Avant même le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, il était évident que l’aviation allait jouer un rôle déterminant lors l’inévitable conflit à venir. L’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre 1939 eut vite fait de convaincre même les plus sceptiques. Consciente de l’impératif de la maîtrise du ciel, la Grande-Bretagne avait déjà entrepris des discussions avec ses alliés du Commonwealth afin de mettre sur pied un programme conjoint de formation d’aviateurs.
Face au danger d’attaques ennemies, au lourd trafic aérien d’avions de guerre et de transport, les îles britanniques n’étaient pas appropriées pour y établir un nombre important d’unités de formation. Avec ses vastes espaces, ses importantes réserves de carburant, sa capacité industrielle et sa position géographique entre l’Atlantique et le Pacifique, le Canada était l’endroit de prédilection pour établir un programme de grande envergure pour la formation d’équipages pour la Royal Air Force (RAF), la Royal Australian Air Force (RAAF), la Royal Canadian Air Force (RCAF) et la Royal New Zealand Air Force (RNZAF). Les négociations finales entre les quatre gouvernements concernés se déroulèrent dans la capitale canadienne durant les premiers mois de la guerre et, le 17 décembre 1939, l’Air Training Agreement fut signé.
Parfois connu sous le nom d’Empire Air Training Scheme, le British Commonwealth Air Training Plan (BCATP) était une entreprise titanesque placée sous la gouverne du Canada qui en assuma les trois-quarts des coûts. L’objectif était de former 50 000 hommes d’équipage par année. Deux semaines avant la blitzkrieg contre la France, la Belgique et les Pays-Bas, le No.1 Initial Training School de Toronto ouvrait ses portes à une première cohorte de 221 volontaires. Fin 1941, soit sept mois plus tôt qu’initialement prévu, toutes les installations requises pour le BCATP étaient construites et le nombre de diplômés était le double de celui visé à l’origine. Ce vaste chantier impliqua la construction de 8300 bâtiments, de 148 nouveaux aérodromes ainsi que la mise à niveau de ceux déjà existants.

En 1939, la RCAF ne disposait que d’une flotte hétéroclite d’une cinquantaine d’avions en état de voler. Selon les termes l’Air Training Agreement signé à la fin de 1939, la Grande-Bretagne devait fournir la majorité des avions nécessaires au BCTAP. L’effondrement rapide de la France et de la force expéditionnaire britannique, face à l’invasion allemande, fit en sorte qu’un nombre limité de vieux appareils purent être acheminés au Canada. Malgré la neutralité affichée de son voisin américain, le Canada réussit néanmoins à obtenir un lot de 300 Boeing Stearman, d’une cinquantaine de North American Yale initialement destinés à la France, un lot de 140 Cessna Crane et une centaine de Northrop A-17 Nomad usagés, le temps que l’industrie aéronautique canadienne prenne la relève pour produire les milliers d’avions nécessaires. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Canada produira plus de 8 000 avions d’entraînement adaptés aux rigueurs de son climat, dont des Anson, des Harvard, des Tiger Moth, des Finch et des Cornell, sans compter les appareils de transport et de combat assemblés pour ses propres besoins et ceux de ses alliés.



Afin de faciliter la logistique sur un aussi vaste territoire, quatre Training Command (commandements régionaux) furent créés pour implanter le BCATP, soit le No.1 ayant son QG à Toronto, le No.2 à Winnipeg, le No.3 à Montréal (couvrant l’Est de l’Ontario, le Québec et les provinces de l’Atlantique) et finalement le No.4 à Calgary couvrant l’Ouest canadien. Chaque Training Command disposait de ses propres centres de recrutement et de formation.
La séquence de formation débutait par quatre semaines à un Manning Depot où les volontaires civils étaient transformés en militaires, suivi de huit semaines à un Initial Training School (ITS) pour acquérir des notions de base en aéronautique. Dès cette deuxième étape, les élèves qui démontraient un bon potentiel pour le pilotage se dirigeaient vers un Elementary Flying Training School (EFTS). Selon leurs aptitudes, les autres s’orientaient vers des écoles spécialisées formant les navigateurs, radiotélégraphistes, bombardiers/mitrailleurs et mécaniciens de bord.

Aux Stearman et vieux Tiger Moth initialement utilisés aux Elementary Flying Training School (EFTS) se joindront rapidement des centaines de DH.82C Tiger Moth assemblés par de Havilland Canada ainsi que des Fleet Finch tous deux mieux adaptés aux rigueurs du climat hivernal. À compter de 1942, des appareils Fairchild Cornell prendront la relève des biplans. Au Québec, trois EFTS furent mis sur pied aux aérodromes construits à l’Ancienne-Lorette, au Cap-de-la-Madeleine et à Windsor Mills.



Les gradués des EFTS poursuivaient leur formation aux Service Flying Training School (SFTS), dont une était localisée à l’aérodrome de Saint-Hubert au Québec. Ceux démontrant des aptitudes supérieures à la voltige aérienne étaient ciblés pour devenir pilotes de chasse et mis aux commandes de monomoteurs Harvard pour parfaire leur formation. Les autres, destinés à devenir pilotes de bombardiers ou d’avions de transport, étaient assignés à la formation sur des bimoteurs Airspeed Oxford, Cessna Crane et surtout Avro Anson qui seront fabriqués à près de 3 000 exemplaires au Canada.




L’étape ultime de formation des pilotes, se déroulait aux commandes d’avions de combat dans les Operational Training Unit (OTU), généralement situés en Grande-Bretagne, mais aussi au Canada où ils volaient sur des chasseurs Hawker Hurricane ou des bombardiers Bristol Bolingbroke, tous deux fabriqués au Canada. Un tel OTU existait notamment à la base aérienne de Bagotville qui défendait également un vaste complexe de production d’aluminium et la voie maritime du Saguenay au Québec.


Les équipages de bombardiers étaient formés aux Bombing and Gunnery School (BGS), qui utilisaient des appareils Fairey Battle et Westland Lysander avant l’arrivée des Bristol Bolingbroke. Au Québec, une telle école se situait à Mont-Joli qui faisait également office de base de défense de la voie maritime du fleuve Saint-Laurent. Les Air Observer School (AOS) permettaient de parfaire les connaissances en photographie aérienne, reconnaissance et navigation aérienne. Les radiotélégraphistes, quant à eux, étaient formés aux Wireless School (WS). Les AOS et WS utilisèrent une flotte hétéroclite d’avions bimoteurs ainsi que de monomoteurs tels que Noordyun Norseman, Fleet 60K Fort, Westland Lysander, et Stinson AT-19.






À la pénurie initiale d’avions, s’ajouta celle de pilotes expérimentés en mesure de former les recrues. Ayant épuisé le bassin de pilotes canadiens dès la fin de 1940 avec l’entrée en service d’un nombre croissant d’écoles de pilotage du BCATP, un réseau clandestin de recrutement de pilotes américains fut mis sur pied par nul autre que Billy Bishop, héros du ciel de la Première Guerre mondiale. Bien que les volontaires canadiens affluaient déjà dans les bureaux de recrutement du BCATP, un nombre croissant de jeunes américains traversaient également la frontière, attirés par l’aventure. Malgré la neutralité affichée des États-Unis, le président Roosevelt donna finalement sa bénédiction à cet exode qui va s’avérer, en bout de ligne, bénéfique pour l’aviation américaine. Peu de temps après les évènements de Pearl Harbor, 3 700 américains déjà bien formés et servant au sein du RCAF rejoignirent les forces armées américaines. Environ 5 000 américains compléteront tout de même la guerre dans des unités de la RCAF.

Ces américains ne seront toutefois pas les seuls étrangers à être formés au Canada dans le cadre du BCATP. Aux 72 835 diplômés canadiens, 42 110 britanniques, 9 606 australiens et 7 002 néo-zélandais, s’ajouteront environ 2 000 membres des Forces françaises libres, 725 norvégiens, 260 tchécoslovaques et un certain nombre de belges et hollandais. À son apogée, l’effectif du BCATP comptait 10 900 militaires soutenus par plus de 104 000 civils. Victime de son succès et face à la diminution des pertes d’équipages avec la domination aérienne croissante des alliés, le rythme de recrutement fut graduellement diminué à compter de février 1944 et le BCATP cessa ses opérations en mai 1945.

Aujourd’hui méconnu, le BCATP est le plus grand programme de formation d’aviateurs de l’histoire et contribua largement à la victoire des alliés. Le président américain Roosevelt qualifia d’ailleurs le Canada d’aérodrome de la démocratie. Aussi, Le BCATP fut à l’origine de la montée en puissance militaire du Canada dont l’aviation devint la quatrième en importance durant le conflit Les diplômés du BCATP permirent à la RCAF de constituer 40 escadrilles pour la défense des côtes canadiennes et des voies maritimes, ainsi que 45 escadrilles outre-mer. Le BCATP donna par ailleurs un coup de fouet à l’économie canadienne encore anémique dans la foulée de la Grande dépression des années 1930. À la fin de la guerre, la plupart des aérodromes du BCATP deviendront soit des bases aériennes de la RCAF ou des aéroports civils qui favoriseront une croissance phénoménale du transport aérien.
Le Canada assuma toutefois un très lourd tribut en aviateurs sacrifiés durant la guerre, particulièrement lors des missions du Bomber Command de la RAF. Les activités de formation du BCATP ne furent pas sans risque non plus, car sur les 856 pertes de vies humaines, plus de la moitié furent des canadiens.

Quant aux avions qui furent utilisés par le BCATP, il en subsiste un certain nombre, soigneusement restaurés, qui ornent des musées et qui font tourner les têtes lors de meetings aériens avec leur livrée jaune caractéristique.












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