Au début des années 2000, le marché mondial des hélicoptères biplaces d’entraînement se trouvait dans une situation de quasi-monopole, avec la firme américaine Robinson et son R-22 contrôlant près de 90% des parts de marché, les 10% restants revenant au Sikorsky S-300 (anciennement Hughes, puis Schweizer). Cette domination écrasante d’appareils équipés de moteurs à pistons de conception relativement ancienne allait pourtant être remise en question par l’audace et la détermination d’un ingénieur français, Bruno Guimbal, qui entreprit de révolutionner ce segment de marché avec le développement du Cabri G2.
Bruno Guimbal, fort de son expérience acquise chez Aérospatiale (futur Eurocopter), avait déjà fait ses preuves dans le domaine de l’innovation aéronautique. Durant ses études, il avait construit de ses propres mains un Varièze, avion biplace en tandem à plan canard aux lignes futuristes, avec lequel il avait survolé toute l’Europe. Son parcours professionnel chez Aérospatiale lui avait permis de déposer plus de 14 brevets, dont le célèbre rotor interpale qui permit en 1991 au Dauphin de battre le record de vitesse pour un hélicoptère de série avec 202 nœuds (364 km/h), record encore valable aujourd’hui. Cette invention technologique majeure équipe encore les hélicoptères modernes comme le NH-90.
Constatant les lacunes inhérentes au R-22 de Robinson, dont la conception remontait déjà à plusieurs décennies, Bruno Guimbal se lança à titre privé, mais avec le soutien d’Eurocopter, dans l’élaboration d’un prototype révolutionnaire. Le Cabri G2 se distinguait par une série de ruptures technologiques majeures par rapport aux appareils existants : une cellule entièrement construite en fibre de carbone, des sièges et patins anti-crash à absorption de chocs, un réservoir souple antifuite, un rotor principal à trois pales, un rotor de queue à fenestron, un allumage et une régulation électroniques du régime moteur, une soute à bagages, un glass cockpit intégrant toutes les indications sur un écran unique, et même une climatisation en option.
La dénomination Cabri G2 reflétait parfaitement l’esprit de l’appareil : au-delà de l’image du fringuant chevreau qui convenait parfaitement à cet hélicoptère léger et maniable, il s’agissait d’un acronyme pour « Confort in Autorotation Belongs to Rotor Inertia ». La forte inertie du rotor tripales conférait effectivement à l’appareil d’excellentes aptitudes à l’autorotation, cette manœuvre critique permettant, en cas de panne moteur, d’atterrir en douceur en utilisant le rotor principal comme frein à la descente, équivalent du frein moteur en automobile.
L’ingénieur créa sa société Hélicoptères Guimbal en 2002 sur l’aérodrome d’Aix-les-Milles, à quelques encablures de Marignane, berceau historique d’Eurocopter. Le premier vol du prototype eut lieu en 2005, et cette même année, le Cabri G2 établit un record remarquable en atteignant l’altitude de 6 658 mètres, record d’altitude pour un hélicoptère de moins de 500 kilogrammes. Deux ans plus tard, en 2007, l’appareil obtint le graal de la certification européenne EASA, devenant le seul hélicoptère à moteur à piston certifié simultanément CS27 et FAR27, deux normes particulièrement exigeantes concernant la sécurité. Le Cabri G2 présentait ainsi un niveau de sûreté qu’on ne rencontrait jusqu’alors que sur des machines plus lourdes équipées de turbines.
Le lancement commercial du Cabri G2 intervint en 2008, en pleine crise économique mondiale, dans un contexte particulièrement défavorable. L’effondrement du marché des voilures tournantes, consécutif à la chute du cours du pétrole qui entraîna un ralentissement des travaux offshore, gros consommateurs de transports héliportés, affecta sévèrement les écoles de pilotage qui constituaient la cible principale de l’appareil. Guimbal parvint cependant à traverser cette période difficile en réalisant des travaux d’ingénierie pour Eurocopter et en obtenant de la DGA un contrat de recherche sur les sièges anti-crash.
Malgré un prix de vente de 330 000 euros, soit 30% plus élevé que son concurrent principal, le Cabri G2 trouva progressivement sa clientèle en proposant un appareil haut de gamme aux performances supérieures. Les ventes augmentèrent progressivement, avec 25 livraisons en 2014, puis 44 en 2015. Cette année-là marqua un tournant historique : le Cabri G2 dépassa le R-22 de Robinson qui ne totalisait que 34 livraisons, prenant ainsi la place de leader mondial dans la catégorie des hélicoptères biplaces d’entraînement.
Désormais certifié sur tous les continents, le Cabri G2 devint un champion à l’exportation avec 90% des machines vendues à l’étranger. En 2017, les livraisons atteignaient 65 appareils et la construction d’une nouvelle usine était envisagée pour passer à un mode de production industriel. Cette réussite commerciale ouvrait également de nouvelles perspectives dans le domaine militaire, particulièrement dans le développement d’une version sans pilote.
L’avenir militaire du Cabri G2 se concrétisa lorsque Naval Group (ex-DCNS) et Airbus Helicopters le sélectionnèrent comme plateforme pour leur projet commun de drone embarqué VSR700, destiné à devenir le futur drone tactique à décollage vertical de la Marine Nationale. Cette sélection faisait suite aux essais menés par la Marine avec le Camcopter S-100 de la société autrichienne Schiebel à bord du patrouilleur de haute mer l’Adroit, qui avaient conclu à la nécessité d’un drone plus lourd et plus performant.
En août 2017, la Marine Nationale procéda à des essais d’appontage avec un Cabri G2 en version pilotée sur la frégate Forbin, validant ainsi le concept opérationnel. Avec une masse maximale au décollage de 700 kilogrammes, le VSR700 se positionnait stratégiquement entre le Camcopter (200 kg) et le Fire Scout (2 700 kg), drone à voilure tournante de l’US Navy.
Cette perspective militaire nécessitait le développement d’une version diesel du Cabri G2, défi technique considérable compte tenu des problèmes de poids, d’encombrement et surtout de vibrations inhérents aux moteurs diesel montés sur aéronefs. La Marine exigeait ce carburant pour des raisons de sécurité incendie, le gasoil étant quasiment ininflammable, ainsi que pour l’uniformité des carburants employés à bord, un moteur diesel pouvant consommer du kérosène. La DGA signa un contrat d’étude avec Naval Group, Airbus, Guimbal et Thales concernant le VSR700, dont le premier vol était prévu en 2018.
Dans le domaine civil, les perspectives d’évolution incluaient l’étude d’un Cabri G4 quadriplace, modèle qui viendrait combler une partie du vide dans la gamme des hélicoptères français, à l’heure où Airbus Helicopters, après avoir mis fin à la production du H120 (ex-EC-120), se détournait de la partie inférieure du marché.
Le succès du Cabri G2 illustre parfaitement la capacité de l’industrie aéronautique française à innover et à conquérir des marchés dominés par des acteurs établis. Grâce à ses innovations technologiques, sa certification rigoureuse et ses performances supérieures, cet hélicoptère biplace a réussi à s’imposer comme le nouveau standard mondial dans sa catégorie, démontrant que l’excellence technique française pouvait encore rivaliser avec succès sur les marchés internationaux les plus concurrentiels.
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