Quand on regarde l’Armée de l’Air actuelle, avec sa gestion stricte, et son organisation rationnelle, on a du mal à imaginer que soixante ans auparavant cette même force aérienne ressemblait plus à un gigantesque vide grenier. S’y mêlèrent durant une demi-décennie des avions datant pour la plupart de la Seconde Guerre mondiale, voire auparavant, mais également des avions plus modernes qui menèrent rapidement la France dans le club alors très fermé des utilisateurs de jet de combat. Pour paraphraser le slogan du célèbre magasin parisien aujourd’hui disparu : Si on trouvait tout Paris à la Samaritaine, on trouvait toute la Seconde Guerre mondiale dans l’Armée de l’Air au lendemain de la Libération.
En 1945, la France était ruinée. Quatre années et demi d’occupation allemande et de privations ont mené l’économie du pays au plus bas. Les bombardements alliés ont souvent réduits à néant les voies de communications et les infrastructures industrielles, mais ce fut aussi le résultat des sabotages de la Résistance. Et de surcroît la France devait faire face aux premières grosses vagues de contestation outre-mer, prémices de la fin de son empire coloniale. L’Armée de l’Air était donc appelée une fois de plus à servir malgré le semblant de retour à la paix.
Fort évidemment, l’Armée de l’Air entre 1945 et 1950 disposait de beaucoup de matériels provenant des forces alliées, dont une partie d’anciens appareils des Forces Aériennes Françaises Libres. Ainsi l’Armée de l’Air utilisa sur cette période environ 300 Supermarine Spitfire, autant de Republic P-47, une centaine de Bell P-63 et de De Havilland Mosquito. Tous ces avions semblaient encore (presque) dans l’air du temps, même en 1950. Il en était tout autrement des Hawker Hurricane, Dewoitine D-520, Curtiss P-40, le Bell P-39, le Yakovlev Yak-3, voire de la vingtaine de Curtiss H75. Les Spitfire, P-39, P-63, et Mosquito reprirent rapidement le chemin des champs de bataille, en Indochine. Ces derniers avaient toutefois déjà connu le feu lors de la répression contre les émeutes malgaches en 1947.

Le rapatriement des soldats prisonniers en Allemagne mais également des déportés fut une des missions également de l’Armée de l’Air qui dut rapidement mettre en œuvre une flotte très hétéroclite d’avions de transport, et parfois même de bombardiers transformés : une cinquantaine de Douglas C-47, une vingtaine de bombardiers LéO-453 modifiés, une centaine de vieux Caudron Goéland, une vingtaine de bimoteurs Beech C-45, et une poignée de biplans De Havilland DH-89A. Mais l’Armée de l’Air utilisa également des avions à l’unité ou à deux ou trois pièces comme le Boeing B-17 ou le North American B-25, avions respectivement utilisés comme machines personnelles des généraux Kœnig et Leclerc.

Le bombardement justement, mission requérant une certaine précision et un minimum de modernité, était là encore très particulier. On y trouvait aussi bien des monomoteurs comme le Douglas A-24, la version terrestre du SBD Dauntless, ou encore le Vultee A-35. Mais comme souvent ce sont les multimoteurs qui remplirent le plus de missions de bombardement avec en premier lieu les bimoteurs Vickers Wellington et Martin B-26 Marauder. Quelques quadrimoteurs Handley-Page Halifax servirent eux aussi à cette époque. Ils furent soutenus par les Avro Anson, les Martin Baltimore, et les Westland Lysander des Escadrons de Police et de Sécurité, véritables unités de combat rapprochés et d’attaque au sol basées à l’époque dans les colonies françaises.
L’une des missions les plus importantes dans les forces aériennes depuis toujours réside dans la formation des équipages, et là encore c’était un sacré fouillis (pour ne pas dire autre chose) où l’on trouvait pêle-mêle : des North American T-6, des Vultee BT-13, des De Havilland Tiger Moth, des Stampe SV-4, des Morane-Saulnier MS-230 et MS-315, des Percival Proctor, des Miles Master et Magister, des biplans Potez 25, et quelques vieux Caudron Luciole. L’Armée de l’Air utilisa également à cette époque une dizaine de remorqueurs de cibles, principalement des Mosquito et des Amiot 354 modifiés.

Les SLA (Section de Liaisons Aériennes) et les GM (Groupes de Marche) eurent eux aussi leur lot d’avions de liaisons, de communication, voire de reconnaissance légère : Potez 25, Stinson L-5, Piper Cub, Caudron Simoun, Lockheed C-60, Airspeed Oxford, ou encore Klemm Kl 25 allemand.
La reconnaissance aérienne fut principalement confiée au Lockheed F-5 et au North American F-6. Quelques Mosquito leur apportèrent une aide salvatrice à la fin de 1949.
A la lecture de cette courte liste, on voit que les Alliés n’avaient pas été radins en matériels. Mais étaient ils tous réellement utiles ? On est en droit de se le demander. Une chose est sûre, ils étaient en nombre insuffisant. Tellement même que les industries nationales durent mettre rapidement la main à la pâte afin de fournir des machines secondaires, machines parfois surprenantes.
Ainsi les aviateurs français, la plupart du temps issus des FAFL, volèrent sur le grosse soixantaine de chasseurs SNCAC (Société Nationale de Construction Aéronautique du Centre) NC-900, sur les bombardiers rapides AAB (Ateliers Aéronautique de Boulogne) B-1, sur les avions de transport tactiques AAC (Ateliers Aéronautiques de Colombes) C-1 Toucan et SNCAC NC-702 Martinet, sur les avions de liaison Morane-Saulnier MS-500 Criquet et SNCAN (Société Nationale de Construction Aéronautique du Nord) N-1000, ou sur les avions d’entrainement SIPA (Société Industrielle Pour l’Aviation) S-11. Dit comme ça ces machines passeraient presque inaperçues, sauf si on sait que respectivement elles se nommaient auparavant Focke-Wulf Fw-190, Junkers Ju-88, Junkers Ju-52/3, Siebel Si-204, Fieseler Fi-156, Messerschmitt Bf-108, et Arado Ar-396. Si les Fw-190 ne restèrent que très peu de temps en service en France, il en est tout autrement des Tante-Ju qui volèrent jusqu’au début des années 60, époque à laquelle ils étaient totalement obsolètes, mais increvables. La particularité veut que l’Armée de l’Air ait utilisé trois fois plus de Ju-52/3 que de Dakota.

Si l’Armée de l’Air n’a jamais eu la volonté d’acquérir de porte-avions, laissant cela à l’Aéronautique Navale, elle n’en a pas pour autant disposer d’avions embarqués, c’est à dire adaptés aux appontages comme par exemple les chasseurs monomoteurs Grumman F6F Hellcat et F8F Bearcat ou encore les bombardiers torpilleurs Fairey Barracuda, utilisés pour des missions de reconnaissance.

Fort heureusement, l’Armée de l’Air sembla sortir la tête du trou au cours du second trimestre 1948 avec l’arrivée des premiers aéronefs « modernes ». Cela commença par la livraison du premier véritable avion de transport lourd, un Douglas C-54 qui demeura seul en service jusqu’en 1953, puis par l’arrivée des avions d’entrainement français Morane Saulnier Vanneau et des bimoteurs multi-rôles Dassault Flamant. Sud-Est participa également à cette modernisation avec ses quadrimoteurs Languedoc.

En 1950, la chasse connut un boom technologique sans équivalent : l’arrivée des avions à réaction d’abord avec le De Havilland Vampire britannique puis à la fin de l’année avec le Dassault Ouragan. Les voilures tournantes avaient fait leur apparition grâce au Hiller UH-12 et Sikorsky H-55. La France s’était considérablement modernisée, elle en avait eu besoin, un nouveau conflit venait d’apparaître : la Guerre Froide. Mais là c’est une autre histoire…

Il faut toute de même remarquer la robustesse de machines comme le Junkers Ju-52/3, le Republic P-47, le Siebel Si 204, ou encore le Piper Cub qui participèrent à toutes les guerres de décolonisation, y compris celle d’Algérie. Un seul regret pour cette époque : si l’Armée de l’Air avait eu l’idée de conserver un exemplaire de chacun de ces appareils, nous aurions en France l’un des plus beaux musées sur l’arme aérienne durant la Seconde Guerre mondiale. Dommage.

Photos (c) Photothèque du Service Historique de la Défense & US Congress Library
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