Rolls-Royce Mustang Mk-X

Dans le monde de l’aviation les avions et hélicoptères expérimentaux tiennent une place réellement à part. On y retrouve aussi bien les purs prototypes, destinés ensuite à la fabrication en série, ou à la défaite lors de compétitions à l’image du Boeing X-32, que les aéronefs d’essais et de validations destinés à prouver des concepts tel le fameux Sud Ouest SO.6000 Triton. Une troisième catégorie est pourtant souvent délaissée, celle des bancs d’essais en vol. Il s’agit d’aéronefs strictement conçus et assemblés pour permettre de faire progresser la technologie voire même de développer ultérieurement des machines. Un des plus intéressants est lié à la Seconde Guerre mondiale : le Rolls-Royce Mustang Mk-X.

Au début de l’année 1942 la Royal Air Force reçut ses premiers North American Mustang Mk-I, des avions qu’elle avant en commande depuis trois ans. Conçus spécifiquement pour les besoins britanniques ces chasseurs se révélèrent très rapidement largement sous-motorisés, notamment pour les vols à haute altitude. Leur Allison V-1710 à douze cylindres en V étaient jugés largement insuffisants afin de permettre de remplacer les Curtiss Tomahawk Mk-IIA/Mk-IIB alors en dotation. Le problème semblait insoluble.

L’état-major britannique fit alors appel au motoriste Rolls-Royce, lequel dépêcha son pilote d’essais maison Ronnie Harker. L’idée des ingénieurs britanniques était d’établir lequel de leurs moteurs était le plus susceptible de remplacer durablement l’Allison V-1710 sur le chasseur. Et la réponse après seulement un vol d’essais sur Mustang Mk-I fut sans appel : le Merlin Mk-61, celui-là même qui avait été pensé pour le Supermarine Spitfire Mk-IX.
La Royal Air Force et le motoriste s’entendirent pour recevoir six exemplaires du Mustang Mk-I comme bancs d’essais. Ils reçurent la désignation officielle de Rolls-Royce Mustang Mk-X.

Ces avions portaient les codes tactiques suivants : AG518, AM121, AL963, AL975, AM203, et AM208. Le moteur Merlin Mk-61 fut donc adapté à ces avions sous la désignation de Merlin Mk-65. Le travail d’ingénierie consistait notamment à intégrer un moteur dans un avion de chasse qui n’avait pas été pensé pour lui sans le défigurer et donc sans le dégrader. Les premières tentatives se soldèrent par des échecs. Le Mustang Mk-I codé AG518 ne fut en fait jamais modifié au standard Mustang Mk-X.

Finalement les deux premiers exemplaires à recevoir le nouveau moteur furent l’AL963 et l’AL975 au cours du mois de juillet 1942. Le Merlin Mk-65 fit apparaitre sur le Mustang Mk-X une hélice quadripale de nouvelle génération. Et c’est le 13 octobre 1942 que l’AL975 réalisa le premier vol d’un de ces bancs d’essais volants. Très rapidement les résultats furent jugés hyper concluants. Les avions AL963 et AL975 évoluaient régulièrement entre 6250 et 6400 mètres d’altitude, à des vitesses comprises entre 670 et 685 kilomètres heures. Avec eux le P-51 Mustang répondait enfin aux exigences de la Royal Air Force.

L’US Army Air Force qui avait compris l’intérêt des travaux du motoriste américain exigea de recevoir également son Rolls-Royce Mustang Mk-X. La Royal Air Force expédia donc au VIII Fighter Command l’exemplaire codé AM121. Il vola cependant sous marquages britanniques. Et là encore les pilotes américains furent convaincus. L’avion était bien supérieur aux P-51A Mustang et aux avions d’attaque au sol A-36A Apache.

Rolls-Royce utilisa les AM203 et AM208 pour des essais de cohérence. Entendez par là que le motoriste voulut vérifier que les armes, les équipements radios, et même les peintures de chez North American étaient compatibles avec leurs transformations. L’AM203 fut même un Mustang Mk-X testé à la fois par les Britanniques et par les Américains.

Afin de se prémunir des chasseurs longue distance de la Luftwaffe, mais aussi de ses avions espions, le motoriste décida de porter la majorité des essais en vol de ses Mustang Mk-X sur son centre de tests de Hucknall dans le comté du Nottinghamshire, dans le centre de l’Angleterre. Lorsqu’un Mustang Mk-X était essayé en vol il n’était pas rare que des chasseurs de la Royal Air Force soient en maraudes à proximité. Tous les essais se firent au petit matin ou bien en toute fin d’après-midi, afin de minimiser le risque de rencontrer des avions allemands. De même les essais étaient tellement secrets que pratiquement toute la ville savait que Rolls-Royce travaillait sur l’amélioration d’un avion de chasse américain.
De son côté l’US Army Air Force testa l’avion depuis le terrain de RAF Bovingdon à une cinquantaine de kilomètres au nord-ouest de Londres.

À la fin de l’été 1942 Royal Air Force et US Army Air Force avaient été convaincues. Les Rolls-Royce Mustang Mk-X avaient fait le job. Les North American P-51B Mustang / Mustang Mk-II pouvaient arriver en unité avec leurs moteurs britanniques. Les bancs d’essais furent encore employés jusqu’à la fin de l’année 1943, globalement pour des améliorations de motorisation. Aucun ne connut le feu, n’étant jamais employé comme chasseurs.
Il est à signaler qu’à l’été 1943 le motoriste proposa à North American de concevoir un septième Mustang Mk-X afin de valider l’emploi du Griffon Mk-65, pensé pour le Supermarine Spitfire Mk-XIV. Après quelques hésitations Américains et Britanniques rejetèrent l’idée.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale la totalité des Rolls-Royce Mustang Mk-X avait été ferraillée. Aujourd’hui encore les historiens se disputent sur la signification du X, entre le chiffre 10 en romain et la lettre associée aux avions d’essais en vol. Et si finalement par facétie les Britanniques avaient juste mélangé les deux ? On ne le saura sans doute jamais.