Si la guerre froide apporta un enseignement majeur aux grandes forces aériennes c’est bien l’importance du recueil des renseignements par voie aérienne. Ce fut même l’âge d’or de l’espionnage aéroporté avec des aéronefs demeurés mythiques comme Lockheed U-2 Dragonlady et SR-71 Blackbird américains ou encore la version de reconnaissance du chasseur Mikoyan-Gurevitch MiG-25 Foxbat soviétique. L’effondrement du bloc communiste à l’aube des années 1990 ne tua cependant pas cette vocation, la faisant petit à petit muter vers une plus grande polyvalence. Ce fut la véritable apparition des avions de surveillance et de reconnaissance du champ de bataille. L’un des plus fameux, mais aussi des plus mystérieux était de facture américaine mais destiné aux forces britanniques : le Raytheon Sentinel.
Alors que la guerre froide venait tout juste de s’arrêter et que les cendres de l’Union Soviétique étaient encore chaudes les grandes puissances occidentales (États-Unis, France, et Grande Bretagne) s’engageaient dans la guerre du Golfe contre les forces irakiennes du dictateur baasiste Saddam Hussein. Leur objectif était de libérer le petit émirat du Koweït et de maintenir ainsi à flot le marché mondial du pétrole.
Face à une armée puissante mais finalement désordonnée comme celle de l’Irak de 1990-1991 les moyens de reconnaissance stratégique et d’espionnage aérien classique semblaient inadaptés.
C’est ainsi que naquit aux États-Unis mais aussi en Grande Bretagne une profonde mutation afin de mieux comprendre les réalités du champ de bataille. Outre-Atlantique le travail en commun de Boeing et de Northrop-Grumman allait déboucher sur le révolutionnaire E-8A J-Stars. Outre-Manche les Britanniques rêvaient d’un avion plus à la taille de leur RAF. Et en France dans tout ça ? Rien, l’Armée de l’Air demeurait à la traîne.
Sous l’acronyme d’ASTOR, pour Airborne STand-Off Radar, la Royal Air Force chercha à combler ce vide. Pour autant les baisses drastiques des budgets de défense voulues par les gouvernement Thatcher puis Major étaient passées par là. Et ce n’est finalement qu’avec un retour de budgets plus confortables, sous l’administration Blair, que la RAF put lancer son programme ASTOR.
Les industriels britanniques étant totalement dépassés par celui-ci ASTOR fut confié à l’entreprise américain Raytheon, avec charge pour elle de trouver le vecteur aérien compatible avec un tel projet. Dès le départ un avion d’affaire sembla être la machine idéale, restait encore à choisir lequel. L’appareil devait pouvoir recevoir les antennes d’intrados et d’extrados, dont certaines très volumineuses, sans risquer de voir ses capacités aérodynamiques trop réduites. Le recours à des stabilisateurs semblait évident.
Du fait de son réacteur central le triréacteur français Dassault Aviation Falcon 900 fut immédiatement recalé alors même qu’il présentait un fuselage adapté. Finalement Raytheon et la RAF tombèrent d’accord sur le Bombardier Global Express canadien, un biréacteur parfaitement adapté.
Le contrat fut officiellement signé en 1999 autour de cinq avions de série.
Le cœur de l’avion développé par Raytheon était le radar à ouverture synthétique DMRS (pour Dual Mode Radar Sensor) dont l’antenne était fixée sous l’intrados de fuselage, juste derrière la roue avant du train. Il a été calibré aussi bien pour la traque de cibles au sol qu’à la surface des flots. En outre l’ASTOR dispose de communications encryptées Liaisons 16 aux standards de l’OTAN. Des défenses passives contre les tirs missiles air-air et sol-air étaient emportés.
Outre les deux pilotes et copilotes dans le cockpit l’équipage se composait de trois opérateurs installés dans la partie arrière du Global Express.
Si le premier Global Express destiné à soutenir le programme ASTOR et donc appelé à être l’avion de présérie vola chez Bombardier en août 2001 il fallut attendre le 26 mai 2004 pour qu’il réalise réellement son premier vol en configuration d’avion de reconnaissance et de surveillance. C’est à cette époque qu’il reçut sa désignation officielle par la Royal Air Force.
Il devint ainsi Raytheon Sentinel R Mk-1.
Pour une raison uniquement administrative la RAF exigea que les quatre premiers exemplaires soient livrés en même temps que N° V Squadron qui devait les mettre en œuvre. Résultat ils ne débutèrent réellement leur carrière qu’au début de l’année 2008. Pour autant à partir de fin 2005 le Sentinel de présérie ainsi que le premier avion de série furent versés au N°54 Squadron. Celui-ci était chargé de la transformation opérationnelle des équipages de pilotage, autant que des opérateurs de mission.
Finalement l’année 2008 vit enfin la Royal Air Force dotée de ses avions ASTOR. Et très vite elle déploya ses Raytheon Sentinel R Mk-1 là où les militaires et services de renseignement britanniques avaient besoin d’eux. L’Afghanistan bien sûr mais aussi l’Irak post-Saddam Hussein furent les terrains de travail privilégiés de ces biréacteurs.
Bien vite cependant il devint évident qu’à l’usage le Sentinel était autre chose qu’un simple avion de surveillance du champ de bataille. Il se transforma rapidement en avion-espion, notamment le long des frontières avec la fédération de Russie.
La violente et soudaine annexion de la presqu’île de Crimée par Moscou et ses armées offrit un nouveau site géographique aux cinq Raytheon Sentinel R Mk-1 de la RAF : la Mer Noire. Un an plus tard la simplification des désignations britanniques fit de ces avions des Sentinel R.1. Dès lors ces avions opéraient partout où des guerres ou des tensions mettaient en péril les intérêts de Londres. On en retrouva même au-dessus du Sahel, en soutien des actions militaires françaises. Pourtant en 2015 ces avions n’avaient déjà plus la côte.
Le ministère britannique de la défense les jugeait chers à l’emploi. Leur remplacement par des avions moins onéreux et par des drones était acté.
En parallèle à partir de cette année là les Raytheon Sentinel R.1 devinrent des avions vedettes lors de meetings et show aériens comme le fameux RIAT. Une manière comme une autre de montrer aux contribuables britanniques un avion très décrié dans la presse, et notamment dans les tabloïds, pour sa supposée trop forte consommation en carburant.
Finalement en mars 2021 ces avions furent retirés du service au profit des Beechcraft Shadow R.1 et des futurs drones MALE General Atomics Protector RG.1.
Entre 2008 et 2021 les cinq Raytheon Sentinel R.1 n’ont connu aucun accident majeur ! Ils ont accumulé 32000 heures de vols en un peu moins de 5000 missions opérationnelles.
Selon le contrat signé entre Londres et Raytheon le Sentinel n’était pas appelé à être vendu à d’autres clients.
Le Raytheon Sentinel n’est qu’une des nombreuses versions militaires non canadiennes du Global Express, à l’image du Northrop-Grumman E-11 BACN ou encore du Saab GlobalEye. Alors que ces avions ont encore de belles années devant eux ceux de la RAF sont désormais destinés aux musées aéronautiques ou aux mâchoires d’acier des broyeuses de ferrailleurs.
Ainsi disparait un serviteur ô combien discret de la Couronne britannique.
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