Entre 1945 et 1960 la France fit tout pour rattraper son retard industriel. Elle se devait de retrouver la place qui avait été la sienne dans le concert des nations aéronautiques avant l’Occupation. Elle se lança ainsi tous azimuts dans des programmes, certains très ambitieux et d’autres un peu moins. L’hélicoptère était un de ses chantiers prioritaires, souhaitant capitaliser sur les travaux des années 1920-1930 autant que sur l’étude des machines allemandes de la Seconde Guerre mondiale. Un des précurseurs les plus étonnants à cette époque fut le petit biplace Sud-Est SE.3110.
Le début des années 1950 fut foisonnant de projets français dans le domaine des voilures tournantes. Alors qu’aux États-Unis le Bell Model 47 et en URSS le Mil Mi-1 Hare posaient les bases de la production en grande série des ingénieurs français planchaient sur des machines toutes plus différentes les unes que les autres. André Bruel à la SNCAN, Paul Morain à la SNCASO, René Dorand chez Bréguet mais aussi à la SNCAC, Jean Cantiniau chez Matra, Georges Lepère chez Giravia, ou encore Charles Marchetti et Pierre Renoux à la SNCASE ; chacun œuvrait dans son coin.
Ce dernier, Pierre Renoux, avait marqué un grand coup en 1948 avec son monoplace expérimental SE.3101. Il ne comptait pas en rester là et espérait capitaliser sur ce succès technologique en développant une version qui pourrait être produite en série. La Société Nationale de Construction Aéronautique du Sud-Est qui l’employait le mit en concurrence avec son collègue (et ami) Charles Marchetti. Ce dernier proposait à l’entreprise un autre appareil assez différent. L’hélicoptère de Renoux reçut la désignation de SE.3110 et celui de Marchetti de SE.3120.
Des deux c’est le Sud-Est SE.3110 qui était le plus avancé quand les programmes furent lancés. C’est donc autour de lui que se focalisèrent les travaux d’usinage. C’est à la Courneuve en proche banlieue parisienne, alors dans le département de la Seine, que l’hélicoptère vit le jour. Doté d’une esthétique bien plus poussée que le SE.3101 celui-ci se caractérisait par un poste de pilotage biplace côte à côte doté d’une bulle qui n’était pas sans rappeler celle du Bell Model 47. La ressemblance avec l’hélico américain s’arrêtait là car pour le reste le SE.3110 était très différent. Doté d’un fuselage complet, poutre de queue incluse, il était doté d’un très étonnant atterrisseur composé de deux roues fixes sur l’arrière et d’une quille formant un angle à 37° sous le nez. Il était mu par un moteur à neuf cylindres en étoile Salmson 9Nh d’une puissance de 200 chevaux, lequel actionnait le rotor principal tripale ainsi que le rotor anticouple en V. Ce dernier était clairement hérité du SE.3101 et fonctionnait selon le principe de pales de rotors engrainées.
C’est le pilote d’essais Jacques Lecarme qui réalisa le 10 juin 1950 le premier vol du Sud-Est SE.3110 directement depuis les usines de la Courneuve. L’hélicoptère portait l’immatriculation civile temporaire F-WFUE. Et rien ne se passa comme cela aurait dû.
L’hélicoptère ne réussit pas à s’élever au-delà d’un mètre de hauteur avant de chuter lourdement. Le train d’atterrissage fut endommagé obligeant Pierre Renoux et ses équipes à revoir leur copie. Devant cet échec cuisant la SNCASE lança l’assemblage finale du SE.3120 concurrent. Après ce premier (très timide) vol Jacques Lecarme parla d’un hélicoptère «impilotable». Malgré cela une nouvelle campagne de tests fut programmée pour la fin de l’été.
La Base Aérienne 107 de Villacoublay, alors dans le département de la Seine-et-Oise, avait été prévue comme théâtre de ceux-ci sous l’égide du Centre d’Essais en Vol. Pourtant les militaires n’avaient à l’époque aucune vue sur le SE.3110 dont ils savaient les trop grandes difficultés. C’est le pilote d’essais Henri Stakenburg qui tenta à son tour de faire décoller le prototype d’hélicoptère. Et là encore ce fut un refus de vol. Le SE.3110 ne dépassa pas les deux mètres «d’altitude» avant de nouveau de chuter lourdement. Là encore les dégâts étaient importants. Stakenburg s’en sortit avec une entorse au poignet et une furieuse envie de ne plus jamais remonter à bord de celui qu’il avait pourtant affectueusement surnommé la «burette à huile», en raison de sa forme générale.
Le programme du Sud-Est SE.3110 en resta là. Les équipes de la Courneuve ferraillèrent le prototype. Pour autant plusieurs éléments de l’appareil ne furent pas rejetés totalement. La forme très particulière de la bulle particulièrement vitrée du poste de pilotage était appelée à revenir quelques temps plus tard sur le Sud-Est SE.313 Alouette II puis sur les Aérospatiale SA.342 Gazelle et SA.360 Dauphin.
Aujourd’hui quasiment retombé dans l’oubli le Sud-Est SE.3110 est pourtant symptomatique d’une industrie aéronautique française qui ne se mettait aucune limite, quitte à quelque peu gâcher l’argent public. Car n’oublions pas que la SNCASE était à l’époque une entreprise d’état fonctionnant avec des subsides venant du contribuable. Pour autant qu’il fut raté ce petit hélicoptère possédait une architecture particulièrement moderne !
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