Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Douglas C-47 Skytrain était l’avion de transport le plus présent dans les rangs des forces américaines. Avec plus de 10 600 exemplaires produits aux États-Unis, l’appareil était omniprésent. A tel point même qu’il devint urgent en septembre 1945 d’amincir la flotte. De nombreux appareils furent vendus à des prix défiant toute concurrence, parfois même donnés, aux compagnies aériennes renaissantes, que ce soit en Europe, en Asie, ou sur le territoire américain.

Ces avions firent la joie des transporteurs, notamment pour les vols courts et moyens courriers, mais aussi pour l’aviation régionale. En effet, ils disposaient alors d’un avion réputé sûr, bien motorisé, d’un entretien aisé, et capable de transporter confortablement (pour l’époque) de 15 à 30 passagers suivant la destination. Les Dakota devinrent rapidement les vedettes de cette aviation civile d’après-guerre.
Cependant les milliers de Dakota en service dans les compagnies aériennes américaines, notamment dans les compagnies de seconde et de troisième zone (ceux que l’on nomme pudiquement les transporteurs mineurs), ne faisaient pas le bonheur des constructeurs d’avions, qui eurent le plus grand mal à vendre leurs avions sur un marché totalement bloqué par un seul et unique appareil.
C’est ainsi que naquit une des plus belles aventures technologiques de l’après-guerre, la recherche d’un successeur civil américain au Dakota. Et cette recherche commença dès 1946.
Le premier constructeur à se lancer dans la course n’était rien moins que Lockheed. Le célèbre avionneur de Burbank comptait bien sur son L-75 Saturn, un ambitieux bimoteur à aile haute, capable de transporter entre 10 et 14 passagers sur environ 1000 kilomètres. Malgré des avancées technologiques indiscutables, avec notamment son train d’atterrissage tricycle escamotable et sa capacité au transport de colis légers, l’appareil ne dépassa jamais le stade des essais en vol. Ses deux prototypes furent envoyés à la ferraille en 1948. Le Saturn était la première véritable victime civile du Dakota aux États-Unis, mais sûrement pas la dernière.

Cette même année deux avions légèrement plus chanceux firent également leur apparition. Le premier, le Martin 202 (prononcez Deux-Zéro-Deux) était un bimoteur classique destiné au transport court courrier de 30 passagers. Dès le départ le bimoteur de Martin séduisit les compagnies américaines, ce qui poussa notamment Northwest Airlines a en faire son principal avion de ligne en 1947. Cependant l’année suivante un accident stoppa net la carrière de l’avion, après l’assemblage de seulement 47 exemplaires. Martin tenta de développer deux sous-versions modernisées, le 303 et le 304 mais sans succès.
Le second avion était le Convair CV-240, d’architecture très proche du Martin 202. L’avion de Convair était en fait issu d’un prototype sans suite, le CV-110, abandonné faute de marché réel, là encore à cause de l’omniprésence du Dakota. Plus de 170 exemplaires du CV-240 furent produits, faisant de cet avion un véritable succès pour l’époque.

Boeing et Douglas n’eurent, à cette époque, pas les même succès. Le premier étudiait alors son modèle 417, un avion à aile haute bimoteur, assez similaire au Lockheed L-75 tandis que le second travaillait sur son très ambitieux DC-8 Skybus un bimoteur en tandem directement dérivé du prototype de bombardier XB-42 Mixmaster. Ni l’un ni l’autre ne dépassèrent le stade de la planche à dessins, le marché étant à l’époque trop peu ouvert pour autoriser leur développement.
Même Northrop s’essaya à l’exercice avec son N-23, un trimoteur de brousse dérivé de l’avion de transport militaire léger YC-125 Raider. Mais là encore le N-23 échoua lamentablement, ne suscitant aucun intérêt de la part des compagnies aérienne, et ce malgré les fantastiques capacités de décollages et d’atterrissages courts de l’avion.
En 1947, c’est l’avionneur Beechcraft qui lui aussi fit les frais du Dakota. Le célèbre constructeur avait développé un très original quadrimoteur à aile haute, doté d’un empennage papillon. Comme sur le Skybus de Douglas l’avion de Beechcraft disposait de moteurs en tandem. Donc on ne voyait extérieurement pas quatre mais deux moteurs. Baptisé Twin Quad, ou modèle 34, cet avion ne dépassa pas le stade du prototype. Il fut détruit en 1949 lors d’un vol d’essais.

L’une des idées les plus originales à l’époque vint justement de Douglas. Si on voulait remplacer le Dakota, il fallait proposer un nouveau Dakota. C’est ainsi que l’industriel proposa son DC-3S. Extérieurement il s’agissait d’un Dakota redessiné, mieux motorisé, et légèrement rallongé. Toutefois l’avion ne suscita là encore pas l’enthousiasme des clients. Par une certaine ironie du sort, c’est le marché militaire qui s’y intéressa et le DC-3S devint le R4D-8 (ou C-117), un avion utilisé durant les guerres de Corée et du Vietnam.
En 1950, Martin revint à la charge avec le principe simpliste de son 202, mais cette fois ci avec un avion dérivé nettement plus réussi le 404 (prononcez Quatre Zéro Quatre) un peu plus grand. Si les petites compagnies le boudèrent, il en fut tout autrement des principales, et notamment de TWA qui en fit son principal avion sur ses lignes intérieures. Un peu plus de cent exemplaires furent construits, et l’avion fut même acquis par les gardes-côtes américains sous la désignation de RM-1Z.
En ce début d’années 50, le seul constructeur qui semblait en passe de remplir pleinement les conditions pour apporter sur le marché le successeur du Dakota était bien Convair. Avec sa famille de bimoteurs CV-340 et CV-440 Metropolitan, dérivés directement du CV-240, il réussit le tour de force de concevoir et de vendre aux États-Unis et à l’export une famille d’avion conjuguant la modernité de l’époque avec la robustesse légendaire du Dakota. Au total près de 400 avions furent construits. Ce nombre doit cependant être nuancé quand on sait qu’une bonne partie fut assemblée pour les militaires américains en tant que T-29 d’entraînement et de C-131 de transport moyen.

Hormis quelques rares modifications de Dakota ou de bimoteurs Convair, le dénominateur commun de tous ces avions était leur propulsion par moteurs à pistons, généralement d’ailleurs en étoile ou en double étoile. Aussi lorsqu’un premier véritable appareil à turbopropulsion fit son apparition à la fin des années 50, beaucoup se dirent alors qu’on tenait enfin le successeur désigné pour le marché américain. Cet avion n’était en fait même pas véritablement un avion américain. Il s’agissait d’une copie sous licence du Fokker F.27 Friendship néerlandais. Construit par Fairchild-Hiller et désigné F-27, il donna par la suite naissance à une version réellement américanisée, désignée FH-227. Avec un peu plus de deux cents exemplaires produits on ne pouvait cependant pas réellement parler de succès phénoménal, d’autant que plusieurs avions furent vendus sur le marché européen, notamment en France.
Malgré tout Fairchild-Hiller avait ouvert la voie, et la mode était dorénavant aux turbopropulseurs. En 1958, justement c’est Grumman qui se lança sur le marché avec son G-159 Gulfstream, un biturbopropulseur à aile basse, qui n’était pas sans rappeler l’Avro 748 britannique de la même époque, mais en plus petit. Destiné au transport de quinze à vingt-cinq passagers le G-159 visait clairement au remplacement des Dakota. Mais là encore le succès ne fut pas celui qu’on attendait. Deux cents exemplaires seulement furent assemblés, dont plusieurs exemplaires étaient aménagés en avions d’affaire. Malgré son demi-échec le G-159 donna naissance à la lignée des jets d’affaires Gulfstream, une famille qui existe encore de nos jours.

En 1964, une société californienne fut montée pour développer et construire un avion de transport régional, désigné Sunrise Aircraft S.1600. Destiné au transport court courrier de 15 à 20 passagers, l’avion ne dépassa pas la planche à dessins, malgré des capitaux importants et un certain engouement des professionnels du secteur. Il faut dire qu’à l’époque l’US Air Force et l’US Navy se séparaient de leurs derniers C-47 datant de la Seconde Guerre mondiale, des avions qui furent très rarement ferraillés. Sunrise Aircraft n’y resista pas, et fut dissoute.
Plus de 20 ans après la fin de la guerre, le problème du Dakota semblait devenu impossible à combattre pour les constructeurs américains, sachant que les Européens eux aussi avaient connus une situation similaire. Même la toute puissante Aeroflot soviétique était passée par là. Mais ça c’est une autre histoire…

Aujourd’hui encore de nombreux Dakota volent aux États-Unis pour des compagnies « mineures », que ce soit en Alaska, en Californie, en Floride, ou au Texas. Relativisons tout de même, en rappelant qu’ils ne transportent désormais plus du fret. Preuve en est tout de même que, près de quatre-vingts ans après le premier vol de son prototype, le bimoteur de Douglas est vraiment un avion à part.
Photos (c) San Diego Air & Space Museum et Desert Air
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