Val-Brillant par le ministre québécois des Terres et Forêts, ainsi que le président de la CAFC venu de France, afin de discuter de la situation. Malgré des conditions météorologiques défavorables, il décolle de Gaspé le 18 octobre 1927 vers 13 heures avec son mécanicien Theodor Chichenko à bord du Schreck FBA 21. Quelques heures plus tard, on entend l’avion au-dessus de Val-Brillant, mais un épais brouillard l’empêche d’amerrir. On fait alors sonner les cloches de l’église et on braque vers le ciel les projecteurs de la compagnie de chemin de fer pendant toute la nuit. Trois jours plus tard, on retrouve le cockpit de l’appareil presque intact près de Matane, mais sans trace du pilote, ni du mécanicien. Les sangles de sécurité détachées indiquent que les deux occupants se sont probablement jetés à l’eau pour regagner la rive, suite à un amerrissage d’urgence sur le Saint-Laurent. Toutefois, personne ne survit longtemps dans les eaux froides de l’estuaire. Un mois plus tard, sur une plage de Port-au-Port de la côte ouest de Terre-Neuve, on découvre le corps de Lesseps dans sa combinaison de toile doublée de liège. On ne retrouva jamais la dépouille de son mécanicien.
Premier homme à admirer la Gaspésie du haut des airs, il était fasciné par les charmes de la péninsule et, en respect de ses dernières volontés, la dépouille du Chef aux grandes ailes fut ramenée à Gaspé pour y être inhumée. À l’instigation du Gouvernement du Québec, et de sa famille, un monument à la mémoire de Jacques De Lesseps fut inauguré en 1932 à Gaspé en présence de diverses personnalités publiques et proches amis, tel le journaliste Olivar Asselin à qui il écrivait : «Vous ne pouvez-vous imaginer le magnifique et émouvant spectacle que l’on peut avoir dans les cieux de Gaspé… Quelle merveilleuse vision offre aussi le contraste des couleurs entre la vaste péninsule et la mer qui la baigne: d’un côté, le velours vert et soyeux des forêts, artistiquement drapé suivant le caprice des monts et des vallées; de l’autre, le bleu du ciel, uni à celui du golfe éblouissant sous le soleil.»
Quant à la querelle constitutionnelle à l’origine de cette tragédie, Québec ne céda pas face à Ottawa. La CAFC poursuivra ses activités de photographie aérienne sur l’ensemble du territoire québécois jusqu’en 1934. Jacques de Lesseps et la CAFC laissèrent en héritage une imposante collection de photographies aériennes précieusement conservées par le Gouvernement du Québec. La contribution de Lesseps à l’histoire de l’aviation est toujours célébrée au Québec. L’historien-photographe Pierre Lahoud et le géographe Henri Dorion ont publié en 2009 le magnifique album La Gaspésie vue du ciel. Parmi plus de 2 500 clichés, ils ont repris près de 500 photos aériennes prises par De Lesseps pour comparer l’évolution du territoire gaspésien à plus de 80 ans d’intervalle. En juillet 2010, pour souligner le 100e anniversaire du premier vol motorisé au-dessus de Montréal, une réplique exacte du Blériot XI le Scarabée fut exposé dans le hall d’honneur de la Mairie. Cette réplique, réalisée par des bénévoles du Centre canadien de patrimoine aéronautique, a effectué son premier vol en 2014. En 2012, on inaugurait également le Parc Jacques-de-Lesseps, spécialement aménagé pour permettre aux chasseurs de photographies d’avions d’avoir une des meilleures vues qui soit sur les pistes de l’Aéroport international de Montréal.
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