Le F-14 Tomcat du 21ème siècle : une nécessité pour l’US Navy ?

Alors que l’exigence d’une puissance de frappe à longue portée et embarquée est un sujet de discussion récurrent à Washington, et au Pentagone en particulier, la capacité de supériorité aérienne de l’US Navy est souvent négligée.

La marine américaine n’a plus d’avion dédié au combat air-air depuis que le célèbre Grumman F-14 Tomcat a pris sa retraite en 2006. Et cela même si le Tomcat a été au fil du temps transformé en avion hybride d’attaque durant ses dernières années de service actif du fait de la disparition de la menace soviétique. Maintenant, de nouvelles menaces sur les porte-avions de l’US Navy émergent tandis que les éventuels « adversaires » commencent à utiliser de nouveaux avions de combat capable de rivaliser avec le Boeing F/A-18E/F Super Hornet et le Lockheed Martin F-35C Lightning II. Du coup, il semble que l’intérêt pour cette mission de supériorité aérienne de la marine, trop souvent ignorée, refait surface en particulier sur le théâtre du Pacifique ouest.

« Un autre type de nouveaux avions requis est celui d’un chasseur de supériorité aérienne » a récemment publié un rapport de l’Institut Hudson intitulé « Sharpening the Spear: The Carrier, the Joint Force, and High-End Conflict ». Le rapport insiste que « compte tenu de la demande accrue des projections de forces interarmées et de leurs chasseurs embarqués, cette capacité est essentielle. »

Le rapport note que le Super Hornet et le F-35C pourrait être sérieusement contestés par les nouveaux chasseurs de cinquième génération adverses tels que le Sukhoi T-50 PAK-FA russe et le Chengdu J-20 chinois. En effet, certains aéronefs « ennemis » actuels comme les Su-30SM ou Su-35 et les J-11D ou J-15 constituent déjà une grave menace sur la flotte de Super Hornet. C’est une vision que partagent de nombreux représentants de l’industrie, de l’US Navy, de l’US Air Force et même les aviateurs de l’US Marine Corps.

« Les F/A-18E/F et les F-35C disposent de lacunes importantes concernant la super-croisière, le rayon d’action, le vol à haute altitude, la furtivité, la capacité d’emport de missiles, comparé au T-50, J-20 et leurs futures évolutions » relèvent les auteurs du rapport. « Ces avions seront capables d’engager efficacement les aéronefs des portes-avions américains actuels et prévus à court terme, ainsi que de pénétrer à travers les défenses pour attaquer des unités à forte valeur, comme les avions de veille aérienne (AEW), de lutte anti-sous-marine (ASW) et les ravitailleurs en vol. Déjà, le F/A-18E/F fait face à un grave déficit de vitesse face aux avions chinois J-11, qui peuvent tirer avantageusement des missiles à longue portée à l’extérieur du rayon d’action des missiles AIM-120 américains. »

Pas plus que le F-35C, qui souffre d’une grave faiblesse d’accélération par rapport à la aux performance des autres variantes du JSF, ne va arranger les choses. « De même, le F-35C est optimisé comme un chasseur d’attaque, en résulte un profil de vol à moyenne altitude et une capacité actuelle d’emport de seulement deux missiles AIM-120 en interne dont les capacités sont de plus limitées par des conditions électromagnétiques complexes » écrivent les auteurs. « Comme mesure provisoire, la Navy et l’Air Force devraient considérablement accélérer la mise à niveau du F-35C au standard Block 5 pour permettre à l’avion d’emporter six missiles AIM-120 en interne. »

Le F-35C n’a été jamais été conçu pour être un chasseur de supériorité aérienne. En effet, les planificateurs de l’US Navy dans les années 1990 voulaient que le Joint Strike Fighter soit un aéronef axé sur l’attaque, avec seulement une charge limite de 6,5 G pour la cellule, et une capacité air-air très limitée. En effet, certains administrateurs de la marine à l’époque avaient même envisagé un retrait rapide du F-14 en faveur du maintien du Grumman A-6 Intruder. Durant cette période, de nombreux fonctionnaires croyaient que le concept de combat aérien était devenu une relique du passé après la fin de la Guerre froide. Ils prévoyaient que la plupart des conflits futurs seraient principalement orienté air-sol dans ces années qui ont suivies l’effondrement soviétique. Couplé à un manque de financement, c’est probablement la raison pour laquelle la marine n’a jamais donné suite à son étude de chasseur tactique navale avancée (NATF) ou le programme A/F-X qui lui succéda.

L’actuel programme F/A-XX de la marine pourrait servir à combler la faiblesse en terme de supériorité aérienne qui est essentiellement apparue depuis la retraite du F-14 Tomcat et la disparition des programmes NATF et A/F-X. Mais le problème est que l’US Navy poursuit le programme F/A-XX dans l’objectif du remplacement de avions multirôles F/A-18 E/F Super Hornet plutôt que de développer une machine orientée sur la supériorité aérienne. « Le danger dans son développement, c’est qu’il sous-optimise le rôle de combat aérien dans la quête d’un avion hybride chasse/attaque » note le rapport de Hudson Institute. « Cela laisserait les forces américaines sans véritable chasseur de supériorité aérienne embarqué de nouvelle génération. »

Comme le directeur de la guerre aérienne de l’US Navy, l’amiral Mike Manazir, l’a affirmé dans le passé, les auteurs notent aussi que cet « avion devrait disposer d’une large gamme de capteurs passifs et actifs, d’une vitesse de croisière relativement élevée, d’une grande soute interne capable de lancer de nombreux missiles et d’un espace pour y installer les technologies du futur, comme les armes laser ou HPM (high-powered microwaves). Cet avantage dans la supériorité aérienne contribuera aux exigences de la défense aérienne de l' »Outer Air Battle » et permettrait de contrer les missiles ennemis, les aéronefs et les radars ainsi que la détection de cible à longue distance. »

Le concept d’Outer Air Battle (que l’on pourrait traduire comme bataille aérienne extérieure) se réfère à une doctrine de la marine datant des années 1980 et rendu public en 2013. Il était destiné à repousser une attaque concertée menée par des hordes de bombardiers soviétiques du type Tupolev Tu-22M Backfire, des sous-marins à propulsion nucléaire lance-missiles de la classe Oscar (projet 949A Antey) et des groupes d’attaque de surface dirigé par navires de guerre comme les croiseurs de bataille à propulsion nucléaire de classe Kirov. Ces navires soviétiques auraient notamment lancé leurs missiles de croisière anti-navires en plusieurs points de coordonnées différentes.

Comme le rapport le décrit, l’US Navy était relativement confiante en ce qui concernait sa capacité à détruire les sous-marins Oscar et les navires de surface avant qu’ils ne puissent lancer leurs missiles anti-navires. Ils étaient beaucoup moins rassurée en leur capacité à contrer les Tu-22Ms avant qu’ils n’obtiennent une position de tir. Les Tomcat, en vertu de cette doctrine de bataille, devaient essayer de « tuer les archers » (les Backfire) avant qu’ils ne puissent lancer leur missiles de croisière et tenter d’éliminer tous ceux qu’ils auraient pu tirer. Mais personne ne sait à quel point cela aurait fonctionné pendant une guerre ouverte avec l’Union soviétique — et c’est sûrement une bonne chose que nous ayons jamais pu le découvrir. Mais avec la nouvelle stratégie maritime de la Chine dans le Pacifique, la menace est de retour.

Alors que les programmes F/A-XX et F-X de la force aérienne américaine sont à leurs débuts, il est devenu évident qu’ils seront des concepts d’avions différents et qui partageront probablement les technologies courantes. L’US Navy ne semble pas se concentrer sur un F-14 plus défensif, tandis que l’armée de l’US Air Force est à la recherche d’un appareil de supériorité aérienne plus offensif qui pourrait remplacer le Lockheed Martin F-22 Raptor. « Comme vous le verrez dans les prochaines années, les différences entre la mission et les menaces potentielles conduira à une évolution significatif entre les deux programmes F/A-XX et F-X, mais aussi avec les anciens modèles tels que le F-22 et F-35, » conclue un haut fonctionnaire du Pentagone.

© Photos US Navy

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NB : Cet article est une traduction de celui-ci

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Gaëtan
Gaëtan
Passionné d'aéronautique et formateur en Web et PAO, il est le fondateur, en 1999, de l'encyclopédie de l'aviation militaire www.avionslegendaires.net. Administrateur et rédacteur en chef du blog, il vous fait partager ses avis et coups de coeur (ou de gueule) sur l'actualité aéronautique.
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Commentaires

12 réponses

  1. Super dossier comme d’habitude je dirai….
    Il semble que le F-35 ne soit pas la solution miracle pour toutes les composantes des forces aériennes US, et oublier la supériorité aérienne c’est refaire la même erreur que pendant la guerre du Viet-nâm où l’emploi de canon avait été jugé inutile à cause d’une confiance disproportionnée envers les missile AA, avec les conséquences dramatiques qu’avait eu cette décision….
    Bref, ils vont vite combler leur lacune et nous sortir un nouvel avion ou une version amélioré du F-35, car deux AM-120 en soute c’est un peu léger quand même.

  2. Tout est dit !
    Même un omnirôle excellent ne pourra faire mieux qu’un zinc spécialisé. « Bon en tout mais n’excelle en rien »…ou pour le F35 « moyen en tout mais bon en rien » (du moins pour quelques années encore, peut-être que le miracle du 787 Dreamliner se reproduira?)

    C’est en tout cas une bonne chose que les US aient commencé à se réveiller et relance sur la table les projets d’avions spécialistes ! Même si cette décision est franchement tardive.

    La où je suis plus étonné, c’est sur la remis en cause des capacités AA du F22… n’est-il justement pas un avion typiquement destiné à ça ?

  3. Le F-14 n’est pas considéré comme un excellent dogfighter, le couple F-14/Phoenix a été conçu pour contrer les bombardiers russes, d’autre part, le Phoenix était un semi-auto, dépassé de nos jours.
    Je pense que le F-18 est meilleur combattant mais il a de courtes pattes comme un certain Mig-29. Le Super Hornet corrige ce défaut mais il fait moins bien en dogfight à cause de son poids, grand dilemme.
    Bizarrement, un système tel que Rafale/Meteor/Mica leur conviendrait parfaitement, avec un rafale avec une SER/SIR améliorée! o:)

  4. Tout à fait d’accord avec James, le rafale est l avion qui manque aux uss. J ai pût discuter avec l’un des père du rafale ( à saint mitre les remparts ) il y a plus d’un an et il me disait que quand les pilotes de f14 avaient essayé le rafale , ils étaient complètement conquis par l avion de Dassault ! J’ai u la chance de parler à ce monsieur 3 fois plus d’une heure, il n’avait pas l’air d’exagérer se qui c’était passé. Je le remerci pour toutes ses anecdotes.

  5. Les choix techniques en matière de dessin des cellules des F22 et F35 résultent du dogme de l’impératif de la furtivité, les cellules de ces aéronefs sont des porteuses d’armes, et non des éléments combattants en elles-mêmes.

    Il en résulte que, selon les critères d’efficience au combat établie par John Richard Boyd, ces deux engins sont inaptes à la supériorité aérienne.

    La question de fond, qui depuis 1944-1945 taraude l’US Navy, est la protection de ses TF aéronavale.

    Le couple Aegis F14 apportait une réponse satisfaisante à cette problématique.

    Aujourd’hui, le couple Aegis F18 Super Hornet est dans l’incapacité de parer de façon permanente une menace d’attaque aérienne massive, et de longue durée (problématique de l’accès en mer de chine).

    Paradoxalement, l’US Navy, dans ses préférences doctrinales, est très proche de John Richard Boyd et de la Figther Mafia.

    Pour elle, la furtivité est un avantage temporaire, et un chasseur doit avoir une formule aérodynamique répondant aux besoins du combat tournoyant, nonobstant les systèmes d’arme.

    Donc effectivement, un Rafal NG avec une autonomie augmentée et un système d’arme US sera une bonne solution, rapidement disponible pour répondre au besoin de la Navy.

  6. hum, le Rafale, n’y est pas du tout:
    « Comme le directeur de la guerre aérienne de l’US Navy, l’amiral Mike Manazir, l’a affirmé dans le passé, les auteurs notent aussi que cet « avion devrait disposer d’une large gamme de capteurs passifs et actifs, d’une vitesse de croisière relativement élevée, d’une grande soute interne capable de lancer de nombreux missiles et d’un espace pour y installer les technologies du futur, comme les armes laser ou HPM (high-powered microwaves). Cet avantage dans la supériorité aérienne contribuera aux exigences de la défense aérienne de l’ »Outer Air Battle » et permettrait de contrer les missiles ennemis, les aéronefs et les radars ainsi que la détection de cible à longue distance. » »

  7. L’amiral Mike Manazir oublie de préciser que cet aéronef devra aussi être à changement de milieu afin de contrer la menace sous-marine.

    Plus sérieusement, l’USN est dans une problématique de trou capacitaire, ici et maintenant.

    Le couple Aegis / F18 Super Hornet est, je le redis, dans l’incapacité de parer de façon permanente une menace d’attaque aérienne massive, et de longue durée. La bulle de protection des TF n’est plus vraiment étanche.

    L’amiral Mike Manazir nous parle d’un système qui, en l’état actuel des technologies et de la miniaturisation, devrait faire au minimum la taille d’une B1B.

    Pas simple à gérer sur un PA !

    Mais, surtout, d’un coût économique tel qu’il ne pourrait être en aucun cas engagé au combat (syndrome du Yamato), son éventuelle perte étant politiquement inacceptable.

    Nous revenons là aux études de John Richard Boyd sur ce qui doit prédisposer à la conception d’un aéronef de combat.

  8. Bravo pour la qualité technique de l’article, mais c’est un peu une habitude sur « avions légendaires ».
    Très impressionné également par la qualité des commentaires (et de ceux qui les ont rédigés)

  9. Le F14 était conçu comme un intercepteur à longue portée comme le fut à ses débuts le F4. Après les F14, F15, F16 et F18, il me semble que l’Amérique a perdu « la touche » dans la conception d’aéronef contrairement à l’Europe où la progéniture des Mirages, Draken et Tornados furent des appareils réussis [ ibid pour les avions commerciaux]. Même constat dans le domaine de l’aérospatiale. L’éclosion de concepts et de designs innovants semblent leur faire défaut.

  10. Le F-14A est issu du programme VFX, lui-même issu du VFAX en y intégrant la mission de défense de la flotte. La mission prioritaire, issue des leçons du Viêt-Nam, était la supériorité aérienne. Il avait une excellente capacité d’attaque au sol de jour (type A-7 avec une précision au moins égale), qui furent un peu exploitées à la fin de sa carrière avec notamment le Lantirn. Le F-14A devait être une version d’attente en attendant le F-14B qui devait recevoir le réacteur F401-PW400 de 12,7 tonnes de poussée. Le F100/F401 des F-14 et F-15 eurent de nombreux problèmes et le F401 fut abandonné par la Navy. Le F-14B devait aussi avoir de multiples améliorations dont un APU et en matière de maintenance. D’ailleurs Grumman proposa de les intégrer dans le F-14A (à part le réacteur F401), mais la Navair les refusa avec des conséquences sur la maintenance notamment. Le F-14A était un avion presque entièrement analogique. Le F-14D était un avion à 60% numérique, sur les ordres du SecDef. Il avait de nombreux équipements numériques et fut développé principalement pour la supériorité aérienne, même s’il avait un mode SAR. Il avait un radar dérivé de l’APG-70 et de l’AWG-9. Le F-14D avait besoin de peu de maintenance. Lors des essais, le responsable annonça dans la revue Proceedings qu’il avait besoin de 12,4 heures de maintenance par heure de vol et en décroissance avec le temps. Malheureusement peu d’avions furent construits – 37 F-14D) – ou modifiés au standard – 18 F-14D(R). Le prix avec une telle série est forcément élevé (1 avion produit par mois à peu près du fait du niveau de commandes). Doubler la production correspond en gros à baisser le prix de l’avion de 20%. Les chiffres de 40 ou 50 heures de maintenance par heure de vol correspondent à un avion en fin de vie avec peu de pièces de rechanges (qui seraient perdues au retrait de l’avion) et que l’on cannibalise pour le maintenir opérationnel (F-14A ou F-14B) ou qui n’a que peu de pièces de rechanges du fait du volume d’avions produits (F-14D). Tout a été fait par le SecDef pour supprimer le F-14 avec l’appui du second du SecNav, David Chu (orthographe à vérifier). Le SuperTomcat21 ou le F-14D Quickstrike étaient des avions bien supérieurs au F/A-18E/F et eux capables de la défense aérienne de la flotte. Aujourd’hui, il est question de faire revenir le F-14 dans la Navy, mais c’est une illusion. J’ai une profonde admiration pour cet avion (j’ai écrit un livre de 160 pages sur cet avion en New Roman 8, mais il me manque encore des photos pour le faire éditer en français), mais ce n’est pas possible du fait des mesures prises pour éviter que l’Iran ne récupère des pièces pour ses F-14A. De plus, les chaînes de construction ont été détruites. Les USA ont fait une terrible erreur, mais il en est ainsi. Ses porte-avions sont aujourd’hui vulnérables malgré le système Aegis mis en place, même si celui-ci a évolué. C’est pourquoi certains responsables de la Navy souhaitent disposer d’un successeur au F-14 en l’absence d’un VFMX, d’un NATF (F-22 navalisé) ou d’un AFX abandonné. Mais le F-14 aussi beau et aussi emblématique soit-il ne peut revenir comme avion de première ligne.

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