Il y a trente ans, en 1983, l’hebdo satirique français Le Canard Enchaîné révélait un des plus beaux scandales de la Vème République, un scandale qui allait prendre le nom d’affaire des « avions renifleurs ». Celui-ci allait éclaboussé un ancien Président de la République, Valéry Giscard d’Estaing, et faire se marrer des millions de Français. Il faut dire que l’affaire est pour le moins cocasse. Petit retour en arrière, en 1975.
La France subit de plein fouet le choc pétrolier de 1973, et elle se cherche une place au soleil de l’indépendance énergétique. Le baril de brut n’a jamais été aussi cher, et l’électricité est pratiquement encore assujettie aux aléas de centrales thermiques fonctionnant au charbon et au fuel. Il devient donc urgent de trouver un moyen de payer moins cher le carburant pour faire avancer nos voitures, avions, et navires. Faut dire que la France de Valéry Giscard d’Estaing croit encore aux trente glorieuses, et à une économie galopante.
Certes on sait depuis longtemps que le sous-sol français n’est pas celui de l’Afrique du Nord ou des pays du Golfe, mais certains soutiennent mordicus qu’on peut y trouver du pétrole et du gaz largement exploitables. L’Aquitaine et le sud ouest en général font figures d’El-Dorado de l’or noir français. Mais pas uniquement, on parle aussi du bassin parisien. Seulement voilà, comment être sûr de trouver aisément le précieux liquide, sans être obligé de faire des forages d’explorations qui défigureraient le décor.
Une solution est apportée par deux doux dingues, Alain De Villegas et Aldo Bonassoli. Si le premier est un aristocrate franco-belge désargenté, le second est un obscur agriculteur italien, touche-à-tout de génie et féru de physique et de géologie. Leur idée est simple : repérer les nappes souterraines de pétrole depuis les airs grâce à un avion équipé d’un puissant radar à effet Doppler. Bonassoli sait alors, grâce à ses lectures scientifiques que ce type de radar est à l’étude pour deux prototypes de chasseurs, le futur Mirage 2000 français et le YF-17 Cobra américain. Il ne reste plus qu’à convaincre la France d’investir dans son projet. Doux dingues, mais un peu escrocs aussi De Villegas et Bonassoli.
Et à la surprise générale, ils vont réussir grâce aux relations de l’aristocrate franco-belge à approcher l’ancien président du conseil Antoine Pinay, membre alors du conseil d’administration d’Elf-Aquitaine, alors sous contrôle de l’état. Pinay va convaincre les dirigeants d’Elf de l’intérêt du projet des deux hommes. Il faut dire que leur duo s’est peu à peu mué en trio au contact d’un avocat trouble, Jean Violet, qui fut un temps membre du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (le SDECE, l’ancêtre de l’actuelle DGSE, les services secrets français) et qui est proche de certaines mouvances politiques. Violet lui aussi connait du monde.
Les liens entre le SDECE et Elf étaient à l’époque assez étroites, le second servant souvent à reclasser les personnels méritants du premier. Autant dire que Violet se sentait chez lui, au milieu des patrons d’Elf, et que ceux-ci n’avaient aucune raison de soupçonner leur ancien collègue d’essayer de les rouler. Car en dehors du trio De Villegas-Bonassoli-Violet tout le monde croyait en ce programme dur comme fer. Il faut dire que les deux premiers travaillaient d’arrache-pied dans le château belge (et délabré) transformé en laboratoire digne de celui du comte de Champignac. On y bidouillait des ordinateurs, on y transformait des vieux postes de télé, tout devait ressembler à de la haute technologie. Et puis, il fallait trouver l’avion. On pensa un temps à acquérir un jet d’affaire Mystère XX, mais son prix restait très prohibitif, même pour Elf. Pas de souci, le SDECE fournira. Ensuite, on songea à un Fokker F.27 ou à un Dakota, ces deux avions semblant meilleurs marchés, et surtout bien plus vastes et donc plus aisés d’emploi. Finalement pas de Dakota, juste le Fokker. Le biturbine néerlandais et le biréacteur français voleront sous immatriculation civile belge.
Un accord politique est donné par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing et par son Premier Ministre Raymond Barre, dès la fin 1975. A l’époque, on commence même à envisager une flotte d’avion avec même des Boeing 707 pour les explorations longue durée. Des fonctionnaires français s’empressent même de proposer le concept à leurs homologues américains et européens, dont beaucoup s’avèrent sceptiques.
En 1977, Elf change d’exécutif, c’est l’ancien ministre Albin Chalandon qui reprend les rênes de l’entreprise pétrolifère. Et bizarrement lui sent venir la magouille. Il nomme alors en secret deux chercheurs du CEA, le célèbre Commissariat à l’Energie Atomique. Ils doivent enquêter sur la validité scientifique du programme De Villegas-Bonassoli-Violet. Et rapidement, leur rapport est sans appel. Il n’y a pas de fraude, en théorie ça devrait marcher. Sauf qu’à chaque fois que le trio a proposer des sites où étaient censés se trouver le pétrole il n’y avait rien. Chalandon accepte une dernière aventure, en Afrique du Nord, où Bonassoli promet avoir trouvé la plus grande nappe de pétrole de tous les temps. Mis à part un peu de gaz et beaucoup de sable les équipes d’Elf ne trouveront rien. Cette dernière escapade aura coûté la bagatelle de cent millions de francs à l’entreprise, donc aux contribuables français.
Une seconde commission d’enquête du CEA, officielle celle-ci, se penche sur l’affaire et tranche : rien n’est valable, il s’agit d’une supercherie. Dans l’état des connaissances technologiques de la fin des années 70, il était impossible en France de réaliser de telles opérations d’explorations aériennes. La Cour des Comptes est chargé par Raymond Barre d’évaluer le dommage financier et économique pour le pays. Mais son rapport est classifié.
Il faudra donc attendre 1983 pour que Le Canard Enchaîné révèle l’étendu des dégâts : plus de 800 millions de francs de l’époque. Mais en 1983 Giscard d’Estaing n’est plus président, et son successeur François Mitterrand n’entend pas lancer une chasse aux sorcières contre le pouvoir en place à l’époque. Après tout, qu’aurait-il fait à sa place, se serait il lui aussi fait avoir par les trois escrocs ? Et que sont ils devenus après l’affaire des avions renifleurs ? Violet en tant qu’ancien agent secret français n’a jamais été vraiment inquiété, il n’a jamais non plus été prouvé qu’ils s’était enrichi personnellement. Certains disent même qu’il a été le dindon de la farce et que les vrais escrocs, ce sont De Villegas et Bonassoli. Pour le premier, il semble qu’il ai fini sa vie dans un monastère argentin, loin de toute extradition, tandis que son compère est retourné de l’autre côté des Alpes pour y réparer des télés. Et le journaliste qui a révélé toute l’affaire dans tout ça ? Bah, il s’appelle Pierre Péan, et demeure en 2013 un des meilleurs journalistes français d’investigation, il oeuvre toujours pour le Canard.
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