On a souvent coutume de dire que la Guerre froide fut une guerre sans combat réel entre les deux super-puissances de l’époque qu’étaient les États-Unis et l’Union Soviétique. C’est vrai et faux à la fois. C’est vrai car jamais les armées les forces navales des deux pays ne se sont affrontés directement, et c’est faux car la guerre froide a engendré plusieurs conflits et accrochages plus ou moins meurtriers. L’un des plus tristement célèbres est par la même occasion une des plus flagrantes bavures de cette époque : la destruction en septembre 1983 par l’aviation soviétique du vol commercial KE007 de la Korean Airlines.
Malgré tout ce qui a été écrit et dit dessus cette tragédie aérienne demeure plus de trente après un des grands mystères de la fin de la guerre froide : pour quelles raisons exactes un commandant de bord sud-coréen a t-il survolé avec son Boeing 747 la péninsule du Kamtchatka et l’île de Sakhaline, deux des zones les plus fortement militarisées d’URSS, et donc alors clairement et formellement identifiées par les compagnies aériennes comme des zones interdites à tous survols sous peine d’être intercepté. Pour autant cela autorisait-il les instances militaires soviétiques à descendre en plein vol un avion de ligne bondé de passagers ?
Bien sûr ce dramatique fait divers a été le sujet d’un nombre impressionnant de théories plus ou moins complotistes où chacun en prenait pour son grade, de la compagnie aérienne elle-même, à la CIA, en passant par le KGB, et même pour certains les services secrets britanniques et sud-coréens. Bien entendu nous ne les relayerons pas dans ce sujet ces délires ils n’ont aucun intérêt historique et/ou aéronautique.
Factuellement alors que s’est-il passé ce dans la nuit du 31 août au 1er septembre 1983 au-dessus du Pacifique nord ? Essayons de comprendre pourquoi l’aviation soviétique a abattu cet avion de ligne.
Le vol Korean Airlines KE007 était assuré par un Boeing 747-200B (numéro de série 20559-186, volant depuis le printemps 1972) immatriculé HL7442. Il avait quitté l’aéroport JFK de New York City le 31 août 1983 en après-midi à destination de Séoul, la capitale sud-coréenne. Son équipage était expérimenté et connaissait bien cette route commercial qui passait par le secteur nord de l’océan Pacifique, au-dessus du Japon et des frontières de l’URSS. Une escale était d’ailleurs prévu à Anchorage en Alaska. À bord du quadriréacteur se trouvait 269 passagers et membres d’équipage majoritairement de nationalités sud-coréennes, américaines, et japonaises.
Lorsque l’avion redécolle d’Anchorage il entame sa traversé du Pacifique nord dans une nuit claire. Le drame se joue aux alentours de 3 heures 20 du matin. Le contrôle aérien soviétique après avoir à plusieurs reprises tenté d’appeler le commandant du vol KE007 décide de faire décoller la chasse. La raison ? Le Boeing 747-200B a survolé l’île de Sakhaline et se trouve désormais en approche du sud de la péninsule du Kamtchatka où se trouvent de nombreuses bases militaires soviétiques dont une renfermant des silos à missiles intercontinentaux. L’avion vol transpondeur éteint, de ce fait les radaristes soviétiques ignorent en fait à quel avion ils ont affaire.
Immédiatement deux patrouilles d’avions de combat prennent les airs. De Sakhaline deux Mikoyan-Gurevitch MiG-23 Flogger monoplaces tentent de rejoindre l’avion suspect tandis que deux intercepteurs Sukhoi Su-15 Flagon filent droit dessus. Ils seront les premiers à approcher le quadriréacteur. À 3 heures 26 du matin (heure locale) le pilote d’un des deux Flagon décide de décocher deux missiles air-air Kaliningrad K-8 (alias AA-3 Anab dans la nomenclature de l’OTAN) qui viennent percuter immédiatement l’avion de ligne. Cependant il n’explose pas en plein vol. Se trouvant aux alentours de 31 000 pieds le Jumbo Jet met près de treize minutes à chuter dans l’océan.
Immédiatement la marine soviétique fait décoller deux hydravions de reconnaissance maritime Beriev Be-12. De son côté la force aérienne fait prendre les airs à deux bimoteurs Ilyushin Il-14 modifiés pour le repérage de boites noires. Plusieurs navires de guerre sont également envoyés sur zone. Il faut dire que dans l’esprit des dirigeants soviétiques les pilotes de chasse viennent d’abattre un avion espion de l’US Air Force. Par radio le pilote qui a tiré les deux missiles air-air indique avoir abattu un Boeing RC-135 River Joint, le principal avion de reconnaissance stratégique américain dans cette région.
Au même moment l’OACI (l’organisation de l’aviation civile internationale) annonce la perte de signale avec un avion de ligne sud-coréen, le fameux KE007. Il faudra plusieurs longues heures pour que les autorités soviétiques se rendent compte de leur méprise et acceptent (très timidement) le fait qu’ils ont peut être descendu en plein vol un avion de ligne. Sauf que comme le rappelle alors le général Nicolaï Ogarkov, alors tout-puissant chef d’état-major des forces aériennes soviétiques, le Boeing 747-200B volait transpondeur éteint à 500 kilomètres à l’intérieur de l’espace aérien de l’URSS, et à plus de 900 de l’endroit où il aurait du se trouver.
Rapidement l’OTAN réagit en mettant en alerte ses forces tandis que la Corée du sud et le Japon renforcent leurs moyens militaires. En coulisses Américains et Soviétiques tentent de sauver la situation par la voie diplomatique. Il faut dire que pour beaucoup d’experts de l’époque les pilotes de chasse soviétiques ont manqué de professionnalisme en confondant, même en pleine nuit, un Boeing 747 avec un Boeing RC-135.
Les recherches et missions de sauvetages ne relèveront aucun survivant. Les autorités soviétiques refusent de livrer les deux boites noires aux enquêteurs de l’OACI qui finalement concluront quelques semaines plus tard, en février 1984, à une erreur de pilotage de l’équipage et dédouaneront l’aviation soviétique.
Pour autant la bavure semble claire et nette.
Plusieurs années après, en 1992 alors que l’URSS s’est effondrée l’administration de la toute jeune fédération de Russie relance l’enquête en révélant le contenu des deux enregistreurs de vol. Et là encore les enquêteurs américains du NTSB révèlent que le commandant de bord à dérouter son avion par erreur, le Boeing 747-200B ayant peut être subi une avarie de radar de bord.
Cette tragédie eut pour effet l’arrêt immédiat et définitif des vols de reconnaissance des Boeing RC-135 de l’US Air Force au-dessus de cette région de l’URSS. Cependant ils furent remplacés par des missions réalisés par des Lockheed EP-3E Aries de l’US Navy. Il ne fallait pas perdre le renseignement.
De leur côté ni les pilotes ni les radaristes soviétiques n’eurent à répondre de leurs actes, Moscou estimant qu’ils avaient agi avec professionnalisme en abattant un avion « supposé espion » au-dessus d’une zone interdite.
Aujourd’hui encore des questions se posent notamment sur le fait que les équipes sud-coréennes et japonaises de secours n’ont récupéré que peu de corps et d’effets divers. Les Soviétiques avaient-ils intérêts à faire disparaitre certaines « preuves » ? On ne le saura sans doute jamais. La guerre froide est terminée, elle saura garder ses secrets. le vol KE007 est de ceux-là.
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