En septembre 1937, lorsque Deutsche Lufthansa soumit ses spécifications pour un hydravion commercial transatlantique révolutionnaire, les bureaux d’études de Blohm und Voss à Hambourg entreprirent la conception de ce qui allait devenir l’un des plus imposants hydravions de l’histoire de l’aviation. Le Bv 222 Viking répondait à une demande ambitieuse de la compagnie nationale allemande qui souhaitait établir une liaison directe entre Berlin et New York en vingt heures avec seize passagers en configuration couchettes ou vingt-quatre passagers pour des destinations plus courtes. Cette vision audacieuse d’un transport aérien intercontinental s’inscrivait dans la stratégie d’expansion commerciale du Troisième Reich, mais les événements historiques allaient rapidement détourner ce projet civil vers des applications militaires stratégiques.
Les travaux de développement débutèrent en 1938 sous la direction technique de Richard Vogt, ingénieur en chef chez Blohm und Voss. L’appareil se présentait sous la forme d’un imposant hydravion à coque centrale hexamoteur, propulsé par six moteurs BMW 323 radiaux développant chacun 1000 chevaux. Il possédait une envergure de 46 mètres et une longueur de 37 mètres, dimensions exceptionnelles qui en faisaient le plus grand hydravion de l’Axe à entrer en production opérationnelle. Sa conception intégrait des innovations techniques remarquables, notamment des flotteurs de stabilisation installés dans les ailes qui pouvaient se rétracter intégralement en vol pour optimiser les performances aérodynamiques. L’architecture interne privilégiait un vaste fuselage dépourvu de cloisons et d’infrastructures superflues, maximisant ainsi l’espace utile pour le transport de passagers ou de fret.
Le premier vol historique du prototype Bv 222 V-1 eut lieu en septembre 1940, marquant l’aboutissement de trois années de développement intensif. Les essais initiaux révélèrent des capacités opérationnelles impressionnantes avec une charge utile maximale de 19 tonnes ou la possibilité d’embarquer 92 hommes équipés. Cependant, l’évaluation technique démontra rapidement une faiblesse fondamentale : la motorisation BMW 323 s’avérait insuffisante pour exploiter pleinement le potentiel de cette cellule gigantesque. Cette limitation énergétique accompagna l’appareil durant toute sa carrière opérationnelle, bridant ses performances et compliquant ses missions tactiques.
Le BV 222 V1 effectua sept vols entre Hambourg et Kirkenes en Norvège jusqu’au 19 août 1941, transportant un total de 65 000 kg de fournitures et 221 blessés, sur une distance de 30 000 kilomètres au total. Ces premiers déploiements opérationnels confirmèrent les capacités logistiques exceptionnelles de l’appareil dans le contexte du transport stratégique allemand. Sept exemplaires de la version V-1 furent construits et entrèrent en service actif en 1942, principalement affectés aux missions de transport lourd sur les théâtres d’opérations éloignés.
L’engagement opérationnel du Viking s’intensifia rapidement avec son déploiement sur les différents théâtres européens et méditerranéens. L’appareil fut notamment utilisé pour une série de missions critiques à travers la Méditerranée, destinées à ravitailler l’Afrika Korps de Rommel en Afrique du Nord. Ces vols de transport stratégique révélèrent simultanément les capacités logistiques remarquables du Bv 222 et ses vulnérabilités tactiques face aux chasseurs alliés. L’armement défensif initial, composé d’une mitrailleuse de 13 mm en position avant et d’un canon de 20 mm dans une tourelle dorsale, s’avéra nettement insuffisant pour assurer une protection efficace contre les intercepteurs ennemis.
Les pertes opérationnelles ne tardèrent pas à s’accumuler. Des sept exemplaires V-1 construits, trois furent perdus en Méditerranée lors de combats aériens, un fut abattu près de Biscarosse par un chasseur de nuit allié, tandis que les autres furent sabordés ou détruits au sol pour éviter leur capture. Cette hécatombe opérationnelle souligna l’importance cruciale d’une escorte de chasse ou de vols nocturnes pour préserver ces appareils exceptionnellement vulnérables mais stratégiquement précieux.
Face à ces enseignements opérationnels, les ingénieurs de Blohm und Voss développèrent une version spécialisée, le Bv 222C, spécifiquement dédiée à la reconnaissance navale à long rayon d’action. Produite à seulement quatre exemplaires, cette variante intégrait un équipement électronique sophistiqué comprenant un radar de veille FuG 200 et des systèmes de communications longue portée adaptés aux missions de surveillance océanique. L’armement défensif fut considérablement renforcé avec cinq mitrailleuses de 13 mm et trois canons de 20 mm, dont deux installés dans des tourelles spécialement conçues et positionnées sur les ailes. L’accès en vol aux moteurs et aux positions d’armement s’effectuait par un longeron tubulaire d’un mètre de diamètre traversant l’aile, innovation technique permettant la maintenance et l’intervention de l’équipage durant les vols prolongés.
L’architecture générale du Viking témoignait d’une approche conceptuelle audacieuse pour l’époque. Son envergure exceptionnelle nécessita l’installation de coupoles de mitrailleuses au milieu des deux ailes, solution unique dans l’aviation de la Seconde Guerre mondiale. La coque hydrodynamique, conçue pour supporter les contraintes d’amerrissage et de décollage en mer forte, intégrait des renforts structurels considérables qui contribuaient malheureusement à l’alourdissement général de l’appareil. Malgré ces défis techniques, le comportement général en vol demeurait très satisfaisant selon les témoignages des équipages, l’appareil manifestant une stabilité remarquable et des qualités de vol appréciables compte tenu de ses dimensions hors normes.
La production totale du programme Bv 222 atteignit treize exemplaires, chiffre dérisoire comparé aux ambitions initiales mais reflétant les difficultés industrielles allemandes durant la guerre. Les dernières versions furent principalement affectées aux missions de reconnaissance maritime avec le Fliegerführer Atlantik, utilisant les capacités radar pour la surveillance des convois alliés et la coordination des attaques de U-Boot.
À la fin du conflit, trois exemplaires survécurent aux combats. Les forces américaines capturèrent deux appareils intacts qu’elles transférèrent aux États-Unis pour évaluation technique approfondie. Les Britanniques s’emparèrent du troisième exemplaire en Norvège et l’essayèrent longuement en Grande-Bretagne, analysant ses innovations techniques et ses capacités opérationnelles pour leurs propres programmes de développement d’hydravions lourds.
Le Blohm und Voss Bv 222 Viking demeure dans l’histoire de l’aviation comme une réalisation technique remarquable, illustration des ambitions industrielles allemandes de l’entre-deux-guerres et témoignage des défis considérables posés par la conception d’hydravions de transport lourd. Bien que son impact opérationnel soit demeuré limité par les contraintes de production et les vulnérabilités tactiques, cet appareil exceptionnel ouvrit la voie aux développements futurs de l’aviation de transport maritime et confirma la faisabilité technique des hydravions géants, préfigurant les réalisations d’après-guerre dans ce domaine spécialisé de l’aéronautique.
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