Ras-le-bol des régions desservies par Air Canada

Je suis habituellement du genre plutôt zen et donc peu enclin aux coups de gueule. Comme la plupart de mes concitoyens québécois en colère suite à la décision récente d’Air Canada de cavalièrement diminuer, voire carrément annuler, plusieurs liaisons régionales sous prétexte du COVID-19, c’est la proverbiale goutte d’eau qui fait déborder le vase. Le verbe desservir peut signifier l’action d’offrir des liens de transport entre diverses localités. Il peut également exprimer l’action de nuire à quelqu’un en lui rendant un mauvais service. C’est donc dans le sens des synonymes contrarier, contrecarrer, entraver, léser et préjudicier que je parle des régions desservies par Air Canada. Les mauvais services régionaux du principal transporteur national au Canada ne remontent pas à hier: retards fréquents, vols annulés et tarifs indécents. Les caprices de la météo, particulièrement en hiver, amènent certes sont lot d’imprévisibilité, mais la déficience des services régionaux d’Air Canada a des causes bien plus profondes. Quant aux tarifs, quiconque a déjà pris des vols intérieurs en Europe est en mesure de constater que la tarification des vols domestiques d’Air Canada frôle l’extorsion.

Plusieurs lecteurs des grandes villes, de même que ceux hors-Québec, se diront sans doute qu’il est tout à fait normal qu’une entreprise privée puisse diminuer et même carrément éliminer sans préavis ses liaisons déficitaires en cette période de pandémie. Des transporteurs étrangers, dont Air France, font de même avec certaines de leurs liaisons régionales après-tout. Contrairement à l’Europe où les distances sont plus courtes à franchir et qui dispose d’un excellent service ferroviaire, en Amérique du Nord l’avion est le seul moyen pour les habitants des régions éloignées des grands centres urbains d’éviter d’interminables heures sur la route. Ici le transport aérien n’est pas un luxe mais plutôt un service essentiel pour la survie de bien des communautés.

Le quasi-monopole dont jouit Air Canada sur les liaisons régionales depuis maintenant une quarantaine d’années a toujours été toléré sous la logique que les bénéfices générés par les lignes lucratives permettent de financer la desserte des régions où la rentabilité n’est pas toujours au rendez-vous. Ce principe tenait la route lorsque Air Canada était une société d’état. Mais depuis sa privatisation en 1989, et la séparation de ses opérations régionales sous d’autres entités légales en 2001, l’impératif de la rentabilité pour les actionnaires d’Air Canada a pris le relais au détriment de ses clients. Cela est d’autant plus choquant que des salaires faramineux sont versés à ses dirigeants, alors que des milliers d’employés de l’entreprise sont mis à pied et que la survie même des aéroports régionaux abandonnés est menacée. Un autre exemple de capitalisme sauvage à la sauce néo-libérale.

Fairchild F-27

On a parfois l’impression que l’histoire se répète. Au plus fort de la crise économique des années 1980, plusieurs transporteurs régionaux en difficulté, dont Québecair, furent avalés par Air Canada et Canadian Airlines (à son tour gobé par Air Canada). Les transporteurs régionaux indépendants qui ont survécu à ce jour desservent (dans le bon sens du mot) des communautés où Air Canada n’a pas l’intention de poser ses ailes. Pensons notamment à Air Creebec et Air Inuit. Là où Air Canada fait face à des compétiteurs, l’entreprise a été reconnue coupable dans le passé d’agissements anticoncurrentiels en cassant provisoirement les prix pour les faire disparaître. Bien au fait de ces pratiques prédatrices, les petits transporteurs régionaux hésitent à investir pour prendre le relais dans les régions aujourd’hui délaissées. Dès que l’économie se portera mieux, ils anticipent qu’Air Canada reprendra le même manège.

Boeing 737

Plusieurs, dont je suis, sont d’avis que la solution durable pourrait être une coopérative de transport aérien régional au service et appartenant aux populations régionales. Au Québec, le mouvement coopératif a donné naissance à diverses entreprises petites et grandes. À titre d’exemple, la principale institution financière au Québec n’est pas une banque mais le Mouvement Desjardins, une coopérative appartenant à l’ensemble de ses membres. Plutôt que de profiter à d’obscurs actionnaires souvent étrangers, les profits de Desjardins sont redistribués à ses membres et réinvestis dans le mouvement coopératif au Québec. C’est une approche similaire que privilégie avec succès Air Creebec et Air Inuit.

L’indifférence du Premier ministre Justin Trudeau au sort des régions impactées et sa complaisance face à Air Canada jette de l’huile sur le feu du ressentiment des Québécois ainsi que des populations touchées dans les provinces Maritimes. Même si le transport aérien est de juridiction fédérale, c’est le Gouvernement du Québec et les municipalités québécoises touchées qui prennent l’initiative de chercher une solution durable. Pourquoi pas un Québecair 2.0 basé sur le modèle coopératif affranchi du diktat des marchés boursiers et du bon vouloir d’un conseil d’administration opaque complètement déconnecté des besoins des régions ?

Boeing 707

À l’époque, Québecair avait osé développer quelques liaisons internationales, malgré l’opposition farouche d’Air Canada. Il serait donc pertinent de remettre aussi en question le processus d’acquisition d’Air Transat par Air Canada. Si le passé est garant de l’avenir, plusieurs craignent qu’Air Canada hausse ses tarifs pour les liaisons internationales vers les destinations soleil et l’Europe dès l’élimination de ce compétiteur sur « son » marché. Pour cela, il faudra compter sur les autorités européennes chargées d’examiner les pratiques anticoncurrentielles, car notre servile gouvernement fédéral a déjà fait son nid.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Marcel
Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

2 réponses

  1. Encore un journaliste qui n’a gratté que la surface et fait du journalisme d’opinions et d’émotions plutôt que de sortir tous les faits… ‍♀️ comme d’habitude… ils oublient tous tres vite que du temps de Mulroney, Air Canada a dû apprendre à voler de ses propres ailes sans aides gouvernementales. Ont aussi été privatisés les aéroports. Chaque aéroport doit , via des taxes , financer leur fonctionnement et rénovations. A partir de ce moment là, tous les aéroports qui n’étaient pas Montréal Toronto Ottawa etc… ce sont retrouvés en déficit. En région, il n’y a pas assez de passagers qui transitent pour pouvoir régler l facture qui de toute façon doit être payée par les compagnies aériennes qui utilisent l’aéroport… ( déjà là ça décourage de partir une compagnie régionale..) celles qui existaient avant ( Air Alma, Air Satellite etc… ont été décimées post 9-11 ) mais le gouvernement n’a offert aucune aide à aucune compagnie régionale pour les garder à flots dans le temps ou aujourd’hui… fast forward a aujourd’hui, même pre Covid, Air Canada ne fait pas d’argent avec les régions ni avec les vols domestiques. Ce sont les vols internationaux ( en particulier l’Asie) qui assurent le rendement positif de la compagnie… en cette période de Covid, on a vu en Europe que plusieurs pays ont décidé d’aider leurs compagnies aériennes financièrement . Celles qui ne le sont pas semblent vouées à une faillite certaine. Ici au Canada, rien du tout!! Air Canada a eu un octroi de prêt de 788 millions qui ont été utilisés à payer les employés pendant un extra mois et demi. Et la cerise sur le gâteau, les aéroports viennent d’annoncer une hausse de taxe et les contrôleurs aériens ( Nav Canada ) une hausse des tarifs de 30%…. alors j’aimerais vraiment avoir une explication sur comment pourrait survivre une companies régionale qui doit s’acquitter de tout ses frais sans aide? Air Canada ( via Jazz , qui n’appartient pas à Air Canada mais qui est sous contrat) en cette période difficile laisse tomber les vols qui sont déficitaires. ( en plus certaines destinations vont encore être desservies comme les Îles de la Madeleine mais sur un vol direct (plutôt que les sauts de crapauds). La ou on se retire il y a Air Creebec qui dessert ou Pasquan. Les gens ne seront pas isolés. Ils n’auront juste pas temporairement les vols offerts par Air Canada.. et avec toutes ces augmentations de taxes, les billets vont augmenter et les gens vont encore chialer après Air Can… Mais la compagnie doit trouver un moyen de survivre… C’est normal!
    a Quant à Air Transat, la compagnie était en train de mourir, c’était soit Air Canada qui rachetait soit Westjet qui venait juste d’absorber un autre concurrent. En ce moment Transat ne vaut même plus ce qu’Air Canada a offert. Avec Covid, la compagnie n’avait que deux mois de sursis… Westjet n’est plus en position d’acheter. J’espère juste que ça ne sera pas le boulet qui fera tomber Air Can. Mais il y a des hommes politiques québécois qui ont des intérêts dans Transat pour que la compagnie survive et qu’elle reste au Québec… Westjet n’a pas de base au Québec et n’en veut pas… Sinon ça l’oblige à offrir un service bilingue ce qui coûte très cher!!! Et tout ce que je te raconte c’est encore juste la surface du problème géant… Les gens adorent blâmer Air Canada.. Mais ils seraient tous bien coincés si on devait mettre la clé sous la porte demain…

    1. Permettez-moi tout d’abord de souligner qu’aucun des rédacteurs d’Avions Légendaires ne se prétend journaliste. Nous somme tous des bénévoles amateurs d’aéronautique. J’ai pris la peine de préciser clairement d’entrée de jeu qu’il s’agissait d’un coup de gueule, donc d’une opinion personnelle… qui est tout de même partagée par bien du monde. Vos propos viennent confirmer ce que j’identifie comme la cause fondamentale du problème du transport régional. soit la privatisation tout azimut de la société Air Canada, des aéroports et même des services de navigation aérienne. La recherche du profits à tous ces niveaux nous mène à l’impasse actuelle. C’est comme si on privatisait toutes les routes et que chaque utilisateur serait assujetti à des péages dès qu’il prend le volant. Les aéroports, particulièrement en région, devrait être un service public à la charge du gouvernement fédéral comme c’était le cas avant. Pour ce qui est du transport régional, l’émergence d’un organisme sans but lucratif serait sans doute la solution. Une telle initiative est d’ailleurs en gestation, soit la Coopérative de transport régional du Québec (TREQ). Si Air Canada n’est pas intéressé à desservir les régions à prix abordable, qu’il laisse la place à d’autres plutôt que de tenter de les torpiller. Pour ce qui est d’Air Transat, Air Canada n’aurait pas offert un prix d’achat bien au-delà du prix du marché si la compagnie n’avait pas flairé la bonne affaire. Encore la, c’est l’appât du gain des actionnaires d’Air Transat qui prime sur la préservation d’une entreprise viable et de ses clients.

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