La Force Aérienne Belge et l’opération Simba

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Récits historiques et légendaires

Au début de la seconde moitié des années 1950, la Belgique tient à conserver son rang de puissance coloniale, aux côtés notamment de la France. Mais elle assiste également impuissante à l’essor des forces indépendantistes en Afrique. Et le Congo belge n’est pas épargné, au grand dam des dirigeants bruxellois. A la même époque, l’Union Soviétique tente de mettre la main sur certains de ces pays, mettant en place localement de puissants partis communistes.

La Belgique doit donc réagir, et notamment en démontrant au monde entier sa capacité à déployer rapidement depuis la métropole des avions de combat et des appareils de soutien, dans l’hypothèse où une rébellion armée viendrait à naître. Au mois de février 1959, plusieurs officiers belges mirent sur pieds l’opération Simba qui consistait à envoyer quatre avions de combat et deux de soutien au Congo belge. Il ne leur restait plus qu’à trouver les aéronefs adéquats mais également les équipages.

L’aviation de chasse belge reposait alors sur trois modèles différents d’avions, deux monoréacteurs et un biréacteur. Si les Republic F-84F semblèrent dès le début ne pas convenir, les généraux belges réfléchirent un long moment avant de finalement refuser également l’utilisation des Hawker Hunter F Mk-6, alors leurs principaux chasseurs-bombardiers. C’est donc tout naturellement vers les biréacteurs Avro Canada CF-100 Mk-5 qu’ils se tournèrent.

Avro CF-100 "Canuck" AX1 lors d'une  cérémonie
Avro CF-100 « Canuck » AX1 lors d’une cérémonie

Concernant les deux avions destinés à soutenir ce « raid », là encore deux modèles s’opposaient au sein de la Force Aérienne Belge : le quadrimoteur Douglas DC-6A ou le bimoteur Fairchild C-119G. Bien que le DC-6A semble plus avantageux, seul un avion était alors opérationnel, le deuxième étant alors en phase d’aménagement, et les autres encore en commandes. Le Flying Boxcar fut donc retenu naturellement.

Il ne restait plus qu’à trouver des pilotes et équipes techniques pour soutenir cette aventure. Mais la Belgique devait aussi faire face à deux obstacles majeurs : les CF-100 allaient-ils être adaptés aux vols tropicaux, et les pistes congolaises étaient-elles en état de recevoir des avions de combat modernes.
Concernant la première interrogation les militaires n’eurent aucune réponse à apporter, le constructeur n’ayant jamais testé son avion en de telles conditions. Il faut dire que le climat congolais est assez éloigné de celui du Canada. Restait l’état des pistes. Et là, force est de constater que les militaires belges n’ont pas fait les choses à moitié. Ils ont chargé leurs aviateurs « locaux » de réaliser des vols et des atterrissages sur place afin de vérifier l’état général des infrastructures. Un audit qui ne portait pas encore son nom.

Des instructeurs de l’École de Pilotage Avancé de Kamina dans le sud congolais réalisèrent ces vols à l’aide de leurs monomoteurs North American T-6. Et leur jugement était sans appel. Hormis Kamina et l’aéroport international de Léopoldville, aucune piste civile ou militaire n’était en mesure de recevoir des jets de combat, à moins d’engager des frais de remise en état particulièrement onéreux. Ils mirent même en lumière que les terrains d’aviation de Jadotville et Matadi n’étaient même pas apte à recevoir des avions plus légers.

A Bruxelles, la décision fut donc prise d’utiliser Kamina comme base centrale pour l’opération Simba. Les quatre CF-100 de la Force Aérienne Belge opéreraient donc de là. Pour des raisons administratives, mais également à cause d’un exercice majeur de l’OTAN en Belgique, les avions ne pourraient prendre les airs que début juillet. Dont acte.

Le C-119 belge CP-22 sur la piste de Melsbroek
Le C-119 belge CP-22 sur la piste de Melsbroek

Le 3 juillet 1959, deux Fairchild C-119G appartenant au 15ème Wing quittaient leur base de Melsbroek pour rallier Lisbonne au Portugal. Ils transportaient mécaniciens et pièces de rechange. Le lendemain, 4 juillet 1959, c’était au tour des quatre Avro Canada CF-100 de quitter la Belgique à destination du Portugal. Les avions du 1er Wing arrivèrent sur place en début d’après-midi.

Les six avions belges mirent encore deux jours pour atteindre Léopoldville, le chef-lieu du Congo belge, aujourd’hui nommée Kinshasa. Plusieurs escales furent nécessaires, notamment dans des territoires sous administration française. À Dakar, les aviateurs de l’Armée de l’Air furent surpris de voir arriver les Canuck de leurs collègues belges, un avion indubitablement très exotique dans cette partie du monde.

Le CF-100 Canuck belge AX-23 sur le tarmac de Kamina
Le CF-100 Canuck belge AX-23 sur le tarmac de Kamina

Dès le 7 juillet 1959, les Avro Canada CF-100 Mk-5 de la Force Aérienne Belge commencèrent leurs vols de représentation. Évidemment la presse était conviée. Chacun pouvait observer de près les gros chasseurs biréacteurs venus spécialement de métropole. Banana, Boma, Matadi, et Thysville, quatre villes importantes où les indépendantistes étaient de plus en plus puissants furent survolées. Bruxelles montrait les crocs, à sa manière. En effet, les quatre Avro Canada CF-100 n’emportaient aucun armement lors de l’opération Simba.

Dès le 8 juillet ils opéraient depuis Kamina. Hormis les T-6 d’entraînement cette base accueillait également des Douglas C-47 et Fairchild C-119G ainsi que les trois seuls hélicoptères congolais, des Bristol Sycamore HR Mk-14B, qui étaient aussi les trois premières voilures tournantes acquises par la Force Aérienne Belge.

Autant dire que les jets biréacteurs y détonnaient quelque peu.

Le 8 juillet 1959 ils reprirent leur ballet aérien, survolant les villes d’Albertville, Elizabethville, Jadotville, et Kolwezi, toutes célèbres pour être des centres de la contestation katangaise. Là encore les généraux belges voulaient impressionner.

Mais l’opération Simba se devait aussi d’être une vitrine du savoir-faire belge en matière d’aviation militaire. Avec uniquement des avions conçus en Amérique du nord ce n’était pas vraiment gagné. C’est pourquoi il fut décidé de monter à la hâte un meeting aérien le 11 juillet 1959 depuis Kamina. Outre les quatre CF-100, des T-6, deux Sycamore et quelques avions civils, dont des biplans se produisirent devant une population peu habituée à ce genre de démonstration. Les meetings n’étaient pas monnaie courantes dans les colonies.

Le C-119G belge CP-34 au-dessus des nuages
Le C-119G belge CP-34 au-dessus des nuages

Du 13 au 16 juillet, les six avions refirent le chemin en sens inverse, les ramenant ainsi en Belgique. Durant les deux semaines de l’opération Simba aucun incident majeur n’avait été à déploré sur les avions. Les vols congolais démontrèrent même que les CF-100 Mk-5 étaient parfaitement apte à voler sous des conditions tropicales. Cependant cette capacité ne fut jamais vraiment mise en valeur, le Congo belge obtenant son indépendance en 1960, devenant ainsi le Zaïre.

Aujourd’hui l’opération Simba est relativement tombée dans l’oubli. Mais il faut se souvenir qu’en 1959 le ravitaillement en vol était absent du cursus de formation des pilotes belges, et que de tels avions n’existaient pas dans les arsenaux européens, hormis à quelques très rares exemplaires dans la Royal Air Force.

Rétrospectivement, on peut se demander jusqu’à quel point les « ennemis » potentiels de la Belgique furent impressionnés par le déploiement de quatre chasseurs désarmés pour des survols coloniaux à basse et moyenne altitude. Quoiqu’il en soit il permit au moins de démontrer des qualités africaines à un avion canadien qui ne remit jamais les pieds dans cette partie du monde.

Les quatre Avro Canada CF-100 Mk-5 participant à l’opération Simba portaient les matricules AX-1, AX-12, AX-23, et AX-44. Ceux des deux Fairchild C-119G étaient CP-22 et CP-34.

Photo © Composante Air.


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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