Martin EB-57 / RB-57 Intruder

L’affrontement Est Ouest entre les États-Unis et l’Union Soviétique donna naissance à un besoin croissant de savoir ce que le camp d’en face faisait. Jamais l’espionnage ne fut aussi intense au XXème siècle, y compris dans les airs. L’US Air Force avait ainsi la nécessité d’envoyer des avions au-dessus du territoire de l’URSS mais aussi de la Chine et de leurs satellites. C’est la raison pour laquelle elle se dota d’un vaste arsenal d’avion de reconnaissance stratégique et tactique mais aussi de surveillance électronique. Comme souvent avec elle c’est dans l’extrapolation de modèles existant déjà qu’elle découvrit des modèles particulièrement réussis. Ainsi le bombardier moyen d’origine britannique Martin B-57 Intruder donna naissance aux EB-57 et RB-57 tous deux spécialisés dans ces missions de renseignement.

En juin 1953 alors même que l’YB-57 de présérie n’avait pas encore réalisé son premier vol l’US Air Force demanda à Martin de développer une version de reconnaissance. Comme le bombardier s’appelait Type 272 dans sa nomenclature, le nouvel avion reçut celle de Type 272R. La lettre suffixe indiquant ici la mission spécifique de l’appareil. Avec l’obsolescence désormais avérée des Northrop RF-61C Reporter et tirant les enseignements de l’emploi du Lockheed RF-80A Photostar en Corée il était évident qu’une plateforme de reconnaissance photographique de jour et de nuit lui était essentiel. Le Type 272R reçut en août 1953 la désignation de RB-57A Intruder. Son premier exemplaire vola le mois suivant.

Il conservait la soute à armement du B-57A laquelle avait été adapté afin d’emporter douze bombes éclairantes permettant des prises de vue de haute qualité au-dessus du champs de bataille en pleine nuit, en accompagnement des formations de bombardiers. Deux appareils photos KA-22B de focale 152 millimètres pour la première et 305 millimètres pour la seconde permettaient de remplir à bien la mission. Un total de soixante-sept exemplaires fut commandé et fabriqué de zéro sur la même chaîne d’assemblage que les B-57A. Le Martin RB-57A entra en service en juillet 1954 au sein du 363rd Tactical Reconnaissance Wing. L’une de ses missions premières était de soutenir l’action des bombardiers du 345th Bomb Wing. Pourtant ils ne furent jamais engagé sur des opérations réelles, n’en ayant en fait pas le temps. Trois ans après leur entrée en service en première ligne ils furent remplacés par les premiers Douglas RB-66B Destroyer et McDonnell RF-101C Voodoo. Il fallait donc deux modèles d’avions afin d’en remplacer un seul. Une partie des avions fut reversée à l’Air National Guard qui les employa jusqu’en 1965 là encore sans jamais les sortir du territoire américain. Douze exemplaires eurent pourtant un rôle bien différent.

Plutôt que de continuer à prendre des photos ils furent renvoyés en usines et transformés en EB-57A Intruder. Ces avions n’était en fait pas (encore) dédiés à la reconnaissance électronique. Ils devaient simuler des avions ennemis menant des attaques électroniques contre des bases américaines. Versés eux aussi à une formation de l’Air National Guard il furent utilisés dans ce sens jusqu’en mars 1971.
Finalement les RB-57A puis les EB-57A démontrèrent aux généraux américains que le B-57 Intruder était parfaitement adapté aux missions de reconnaissance. Les versions suivantes pouvaient entrer en service.

Et tout commença avec les soixante RB-57B, les trois RB-57C, et surtout les vingt RB-57D. Ces avions virent leur soute à bombes déposée et remplacée par une soute à caméras et appareils photos. Si les RB-57B et RB-57C ressemblaient encore beaucoup aux bombardiers dont ils étaient issus les RB-57D leur envergure profondément accrue. De 19 mètres 50 sur les deux versions précédentes elle passa à 32 mètres 92 sur elle. Il faut dire que là où le RB-57B était un avion de reconnaissance tactique le RB-57D était lui destiné aux missions stratégiques à haute altitude et à l’espionnage aéroporté. À l’instar du Lockheed U-2A/B Dragonlady le RB-57D opérait régulièrement pour le compte de la CIA au-dessus du territoire soviétique. Et les trois RB-57C dans tout ça ? Ils ne sortirent en fait jamais de l’espace aérien américain puisque dédiés à l’entraînement avancé et à la transformation opérationnelle grâce à une double commande.

Particularité notable des Martin RB-57D Intruder certains furent fournis par les États-Unis à la Republic of China Air Force qui les employa sous ses marquages de nationalité pour des missions d’espionnage aéroporté. Ces avion espions taïwanais opéraient cependant en étroite collaboration avec la CIA. On ignore le nombre exact d’avions de ce type qui furent stationnés sur l’île de Formose.

Entre janvier 1964 et août 1966 la totalité des Martin RB-57B, RB-57C, et RB-57D fut retirée du service opérationnel. Plusieurs furent alors transformés avions de guerre électronique sous les désignations d’EB-57B, EB-57C, et EB-57D. Il s’agissait de respectivement vingt-deux, deux, et huit avions. Seuls les premiers furent réellement utilisés pour des missions de surveillance, et encore pas tous. Les dix premiers EB-57B eurent en effet la chance d’être envoyé en Asie du Sud-Est sur la zone d’opérations vietnamiennes afin de recueillir des données sur les positions des radars ennemis et de les brouiller. Les douze exemplaires suivants ainsi que les EB-57C et EB-57D furent versés aux Defense Systems Evaluation Squadrons de l’US Air Force qui formaient les équipages et bases aériennes à la guerre électronique. Porteurs de marquages haute visibilité à panneaux day glow rouges au niveau du nez et de l’empennage les Intruder de guerre électronique étaient donc employés comme avion d’entraînement avancé, on dirait aujourd’hui comme Aggressors.

À l’automne 1957 apparurent les trente-deux Martin EB-57E et les sept RB-57E. À l’instar des RB-57A ils furent construits de zéro sur les mêmes chaines d’assemblage que les B-57E. Si peu d’informations ont transpiré sur la courte utilisation nocturne au Vietnam des RB-57E on sait par contre que les EB-57E furent utilisés jusqu’en 1974 pour des missions d’espionnage électronique, aussi bien au-dessus de l’Europe de l’est que de l’URSS ou de la Chine. Ces avions permirent de véritablement défricher le domaine de vol des avions de surveillance électronique. Ils étaient activement employés pour brouilles les radars soviétiques, notamment lors de missions d’espionnage aéroporté.

Si les versions de reconnaissance pure Martin RB-57 Intruder ont quitté le service actif fin 1975 l’US Air Force a maintenu ses EB-57 jusqu’au début de la décennie suivante. Il semble que le dernier vol d’un EB-57D ait eu lieu en novembre 1982. Il est à signaler que contrairement à une idée reçue encore très présente l’English Electric Canberra PR Mk-9 n’est nullement lié aux RB-57 hormis l’avion de base. Après avoir entretenu la flotte de RB-57D l’avionneur General Dynamics s’est vu confié la conception et la réalisation d’un avion un temps appelé RB-57F et finalement connu comme WB-57F Night Intruder. La NASA également utilisa un EB-57B profondément modifié comme plateforme de soutien opérationnel, notamment lors de vols de recherches météos. Il fut utilisé jusqu’au début des années 1990.

En 2024 le National Museum of the US Air Force possède et expose deux avions de ce type, un Martin RB-57A et un RB-57D. Au total une grosse vingtaine d’EB-57 et RB-57 est préservée aux États-Unis, montrant ainsi l’impact de cet avion sur l’histoire aéronautique américaine. Laughlin AFB au Texas possède par ailleurs un EB-57B qui lui sert de gate guard.