Les salons d’Aviation des années 30, reflets de l’aviation française

Ce contenu est une partie du dossier thématique : L’Aviation en France durant les années Trente

Aller au salon, hier comme aujourd’hui, c’est avoir un aperçu de l’aviation de son époque, et le fréquenter sur une décennie permet de saisir l’évolution des machines, des techniques, des doctrines, des concurrences.

On s’en doute, l’évolution de l’aviation française au cours des années trente est l’histoire d’un déclin, de la perte de la prééminence qui était la sienne au lendemain de la Grande Guerre. On verra au fil de ces manifestations s’exercer d’importantes mutations industrielles, techniques, stratégiques, politiques. Et surtout on n’oubliera pas le contexte international qui fait passer nos grands pères de l’illusion des traités de paix et du pacifisme aux dures réalités de la Grande Dépression et de la montée des fascismes vecteurs de guerre.

Le nom de « Salon d’Aviation » est stable depuis 1924 (auparavant dénommé « Exposition Internationale de la Locomotion Aérienne, ou bien « Salon de l’Aéronautique ») ainsi que la fréquence bisannuelle.

C’est au Grand Palais que se déroulent les salons, avec toutes les contraintes que l’on devine : démontage et remontage des avions, entassement dans un fouillis d’ailes et de haubans, limite pour les grosses machines, de plus en plus nombreuses et difficulté des démonstrations en vol qui se font sur les aéroports de la région parisienne, de plus en plus au Bourget, qui s’impose progressivement comme l’aéroport de Paris. Les Parisiens peuvent venir voir les machines. C’est un grand évènement, inauguré par le Président de la République, Gaston Doumergue puis Albert Lebrun. Il faut dire que ces genres de manifestations sont la principale occupation des premiers magistrats de la Troisième République, avec la formation (fréquente) des gouvernements.

Le salon de 1930

Le salon de 1930 se déroule comme d’habitude en toute fin d’année, pendant environ un mois. Il s’internationalise et cette tendance se confirmera toujours plus. Les avions français restent certes majoritaires (48 contre 5 allemands, 3 anglais, 2 polonais et deux italiens). Deux fois plus d’appareils civils car le marché militaire redémarre à peine. On croit aux garanties de paix internationales de la Société des Nations et on a vécu sur les stocks de 1918.

Les vedettes sont le gros hydravion allemand Dornier DO-S, plus petit que le DO-X mais surtout les avions de raid français qui font oublier le triomphe américain sur l’Atlantique nord : Le Bernard « Oiseau-canari » qui a traversé l’océan avec trois hommes (Assolant, Lefèvre et Lotti) plus… un passager clandestin, le Breguet XIX « Point d’Interrogation » de Costes et Bellonte venant d’effectuer le premier Paris-New York et le Laté 28 de la première liaison postale aérienne France-Amérique du Sud (Mermoz, Dabry et Gimié). Ce sont les héros du moment, idoles du public et magnifiés par la presse.

Cela cache les faiblesses de l’aviation française de l’époque :

  • Une pléthore de constructeurs, sans grands moyens industriels, sollicitant quelques commandes par des appuis politiques ou en battant quelque record anecdotique leur conférant une prime.
  • Une absence de recherche fondamentale en motorisation ou en aérodynamique contrairement aux Allemands (Göttingen) ou aux Américains (NACA)
  • Une aviation militaire dépendant de l’Armée et de la Marine, d’où le nombre impressionnant de modèles d’observation et d’hydravions, lents et dépassés. Il faut voir le sol et ne pas aller trop vite : l’aviation française va faire des avions « à la Vauban » comme disait Jacques Lecarme, hérissés de tourelles et de balcons, véritables offenses à l’écoulement de l’air comme l’Amiot 140.

Une aviation qui dépend de l’Etat au point de vue militaire bien sûr mais aussi dans le domaine commercial. Un ministère de l’Air existe depuis 1928 et Laurent Eynac, comme ses successeurs, tentera, en vain, de réorganiser la production aéronautique et de promouvoir l’innovation en nommant Albert Caquot directeur général technique. Celui-ci crée Sup’Aéro, mais les résistances sont énormes.

Les rares éléments de modernisme sont le Wibault 280T, le Couzinet 30 et le Blériot 111 à « atterrisseur escamotable ». Certainement pas le Blériot 125, monstre push-pull à deux poutres-fuselages. Ils sont civils mais le transport aérien est dans les limbes. Les lignes sont anecdotiques, elles sont financées par les états pour des questions de prestige ou de présence coloniale. On ne traverse pas les océans et il est risqué de prendre l’avion, à tel point que le journaliste de l’Illustration Henri Bouché ne voit aucun progrès dans l’utilité de l’aviation, sauf comme arme. C’est un sport dangereux, c’est tout !

Le salon de 1932

La Crise, la vraie sévit tout autour mais semble épargner la France. On est inquiet cependant. Il y a, il y aura toujours plus d’avions militaires, et toujours plus d’avions étrangers. Ils sont 17, presque tous monoplans. Le plus prometteur est le Dewoitine D.500, premier chasseur moderne à aile cantilever, et dans le domaine civil le Couzinet 33 fait rêver avec ses lignes harmonieuses. L’autogire fait parler de lui et on en espère beaucoup. Ce sont les premières voilures tournantes utilisables.

Les raids et records sont toujours à l’honneur avec les exploits de Doret et Le Brix. Ces derniers terminent tragiquement en Juillet 1931 leur tentative de record en ligne droite. Le Dewoitine D.33 « Trait d’union » s’écrase en Sibérie et seul Doret parvient à sauter en parachute. Les italiens sont là avec l’hydravion à deux coques Savoia Marchetti S66 titulaire aussi de nombreux records et héros de plusieurs grands raids pour le prestige de Mussolini.

Le salon de 1934

L’Internationalisation se poursuit : Junkers 52, Macchi MC.72 récent détenteur du record du monde de vitesse avec 709 km/h, les Polonais de PZL avec leur aile en mouette très à la mode. Encore et toujours les records et les raids évoqués au salon : raid « colonial » du général Vuillemin, la croisière noire sur 30 Potez 25, Codos et Rossi sur Blériot 110 ont battu le record de distance (Atlantique), Helène Boucher vient de se tuer sur Caudron Renault (record de vitesse féminin). Autre mode, espoir d’une aviation pour tous, le Pou du Ciel d’Henri Mignet.

Le salon de 1936

Le Front Populaire est au pouvoir et veut nationaliser entre autres l’industrie aéronautique (voir l’excellent article d’Arnaud sur ce même site et le focus sur l’aviation populaire). Une rationalisation est plus que nécessaire même car la guerre est à nos portes, en Espagne, l’Italie conquiert l’Éthiopie, Hitler tire un trait sur les traités et les espoirs de paix de la SDN et réarme ouvertement. D’ailleurs l’Italie et l’Allemagne ne participent pas à ce salon. Les Soviétiques envoient un avion de raid, le Tupolev Ant-25 qui a volé jusqu’aux États-Unis, le bimoteur Tupolev-4 et le Polikarpov I-17.

La France présente les chasseurs Morane Saulnier 405 et 406, le Caudron Renault de Marcel Riffard qui a permis à Détroyat de remporter la coupe Deutsch de la Meurthe. Mais des avions plus performants volent depuis quelques mois, le Messerschmitt Bf 109 et le Hurricane. On admire aussi le Bristol Blenheim et un beau projet d’avion… postal l’Amiot 341.

Farman montre son 222, évolution des bombardiers 221 de l’armée de l’air. Mais quand on sait que le Douglas DC-1 vole depuis 3 ans, sans parler du Lockheed Vega, du Boeing 247, du Northrop Alpha, on voit que la France a raté une révolution technique. Certes on a l’Arc-en-ciel et les hydravions prévus pour l’Atlantique (pas au salon bien sûr) comme les Latécoère 300 et 301 mais ils représentent plutôt le passé. D’ailleurs Mermoz, idole des français trouvera la mort à bord quelques jours après la fermeture du salon.

Le salon de 1938

Le salon le plus riche mais le plus menaçant ! La guerre est à nos portes, Hitler a déjà pris l’Autriche et la moitié de la Tchécoslovaquie, nous sommes entourés de Mussolini et de Franco sur les autres frontières et tout le monde s’arme au maximum. Mais notre industrie comme notre armée ont beaucoup de retard. On le voit au salon où les Messerschmitt Bf 109, Hurricane et Spitfire sont déjà en service dans leurs unités alors que le Bloch 152 et le Dewoitine D.520 font ou vont faire leur premier vol. Le beau LeO.451 impressionne par ses lignes et ses performances et commence à entrer en service mais on peine à lui trouver des moteurs. Gnome-Rhone et Hipano-Suiza eux aussi ont de retard sur Benz, Rolls-Royce, BMW. Le Potez 63, le Bloch 174 sont de beaux bimoteurs mais à la doctrine d’emploi floue (commandement à la chasse).

L’aviation française se redresse mais trop tard, on le saura bientôt. Défaillante tout au long de ces années de l’entre-deux guerres, elle a été réorganisée trop tard et dans la confusion. Dans le domaine civil, on tente d’imiter les grands hydravions des Américains et des Anglais (Boeing 314 Clipper et Short S.23 Empire) et on prépare le Latécoère 631, monstrueux hexamoteur dont la maquette volante est au salon (Potez-Cams 160). Air France fait voler de bons avions après une difficile période de transition (trop nombreux types d’appareils) comme le Bloch 220, les Dewoitine trimoteurs, les Wibault 283. On est cependant loin de rivaliser avec les Douglas DC-3 et Focke-Wulf Condor.

A noter un gros stand polonais avec les PZL 37 et 38, 46 Sum, le bimoteur PWS-33 bimoteur d’entrainement, le rapide PZL P-37 Los et le PZL P-23 Karas, sorte de Stuka polonais. Même les néerlandais proposent des avions de guerre intéressant avec le bipoutre Fokker G.I et le Koolhoven que la France commandera, comme beaucoup d’autres modèles en 1940 dans la précipitation.

C’est vraiment le salon d’avant la guerre. Les machines militaires participeront toutes au combat.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Bernard
Bernard
professeur d'Histoire, à la retraite depuis peu mais passionné d'aviation depuis toujours, et en particulier bien sûr d'histoire de l'aviation.
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