Bon disons-le clairement, dans l’histoire aéronautique il y a des avions plus légendaires que les autres et le McDonnell F-4 Phantom II est de ceux-là. Réussir à améliorer cet avion de combat américain très bien pensé est un tour de force qui n’est pas donné à tous. C’est vraiment mal connaitre les Britanniques que de croire qu’ils n’y arriveraient pas.
En 1964, la Fleet Air Arm passa commande pour cinquante exemplaires d’une version anglicisée du F-4J. Ces avions devaient pouvoir servir à bord des porte-avions de la Royal Navy en remplacement des De Havilland Sea Vixen qui arrivaient au terme de leur carrière.
Mais alors, on fait comment pour angliciser un McDonnell F-4J ?
La réponse est assez simple. On lui ôte ses deux réacteurs General Electric J79-GE-10 américains et on les remplace par des Rolls & Royce Spey Mk-202 britanniques eux. Au passage, on revoit et on corrige tout ce qui n’est pas assez britannique dans l’avionique. Sur le papier c’est simple. Sur le papier seulement, parce que dans la réalité ça l’est déjà nettement moins. Et ça les ingénieurs des deux côtés de l’Atlantique s’en sont vite rendus compte, à l’usage en fait.
Car le secret du Spey Mk-202 par rapport au J79 c’est qu’il est un tout petit peu plus gros (niveau diamètre) et que les ingénieurs américains avaient recours dans les années 1960 au système métrique tandis que leurs collègues britanniques comptaient eux toujours en pouces. Les designers et ingénieurs des deux pays n’en avaient pas fini avec leurs tables de conversions. Ni d’ailleurs avec les nuits blanches.
Dans le même temps en Europe les dirigeants de Dassault-Breguet regardaient la scène avec un amusement non dissimulé. Londres avait en effet refusé d’acquérir l’Étendard IVB pourtant spécialement doté d’un réacteur britannique Rolls & Royce Avon. En fait, l’avion de combat français était un tout petit peu trop petit pour les besoins de l’aéronavale de Sa Majesté.
Les modifications structurelles du F-4K (K pour Kingdom, royaume dans la langue de Molière) étaient telles que l’avion prenait sur la balance 350kg à vide sur la balance par rapport au F-4J. Ça tombe bien le Spey Mk-202 était légèrement plus puissant à sec que le J79-GE-10. Le premier vol de l’avion intervint le 27 juin 1966. C’est dans cette configuration qu’il entra en service opérationnel au début de l’année 1968 sous la désignation de Phantom FG Mk-1. Rapidement les marins britanniques furent stupéfaits.
Non seulement leurs Phantom FG Mk-1 étaient plus rapide que les F-4J de l’US Navy et de l’US Marines Corps mais en plus ils réussissaient le tour de force d’être plus maniables que les Étendard IVM français pourtant réputés très manœuvrables à cette époque.

Assez étrangement, la Royal Air Force ne perdit pas longtemps avant de s’intéresser à cet avion. En fait depuis plusieurs mois les généraux londoniens regardaient de près ce biréacteur américain qu’on disait capable de damer le pion au meilleur chasseur soviétique du moment, le MiG-21 Fishbed.
Mieux encore en combat simulé le Phantom II avait démontré sa capacité à échapper à celui qui était alors un des intercepteurs les plus craints au monde : le Dassault Mirage IIIE. Non pas que la RAF pensait affronter un jour l’Armée de l’Air, mais ses dirigeants connaissaient l’efficacité des commerciaux français capable de vendre le chasseur à aile delta à pas mal de pays dans le monde.
Mais surtout, à l’époque, la RAF s’était désengagée du programme Hawker Siddeley P.1154, une sorte de P.1127 Kestrel hyper amélioré et surtout devenu un véritable gouffre financier pour le contribuable britannique.
L’aviation de Sa Majesté cherchait donc un chasseur bombardier capable de venir soutenir la flotte des British Aircraft Corporation Lightning plutôt en charge de la défense aérienne. Une commande fut alors passée pour un prototype de F-4K non navalisé. Afin d’éviter toute méprise entre les deux avions il fut décidé de le nommer F-4M. En fait, hormis l’absence de crosse d’appontage peu de point différenciaient extérieurement les deux versions.
Les premiers exemplaires firent leur apparition en 1969 comme Phantom FGR Mk-2. Cent-quinze exemplaires de série avaient été commandés. Pour la première fois depuis longtemps Royal Air Force et Royal Navy opéraient sur un avion commun, avec cependant quelques petites différences. Un peu comme à la grande époque du Spitfire et du Seafire.
Alors que les Phantom FG Mk-1 de la Royal Navy brillaient en exercices navals internationaux, ou lors d’interceptions de bombardiers et d’avions de reconnaissance soviétiques Tupolev Tu-95 Bear, les Phantom FGR Mk-2 quant à eux opéraient de manière plus discrète. Certes eux aussi interceptaient des espions volants frappés de l’étoile rouge mais rarement sous les feux des médias.

En 1978, pourtant la Fleet Air Arm décida de se séparer de ses Phantom et les versa à la RAF. Le temps des porte-avions classique semblait révolu au Royaume-Uni, place était désormais faite aux British Aerospace Sea Harrier FRS Mk-1 jugés beaucoup plus modernes, polyvalents, et faciles d’emploi. Les marins britanniques n’avaient pas fini de s’en mordre les doigts.
Les généraux de la RAF furent ravis de percevoir ces avions qui avaient encore un très bon potentiel. Assez étrangement après avoir envisagé de déposer la crosse d’appontage ils prirent la décision de la conserver malgré le surpoids que cela causait à l’avion.
Et c’est dans les années 1980 que les Phantom FGR Mk-2 de la Royal Air Force connurent leur heure de gloire. Trois avions du Squadron 29 furent déployés sur l’île de l’Ascension en Atlantique sud dans le cadre de la couverture aérienne de l’opération Black Buck, la phase logistique de la reconquête de l’archipel des Malouines après son invasion par les forces argentines en avril 1982.
Armés de missiles air-air courte portée Sidewinder, les biréacteurs de combat devaient pouvoir ouvrir la voie aux avions de transport en cas de présence de chasseurs argentins. La principale crainte de Londres résidait alors dans les Dagger et Mirage III utilisés par l’ennemi.
Il est à noter que des Phantom furent basés aux Malouines, après-guerre. Cependant ceux-ci n’ont rien à voir, il s’agit de F-4J (UK) des avions acquis de seconde main par la RAF auprès de l’US Navy et utilisés exclusivement par le Squadron 74 entre 1984 et 1991. Quinze exemplaires étaient concernés par cette commande si particulière.
Finalement les derniers McDonnell F-4 Phantom II anglicisés quittèrent le service actif de la RAF dans le courant de l’année 1992. Ainsi se terminait la carrière d’avions bien différents de ceux qui existaient ailleurs. Il faut savoir que malgré le « R » pour reconnaissance qui les caractérisent jamais les Phantom FGR Mk-2 n’eurent de capacités similaires à celles des RF-4 Phantom II de reconnaissance tactique.
Il est à noter que deux avions de ce type, un F-4K aux couleurs de la Fleet Air Arm et un F-4M à celles de la Royal Air Force, sont exposés au sein de l’Imperial War Museum de Duxford dans l’est de l’Angleterre.
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