Fokker-America Super Universal

Le Néerlandais Anthony Fokker est entré de façon fracassante dans l’histoire de l’aviation en concevant une série d’avions de combat légendaires de la Seconde Guerre mondiale pour le compte de l’Allemagne. On a qu’à songer au célèbre triplan Fokker Dr.I du Baron Rouge et au redoutable biplan Fokker D.VII. À l’armistice, Anthony Fokker se réfugie aux Pays-Bas où il refonde son entreprise afin d’échapper aux restrictions du Traité de Versailles. Voulant profiter davantage des opportunités d’affaires Outre-Atlantique, il met sur pied une filiale américaine de son entreprise en 1924 dans l’État du New Jersey. Initialement nommée Atlantic Aircraft Corporation, cette division sera rapidement renommée Fokker Aircraft Corporation of America (Fokker-America).  Il en confie la direction à Robert Noorduyn avec la mission de développer des avions adaptés au marché nord-américain. Le premier avion conçu par Fokker-America fut le monomoteur de transport Model 4 Universal qui entra en service en 1926. Malgré le succès d’estime pour cet avion, seulement 44 exemplaires furent fabriqués, dont la moitié seront utilisés par des pilotes de brousse canadiens.

Version agrandie et améliorée du Model 4, le Fokker Model 8 nommé Super Universal effectua son premier vol en mars 1928. Parmi les améliorations, on compte un poste de pilotage fermé et une nouvelle aile cantilever supprimant les haubans. Fidèle aux conceptions antérieures de Fokker, l’aile était  en bois, avec deux longerons principaux et des nervures légères recouvertes de fines feuilles de contreplaqué. Le fuselage était constitué de tubes d’acier soudés, largement entretoisés par des fils métalliques. L’empennage était également en tubes d’acier recouverts de toile. Le train d’atterrissage était constitué d’un patin de queue et de jambes de train principal munis de câbles élastiques permettant d’amortir les chocs sur les pistes sommairement aménagées. Des flotteurs ou des skis pouvaient également être installés selon les besoins du client. La motorisation était assumée par le nouveau moteur en étoile Pratt & Whitney Wasp, l’un des plus fiables de son époque.

Le premier Fokker Super Universal de production, baptisé Virginia, fut employé lors de la première expédition de Richard Byrd en Antarctique. L’appareil est bien arrivé sur le continent glacé, mais il fut rapidement détruit lorsque arraché de ses attaches par une violente rafale de vent et emporté sur plus d’un kilomètre. Malgré les déboires du Virginia, le Super Universal fut bien accueilli, se vendant mieux que tous les autres modèles de Fokker-America. Le Model 8 fut également produit sous licence à l’étranger.

Outre-Pacifique, le Super Universal fut fabriqué à une centaine d’exemplaires au Japon par l’entreprise Nakajima. Initialement utilisé comme avion de ligne entre les îles japonaises, les premiers Super Universal à revêtir une livrée militaire furent sept appareils réquisitionnés suite à l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931. Le Service aérien de l’Armée impériale japonaise va décider d’acquérir une vingtaine d’appareils additionnels désignés Nakajima Ki-6, dont certains furent livrés en configuration avion ambulance pouvant emporter trois civières et le personnel médical. Les autres appareils servaient essentiellement au transport et à l’entraînement des équipages. Les Ki-6 furent utilisés de façon intensive lors de la Seconde guerre sino-japonaise. De son côté, la Marine impériale japonaise commanda vingt exemplaires terrestres du Nakajima Ki-6, désignés C2N1, ainsi que trente exemplaires munis de flotteurs. Désignés C2N2, ils servirent d’hydravions de reconnaissance. Il est à noter que Nakajima remplaça le moteur américain d’origine par le Bristol Jupiter de 450 CH produit sous licence au Japon, puis par son propre moteur, le Nakajima Kotobuki de 460 CH. Notons enfin qu’une douzaine de Super Universal furent également assemblés par l’entreprise Manshū qui voleront sous les couleurs de l’État fantoche du Mandchoukouo. Un certain nombre d’appareils Ki-6 demeurèrent en service au Japon, même après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’Argentine fut le seul autre utilisateur militaire du Super Universal,  les États-Unis, tout comme le Canada, n’étant pas impressionnés par les performances de l’avion suite aux essais d’évaluation. Ironiquement, ce sont pourtant des transporteurs privés de ces deux pays qui en feront plus grand usage. Le Fokker Super Universal était particulièrement apprécié comme avion de brousse dû à sa capacité d’emport, sa fiabilité et sa robustesse.

Une quinzaine d’appareils furent d’ailleurs fabriqués sous licence par Vickers Canada à Montréal. Immatriculé CF-AMM, le dernier Super Universal en service au Canada fut lourdement endommagé en 1937 lors d’un accident à Dawson City au Yukon. Bien qu’ayant rendu de fiers services pour les communautés isolées du Nord canadien et de l’Alaska, le Super Universal fit rapidement place à des avions plus modernes, dont le légendaire avion de brousse Noordyun Norseman dessiné par nul autre que le concepteur du Fokker-America Universal.

Aujourd’hui, il ne subsiste qu’un unique exemplaire du Fokker Super Universal. Immatriculé CF-AAM, il s’agit de l’appareil accidenté à Dawson City en 1937. Démonté et laissé à l’abandon jusqu’en 1974, il renaîtra de ses cendres suite à un patient travail de restauration. Le CF-AAM fut reconstruit à l’identique grâce aux plans d’époque, aux restes de deux autres Super Universal écrasés au Yukon, ainsi que des pièces provenant d’un appareil américain. Le CF-AAM vola à nouveau en 1998 et entreprit une grande tournée des rendez-vous aériens en Amérique du Nord. Il est dorénavant exposé au Royal Aviation Museum of Western Canada, où il  témoigne des débuts de l’aviation de brousse. Toutes versions confondues, le Super Universal fut assemblé à un peu plus de 200 exemplaires. Quant au rêve américain de Fokker, il n’a été que de courte durée. Comme pour bien d’autres entreprises, Fokker-America fut frappé de plein fouet par la Grande dépression. Malgré son association avec General Motors en 1929, Fokker-America cessa d’exister en 1931. Cette décision fut précipitée par la mauvaise publicité suite à l’écrasement d’un trimoteur Fokker-America Model 10, tuant sur le coup ses huit occupants.