Doflug D-3802

Pays neutre et enclavé dans l’Europe occidentale la Confédération Helvétique jouissait d’une position très particulière durant la Seconde Guerre mondiale. Entre le pouvoir hitlérien au nord et à l’est, le régime pétainiste à l’ouest, et le fascisme italien au sud ce pays ne comptait que des antagonismes, surtout au fur et à mesure des progressions alliées. Aussi la Suisse dut se débrouiller souvent seule afin de se doter de nouveaux matériels militaires, et ce afin de ne pas trop déprendre de fournisseurs allemands parfois encombrant diplomatiquement parlant. C’est pourquoi son industrie bricola parfois des engins surprenants à l’image d’un étonnant chasseur construit en très petite série et utilisé après-guerre pour de la défense aérienne : le Doflug D-3802.

Tout commença au début de l’année 1940 quand la société suisse Doflug fit l’acquisition du prototype français Morane-Saulnier MS.450. Celui-ci avait perdu quelques mois plus tôt sa compétition qui l’opposait au Dewoitine D.520 dans la catégorie C1, c’est à dire monoplace de chasse pour le compte de l’Armée de l’Air. L’idée de cette branche helvétique du géant allemand Dornier était de proposer aux Troupes d’Aviation Suisses un chasseur de nouvelle génération. Une équipe technique française fit le voyage jusque de l’autre côté du lac Léman. Là ils travaillèrent avec leurs collègues locaux sur une version améliorée de ce MS.450 devenu pour l’occasion MS.540.

Malheureusement pour eux ils durent très vite rentrer en France du fait du déclenchement des hostilités face à l’Allemagne nazie. Les ingénieurs suisses demeurèrent donc seuls aux commandes avec leur MS.450 transformés, bricolés diront certains, en MS.540.
Son moteur à douze cylindres en V Hispano-Suiza 12Y51 de 1050 chevaux avait été déposé, les ingénieurs de Doflug lui préférant le Saurer YS-2 de même architecture. Il s’agissait là d’une copie sous licence locale du Hispano-Suiza 12Z de 1250 chevaux. De même si le canon de 20 millimètres tirant au travers du moyeu de l’hélice fut conservé les deux mitrailleuses Darne de calibre 7.5 millimètres furent elles démontées et remplacées par des armes similaires de calibre 7.92 millimètres, de conception allemande et de fabrication locale.
Malheureusement Doflug fut obligé de stopper ses travaux sur le MS.540 dès l’été 1940. La diplomatie allemande l’exigea du fait des restrictions commerciales et industrielles touchant les entreprises des pays occupés désormais placés sous l’autorité nazie.
On crut alors le programme mort et enterré.

Sauf qu’en coulisses les ingénieurs suisses travaillaient toujours à l’élaboration d’un chasseur dérivé du Morane-Saulnier / Doflug MS.540. Ils lui avaient même attribué la désignation militaire de D-3802, alors même qu’aucune commande officielle n’existait.
Finalement à l’été 1942 les relations diplomatiques entre Berlin et Berne s’assagirent et permirent à Doflug de relancer officiellement le programme.

Malheureusement pour les ingénieurs suisses leur payait chèrement sa neutralité, et donc d’un point de vue industriel son isolement. Que ce soit les Allemands et les Italiens autant que les Américains et les Britanniques chacun rechignait à fournir à Doflug les matériaux demandés. Les revêtements en métal étaient jugés stratégiques par les forces de l’Axe autant que par les Alliés. Finalement moyennant quelques biais diplomatiques Allemands et Américains fournirent chacun de leur côté les précieux métaux et éléments mécaniques essentiels à l’assemblage du prototype du Doflug D-3802.

Extérieurement l’avion reprenait les grandes lignes du prototype Morane-Saulnier MS.450 mais avec quelques modifications bien visibles. En premier lieu donc le moteur à douze cylindres en V Saurer YS-2 d’une puissance de 1250 chevaux entraînant une hélice quadripale en métal et en second lieu les quatre mitrailleuses de voilure de calibre 7.92 millimètres en plus du canon nasal de calibre 20 millimètres. La verrière du poste de pilotage monoplace avait été revue et corrigée afin d’offrir une plus grande visibilité. Par rapport à l’avion français d’origine le Doflug D-3802 possédait une roulette de queue rectrable et non plus fixe. L’ensemble du train classique avait d’ailleurs été renforcé pour l’usage sur les pistes en herbe, très fréquentes à cette époque en Suisse.
C’est dans cette configuration que le prototype réalisa son premier vol le 29 septembre 1944.

Malgré quelques critiques émises notamment au niveau de l’armement jugé trop léger les Troupes d’Aviation Suisses passèrent immédiatement commande pour onze premiers exemplaires, considérés au départ comme étant de présérie. Les modifications majeures concernèrent donc la dépose des quatre mitrailleuses de voilure de calibre 7.92 millimètres remplacées par deux canons Hispano-Suiza HS-404 français assemblés localement d’un calibre de 20 millimètres, les mêmes que celui installé dans le nez du chasseur. Les autorités suisses estimèrent également qu’une charge de bombes sous voilure n’avait rien de nécessaire, le D-3802 étant appelé avant tout à mener des missions de défense aérienne diurne et d’interception.
Chaque canon était approvisionné à 90 obus pouvant être tirés en rafales courtes de trois ou cinq munitions à chaque fois.

Les modifications entrainèrent un retard certain du programme et le premier exemplaire de présérie, désigné Doflug D-3802A n’entra en service au sein du prestigieux Fliegerstaffel 17 qu’à l’été 1946. La guerre était alors terminée et la Suisse pouvait sans problème acquérir des matériels américains et britanniques sans craindre la ire d’une Allemagne désormais à genou. Et cette volonté d’ouverture vers les Alliés conduisit le D-3802 dans le mur. Aucune commande ultérieure ne fut passée, Berne lui préférant le North American P-51D Mustang.

De ce fait les onze avions de présérie devinrent des avions de série. Ils permirent cependant de mener des missions de chasse aux abords de ses frontières avec deux voisins démilitarisés, l’Allemagne et l’Autriche, une France restaurée dans sa république et ne présentant donc plus le moindre danger, et une Italie redevenue républicaine qui ne menaçait donc plus du tout l’intégrité helvétique. Pour autant les D-3802A réalisèrent leurs missions sans jamais faillir, et surtout sans jamais connaître le moindre accident mortel durant leurs dix années de carrière.
En effet c’est en septembre 1956, une fois sa dotation en De Havilland D.H.112 Venom complète, que le Fliegerstaffel 17 se sépara de ses avions.

Contrairement à l’EKW (K+W) D-3801 dont un modèle se produit régulièrement en meeting aérien aucun Doflug D-3802 n’est parvenu jusqu’à nous. Ils ont tous fini à la ferraille à la fin des années 1950, la Suisse n’ayant même pas conservé un seul exemplaire de celui qui reste certainement comme le plus abouti de ses chasseurs à moteur à pistons.
Il a par ailleurs donné naissance au remarquable D-3803, demeuré malheureusement sans suite.