Pour beaucoup l’aéromobilité, c’est à dire le déplacement massif de troupes aéroportées d’un point A à un point B (généralement le champs de bataille) par le biais d’hélicoptères de transport et de manœuvres, a été inventé par des officiers français durant la guerre d’Algérie. C’est tout à la fois très vrai et un petit peu exagéré. En fait déjà durant la Seconde Guerre mondiale des officiers de la Luftwaffe y avaient pensé mais faute d’hélicoptère réellement abouti cela ne dépassa pas le stade théorique. Par la suite durant la guerre de Corée les Américains mirent en œuvre les premières missions de transports de troupes au moyen d’hélicoptères d’assaut Sikorsky H-19. Cependant ce recours aux voilures tournantes demeurait très marginal et assez mal accepté par les états-majors tout autant que par les soldats eux-même.
Aussi c’est donc bien les Français qui eurent l’idée, assez géniale il faut bien le reconnaitre, de transporter plusieurs dizaines de fantassins ou de parachutistes à bord d’escadrilles complètes d’hélicoptères au plus près du point d’accrochage avec les forces ennemies. En plus cela se faisait souvent sous la protection machines légères types Alouette II et/ou Bell 47G armées de mitrailleuses et de paniers à roquettes. On ne parlait toutefois pas encore d’hélicoptères de combat.
Rapidement les amiraux français comprirent l’intérêt de l’hélicoptère dans le déploiement de forces terrestres et amphibies. Il faut dire qu’ils étaient bien conseillés par quelques opiniâtres officiers qui plaidaient régulièrement la cause des voilures tournantes.Et c’est donc assez logiquement que l’Aviation Navale eut pour mission de créer sa propre unité de transport héliportée opérationnelle apte à être déployée sur le théâtre d’opérations en Algérie.
Ce fut chose faite le 1er août 1956 avec la création de la Flottille 31F qui reprend en fait une partie des machines de la section hélicoptère de l’Escadrille 10S à savoir cinq Piasecki H-21C, surnommés affectueusement les « Bananes Volantes » par les pilotes de l’ALAT. Il faut dire que ce sont eux qui avaient initialement acquis ces hélices. Le lieutenant de vaisseau Jacques Bally, premier pacha de la 31F, refuse cependant de prendre les deux Sikorsky H-19 venus de la 10S. Dans son esprit la nouvelle flottille ne peut pas être faite de bric et broc, elle doit rester rationnelle. On est marin ou on ne l’est pas, même à bord d’un hélico.
Au cours des semaines suivantes l’Armée de Terre va livrer à Bally et à ses hommes cinq autres H-21C. En parallèle de l’entraînement aux missions de transport et d’assaut des pilotes le LV Bally va concevoir un programme visant à habituer les fusiliers-marins, et surtout les commandos de marine, à voler à partir de ces drôles de machines bruyantes et suintant l’huile de partout. Sans le savoir il crée un modèle du genre.
L’aéronavale française n’ayant pas à proprement parler alors de site de transport aérien c’est depuis la Base Aérienne 149 d’Alger-Maison Blanche que les hommes de la 31F font voler leurs Bananes Volantes.
Dans un premier temps cependant les H-21C de la Flottille 31F ne réalisent pas totalement des missions de combat contre la résistance algérienne, plutôt du soutien opérationnel ou des vols d’évacuation sanitaire. C’est d’ailleurs à l’occasion d’un de ceux-ci que l’unité connait son premier drame marquant : dans la soirée du 25 janvier 1957 un de leurs appareils est pris sous le feu ennemi, l’appareil s’écrase avant d’avoir pu récupérer son blessé. Trois des quatre membres d’équipage sont tués, le survivant souffre de multiples blessures.
Quelques semaines plus tard lors d’une mission de récupération de commandos sur un piton rocheux un autre H-21C est pris sous le feu d’armes automatiques de combattants de l’ALN (l’armée de libération nationale, la branche militaire du FLN) qui touchent l’hélicoptère au niveau du moteur. L’appareil s’écrase violemment et se couche sur le flanc droit. Par miracle les quatre membres d’équipage s’en sortent quasi indemnes, hormis une entorse à la cheville et un poignet fracturé.
Le 17 septembre 1957 la Flottille 31F voit arriver son troisième pacha, après le passage-éclair du LV Pierre Michel, en la personne du LV Eugène Babot. Ce dernier est un véritable meneur d’hommes. Finis les missions secondaires la flottille et ses H-21C participeront à des missions de lutte contre la résistance algérienne en transportant commandos de marine et légionnaires dans les endroits les plus improbables du territoire algérien. À l’instar des pilotes de l’ALAT les équipages de la 31F se font, sous l’impulsion du LV Babot une spécialité dans le posée d’assaut sous le feu ennemi. Il est d’ailleurs le premier à envisager que ses hélicoptères embarquent une mitrailleuse de sabord pour assurer l’autodéfense de l’appareil, la future gundoor désormais bien connue.
Fin 1957 la 31F quitte le théâtre d’opération algérois et constantinois pour rejoindre la Base Aérienne 180 de Bousfer, non loin d’Oran dans l’ouest du territoire. Pour autant les combats y sont aussi âpres qu’ailleurs en Algérie. En parallèle Babot continuent de penser l’hélicoptère d’assaut. Il envisage le montage de paniers lance-roquettes, de lanceurs de bombes, mais il est rarement suivi par son état-major. Il faut dire qu’à Paris on se méfie un peu de cet officier de marine qui préfère les airs à la baille.
À cette même époque l’état-major de la Marine Nationale obtient qu’une Banane Volante de la 31F soit en quasi permanence détachée à bord du porte-avions Arromanches comme appareil de transport et de servitude. Entre les deux hélicos perdus lors de crashs, celui utilisé pour cannibalisation, et ce dernier la 31F se retrouve amputée à six H-21C. Début 1958 déjà dans l’esprit des amiraux français s’éveille la possibilité de voir disparaitre les Bananes Volantes de l’arsenal de la Flottille 31F. Peu d’hélicoptères sont alors disponibles et finalement il est décidé de conserver encore un peu.
Durant toute l’année 1958 les six H-21C sillonnent l’Algérie d’ouest en est, de la frontière marocaine à la frontière tunisienne, transportant les commandos de marine là où ils sont demandés. Il en est de même l’année suivante. En septembre 1959 le premier Sikorsky HSS fait son apparition dans la 31F. En même temps les Bananes Volantes sont à bout de souffle. Elles seront finalement retirés du service opérationnel en avril 1960. C’est la fin de l’aventure algérienne des H-21C de l’aéronavale. Les quelques appareils encore en (relatif) état de vol sont rétrocédés à l’Armée de Terre.
Si le Piasecki H-21C n’a jamais eu dans la Marine Nationale l’aura de son successeur, il n’en demeure pas moins que durant la guerre d’Algérie ses pilotes posèrent les premières pierres de ce qui allait devenir une des spécialités françaises : le transport héliporté de commandos de marine, un rôle aujourd’hui dévolu aux hommes et aux femmes qui pilotent l’ultramoderne NH90 Caïman. Et dire que tout est parti d’une Banane Volante.
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