Le 11 mai 1951 la pilote d’essais Jacqueline Auriol devient la femme la plus rapide du monde, établissant le record à 818,18 kilomètres heures sur un avion de présérie, sur cent kilomètres entre Istres et Avignon. Un an et demi plus tard elle l’augmente sur la même distance, sur le même trajet, le portant à 855,92 kilomètres heures. Nous sommes alors le 21 décembre 1952. Cette fois il s’agit d’un avion de série. Dans les deux cas l’appareil sera en fait du même modèle, un chasseur-bombardier monoréacteur Mistral construit par la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale l’industrie aéronautique française est à genoux. Quatre années et demi d’occupation allemande ont eu raison d’elle, et les sabotages de 1944-1945 ont laissé l’outillage inopérant. L’Armée de l’Air se doit de s’équiper en urgence auprès des Alliés, c’est à dire dans son cas des Américains et des Britanniques. Il est alors hors de question de se tourner vers les Soviétiques. Après des mois et des mois de vache maigre un accord est trouvé début 1949 afin que la SNCASE, la Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est, puisse assemblé localement un lot de quatre-vingt-onze chasseurs-bombardiers monoréacteurs De Havilland Vampire FB Mk-5. Trois exemplaires sont livrés déjà construits par l’avionneur britannique et les autres donc sous forme de kits. Au total quatre-vingt-quatorze avions de ce type entreront en service actif dans l’Armée de l’Air et d’une manière beaucoup plus marginale dans la Marine Nationale.
Malgré le fait qu’il permette aux pilotes français de se frotter au vol sur monoréacteur le Vampire FB Mk-5 ne donne pas pleine satisfaction à l’Armée de l’Air. En cause un réacteur De Havilland Goblin Mk-2 jugé trop peu fiable. L’état-major français demande alors à la SNCASE d’engager des négociations avec De Havilland en vue de l’obtention d’une licence élargie de production. Un accord est trouvé fin 1950 afin qu’un prototype et que trois avions de présérie soient assemblés autour d’un Rolls-Royce RB.41 Nene lui aussi construit en France, par Hispano-Suiza dans son cas. Le nouvel avion reçoit la désignation temporaire de Sud-Est Vampire Mk-53. Le prototype réalise son premier vol le 2 avril 1951 entre les mains du pilote d’essais Jacques Lecarme. C’est avec le premier avion de présérie que Jacqueline Auriol réalisera son vol historique un peu plus d’un mois plus tard.
Officiellement renommé SE.530 et baptisé Mistral les trois avions de présérie permettent à l’Armée de l’Air de disposer enfin de l’avion qu’elle désirait. Britanniques et Français tombent d’accord sur une production totale de 250 avions, sans possibilité de vente à l’export, autour d’un réacteur Hispano-Suiza Nene Mk-104 d’une poussée de 2270 kilogrammes. La version de série est désignée SE.532. Elle entre en service à la fin de l’année 1951. Jugé plus fiable et plus rapide que le Vampire FB Mk-5, 925 kilomètres heures de vitesse maximale pour le Mistral contre 850 pour son équivalent britannique, le nouveau chasseur n’est cependant lui aussi pas exclu d’accidents. Ainsi en 1952 des avions sont perdus accidentellement le 6 mai, le 4 octobre, et le 14 novembre. À chaque fois le pilote a été tué sur le coup.
Alors que les livraisons de Sud-Est SE.532 Mistral se poursuivent à un bon train ces trois accidents forcent l’Armée de l’Air à réclamer l’installation d’un siège éjectable. De ce fait une pause industrielle est réalisé après la réception du 97ème exemplaire de série. Les livraisons reprennent au printemps 1953 avec le premier SE.535. Outre ce nouveau dispositif de sécurité l’avion dispose désormais de la possibilité d’emporter et de tirer des roquettes T-10 françaises en lieu et place des HVAR britanniques jusque là employées. Le dernier Mistral de série sort des chaînes en mars 1954.
Dès le mois de février 1954 la majorité des SE.532 Mistral n’est plus utilisée pour la chasse mais pour l’appui tactique et l’attaque au sol. Les canons de calibre 20 millimètres sont employés pour des tirs air-sol en rafales courtes tandis que les cibles sont frappées avec des bombes de 227 et de 454 kilogrammes. Seuls les SE.535 servent encore pour la défense aériennes et l’interception. Les Mistral figurent parmi les premiers avions à réaction déployés par l’Armée de l’Air en Algérie suite aux évènements de la Toussaint Rouge en novembre 1954. Dans les semaines qui suivent ils assistent l’Armée de Terre dans les opérations anti-guérilla Eckhmül et Véronique.
Dès mars 1955 la quasi totalité des Sud-Est SE.532 / SE.535 Mistral a traversé la Méditerranée et se retrouve basée en Algérie. Les monoréacteurs sont rapidement employés dans l’attaque au sol contre les caches de résistance algérienne. Face à un ennemi aussi mobile et connaissant parfaitement son terrain les pilotes de Mistral sont désavantagés. Leurs avions ont été conçus pour la chasse pure pas pour la guerre asymétrique. Les résultats de leur emploi ne sont pas probants pour l’état-major de l’Armée de l’Air. En juin 1957 ils sont remplacés dans la fonction d’avions d’attaque au sol et d’appui aérien rapprochés par des Douglas AD-4N Skyraider et des North American T-6G Texan beaucoup plus rustiques et donc mieux adaptés. Sans être rapatriés dans l’Hexagone les Mistral poursuivent la guerre contre le FLN en réalisant des missions de chasse le long des frontières algériennes. Ils sont notamment chargés de contrôler que la résistance algérienne ne reçoive pas d’armes de l’étranger, principalement d’URSS.
Au début de l’année 1959 les SE.532 Mistral sont retirés du service, laissant les SE.535 désormais seuls encore en service. Cependant ils sont déjà obsolètes, notamment depuis l’arrivée dans l’Armée de l’Air des Dassault Mystère IV et surtout des ultramodernes Super Mystère B.2. Alors entre début 1960 et l’été 1961 époque de leur retrait du service ils reprennent les missions d’appui tactique et d’attaque au sol interrompues en 1957. Dès lors les Mistral sont engagés notamment dans le largage de bidons de napalm contre les caches du FLN. Cependant peu adaptés aux attaques à basse altitude plusieurs sont perdus en mission précipitant la décision de Paris de les envoyer vers une retraite bien méritée.
De nos jours le plus célèbre d’entre eux est sans aucun doute le Sud-Est SE.535 Mistral codé 7-CE et préservé dans le Hall de la Cocarde du Musée de l’Air et de l’Espace du Bourget. Comme l’accord d’origine le prévoyait aucun n’a été exporté, de ce fait après 1961 il n’est plus resté un seul Mistral en état de vol. Son aventure technologique a débouché ensuite sur celle du SE.201 Aquilon lui aussi issu d’un chasseur De Havilland mais conçu pour les besoins de la Marine Nationale. Eux aussi serviront en Algérie !
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