La rencontre entre un homme d’affaires visionnaire, un pilote légendaire et un concepteur d’aéronefs innovants a lancé l’aventure des Clippers volants. La collaboration entre Juan Trippe, Charles Lindbergh et Igor Sikorsky a marqué durablement l’histoire du développement des liaisons aériennes au long cours qui a débuté avec des hydravions. Le Sikorsky S-40 avait jeté les bases du réseau de lignes latino-américaines de Pan American Airways (Pan Am), fondée en 1927 par Juan Trippe. Afin de répondre aux besoins d’expansion de la Pan Am, et assouvir le rêve d’une éventuelle ligne commerciale transatlantique, un cahier de charges comprenant des exigences bien en avance sur leur temps fut élaboré. Le nouvel aéronef devait afficher un charge utile accrue et pouvoir transporter suffisamment de carburant pour 4000 km de vol sans escale, à une vitesse de croisière bien au-delà de la vitesse moyenne de n’importe quel hydravion de l’époque. Parmi les six constructeurs aéronautiques contactés, seuls deux ont relevé le défi: Glen Martin proposait son M-130 et Sikorsky son S-42. Ne voulant pas dépendre d’un seul constructeur, Juan Trippe accepta les deux offres. Le 1er octobre 1932, la Pan Am passait une commande ferme pour trois S-42, assortie d’une option pour sept appareils supplémentaires.
Le S-42 intégrait plusieurs innovations technologiques majeures. Sa construction entièrement métallique, tant pour sa structure que pour son recouvrement, utilisa des alliages d’aluminium qui lui conférait la robustesse et l’intégrité structurelle nécessaires pour transporter une charge utile remarquable de carburant, de passagers et de fret. Afin d’assurer la vitesse élevée requise pour les vols de croisière long-courrier, ainsi qu’une bonne stabilité par mauvais temps, le S-42 fut conçu avec une charge alaire exceptionnellement élevée de 13 kg/m². Cette charge alaire représentait plus du double de celle du Ford Trimotor, l’avion de ligne américain le plus populaire de l’époque. Une telle charge alaire exigeait d’autres innovations importantes, notamment un profil d’aile très performant, des volets hydrauliques pour réduire les vitesses de décollage et d’atterrissage, et des hélices à pas variable de conception nouvelle pour optimiser la puissance au décollage et la consommation de carburant en croisière.
Dès ses premiers vols d’essais, débutés le 30 mars 1934, le S-42 afficha d’impressionnantes capacités. Le 26 avril 1934, il transporta plus de huit tonnes de charge utile à 4 877 mètres d’altitude et, le 17 mai, il atteignit l’altitude record de 6 221 mètres avec une charge utile de plus de 5 000 kg. Le 1er août 1934, la Pan American effectua son propre vol d’essai du S-42 avant d’intégrer le nouvel appareil à sa flotte. Le pilote en chef de la Pan Am, Edwin Musick, le conseiller technique Charles Lindbergh et le pilote d’essai de Sikorsky, Boris Sergievsky, pilotèrent le S-42 sur un parcours de 2000 kilomètres, transportant l’équivalent du poids de 32 passagers, un équipage de cinq personnes et 907 kg de courrier et de fret. L’avion atteignit une vitesse moyenne de 254 km/h durant l’essai et établit huit records du monde de vitesse, de charge utile et d’altitude.
Le S-42 débuta ses premiers vols commerciaux en août 1934. Les premiers appareils livrés assuraient les liaisons de la Pan Am dans les Caraïbes et le long de la côte atlantique d’Amérique du Sud jusqu’à Rio de Janeiro. En 1935, le premier S-42A entra en service. Avec son aérodynamique amélioré, cette nouvelle version était dotée de moteurs Pratt & Whitney plus puissants (750ch), lui conférant une autonomie et une charge utile accrues. Vint ensuite le S-42B, entré en service en 1936, avec de nouvelles améliorations aérodynamiques et une capacité d’emport de carburant accrue. Avec son plus long rayon d’action, le S-42B inaugura en 1937 des vols réguliers vers les Bermudes.
Malgré les succès du S-42, le rêve de liaisons transatlantiques échappait toujours à Juan Trippe. Des vols de reconnaissance au-dessus de l’Atlantique, effectués en 1937 grâce à un S-42B aménagé à cette fin, avaient démontré la faisabilité de telles liaisons, tant par la route du Nord via Terre-Neuve, l’Irlande et l’Angleterre, que par celle du Sud en passant par les Bermudes, les Açores, Lisbonne et Marseille. Le défi n’était donc pas technique, mais plutôt de nature politique. À l’époque, les Britanniques ne disposaient d’aucun appareil capable d’égaler les hydravions américains au long cours. En contrôlant les droits d’amerrissage aux Bermudes et à Terre-Neuve (alors encore une colonie britannique), le Royaume-Uni bloqua les ambitions de la Pan Am, tant que les Britanniques ne disposèrent pas de leur propre aéronef aux performances similaires. Les Britanniques finirent par mettre au point un avion capable de rivaliser avec le S-42, mais la Pan Am inaugura sa première liaison transatlantique en 1939 avec le tout nouveau Boeing 314 beaucoup plus évolué.
Bien que les performances du S-42 aient constitué un progrès considérable par rapport aux appareils précédents de la Pan Am, il avait été conçu pour survoler les Caraïbes et éventuellement effectuer des vols transatlantiques, et son autonomie était nettement insuffisante pour effectuer des vols transpacifiques. La distance de plus de 3700 kilomètres entre San Francisco et Honolulu, première et plus longue étape d’un tel vol, dépassait largement la capacité d’un S-42 commercial. Juan Trippe comptait sur le futur Martin M-130 pour conquérir le Pacifique. Impatient, il fit modifier un S-42 pour entreprendre, dès 1935, des vols de reconnaissance à travers le Pacifique. Le second S-42 déjà assemblé par Sikorsky fut donc dépouillé de tous ses aménagements passagers et équipé de réservoirs de carburant supplémentaires pour effectuer le long vol entre la Californie et Hawaï. Nommé Pan Am Clipper, l’appareil effectue un premier vol de reconnaissance d’Alameda, en Californie, à Pearl Harbor, à Hawaï, en avril 1935. Bien que cet avion ne remporta pas la course folle vers les îles paradisiaques de l’archipel hawaïen, ce premier vol laissant présager une éventuelle liaison aérienne régulière entre ce lointain territoire américain et le continent. Plus tard, l’appareil effectua un vol historique en reliant San-Francisco à la Nouvelle-Zélande. Ce n’est qu’avec l’avènement du S-42B que la Pan Am commença à desservir certaines liaisons commerciales dans le Pacifique Sud à compter de 1937. En 1940, le S-42B va également survoler le Pacifique Nord en inaugurant des liaisons régulières entre Seattle et l’Alaska.
Décrit comme « le plus bel avion de son époque », le S-42 pouvait transporter plus de passagers aussi vite et sur une distance deux fois supérieure à celle du révolutionnaire Douglas DC-3 apparu en 1935. Pan Am fut le seul client des dix exemplaires assemblés par Sikorsky. La courte carrière des S-42 fut assombrie par quatre accidents tragiques impliquant la perte d’appareils et de vies humaines, dont le dernier en 1944. Un autre appareil inoccupé fut détruit le 8 décembre 1941 à Hong Kong, lors d’un raid de bombardement japonais. En 1946, la Pan Am retira le dernier S-42 encore en service et rejoignit les autres survivants à la casse. Seul le fuselage d’un des S-42 fut sauvé et réaménagé en 1947 par un couple de la Floride qui l’utilisa comme maison flottante pendant un certain temps. On ignore ce qu’il est advenu de ce bel oiseau amputé de ses ailes. Une triste fin pour un avion qui défricha les premières routes aériennes transocéaniques. Pour ce qui est de Charles Lindbergh, durant cette aventure il est tombé en amour avec Hawaï et y repose pour l’éternité.
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