Alors que l’avenir du Boeing E-7 Wedgetail s’assombrit, plusieurs se demandent sûrement ce qu’il en est pour le Boeing P-8A Poseidon. Va-t-il réussir à dominer le marché mondial des avions de patrouille maritime comme son prédécesseur, le Lockheed P-3 Orion ? Ou partir en vrille comme le Wedgetail ? Avec un nom comme Poseidon, dieu de la mer dans la mythologie grecque, les attentes de Boeing sont claires !
D’entrée de jeu, précisons qu’environ 180 appareils P-8A Poseidon sont actuellement en service dans le monde entier, totalisant à ce jour plus de 700 000 heures de vol. Depuis sa mise en service en 2013, on ne déplore qu’un seul incident opérationnel. Le 20 novembre 2023, un P-8A fit une sortie de piste à la base aéronavale de Kaneohe Bay sur l’île d’Oahu à Hawaï. Les neuf membres d’équipage sont heureusement sortis indemnes de l’avion et ont pu regagner la terre ferme, l’appareil ayant terminé sa course dans l’eau. Conçu à l’origine pour répondre aux besoins de l’US Navy et de la Royal Australian Air Force (RAAF), il n’est pas étonnant que ces deux forces aériennes furent les premières à en prendre livraison.
L’US Navy est évidemment les plus grand utilisateur du P-8A, avec 125 exemplaires livrés, sur une flotte visée de 135 appareils. En mars 2024, l’US Navy réceptionnait son premier Poseidon de génération Increment 3 Block 2 (I3B2) qui constitue désormais la norme de base pour toutes les nouvelles livraisons. L’I3B2 comprend des améliorations à la suite radar APY-10 permettant une meilleure détection des petits objets à la surface de la mer, notamment les périscopes et antennes. Une meilleure intégration des communications par satellite et de liaisons de données a renforcé la capacité du Poseidon à alimenter le système de situation maritime de l’OTAN. Les Américains, ainsi que les autres utilisateurs du P-8A, peuvent également compter sur le système High Altitude Anti-Submarine Warfare Weapon Capability (HAAWC). Le HAAWC permet au P-8A de lancer des torpilles anti-sous-marines Mk 54 à haute altitude, éliminant ainsi le besoin de manœuvres à basse altitude qui augmentent les contraintes sur la cellule et la consommation de carburant. En outre, ces torpilles planantes accroissent les capacités de frappe à longue portée du Poseidon.

De son côté, l’Australie réceptionnait son premier P-8A en 2016. Il est prévu que sa flotte soit portée à une quinzaine d’appareils, le dernier devant être livré en 2026. Dans une région du monde où la Chine tente d’imposer sa suprématie, un P-8A australien patrouillant en Mer de Chine méridionale a fait l’objet d’une interception agressive de la chasse chinoise en février dernier. Cette réaction démesurée et dangereuse des Chinois s’explique par le fait que le P-8A Poseidon est bien plus qu’un simple avion de patrouille maritime. Le Poseidon est un avion multi-missions (Multi-Mission Aircraft – MMA) conçu tant pour la lutte anti-sous-marine et anti-surface, que pour le renseignement, la surveillance et la reconnaissance. Les Chinois craignent donc la présence de cet « avion espion » au-dessus de ce qu’ils considèrent leur Mare nostrum.

L’attitude belliqueuse de la Chine, ainsi que de la Corée du Nord, ont incité d’autres pays de la zone indo-pacifique à se doter d’avions P-8A. Pourtant peu friande de dépenses militaires, la Nouvelle-Zélande aligne une petite flotte de quatre appareils Poseidon. Celle de la Corée du Sud est plus conséquente avec six P-8A déjà livrés et six autres à venir. Singapour annonçait en septembre dernier son intention d’acquérir quatre appareils Poseidon. Enfin, l’Inde dispose d’une douzaine appareils P-8I, une version du Poseidon adaptée à ses besoins spécifiques, notamment par l’ajout d’un détecteur d’anomalies magnétiques, absent sur les avions P-8A. Satisfaite de ses P-8I, l’Inde projette d’acquérir six exemplaires additionnels.

On pourrait penser que le Japon serait un client naturel pour le Poseidon, mais il faut rappeler que ce pays a développé son propre avion de patrouille maritime, soit le Kawasaki P-1, également en service depuis 2013. Malgré les tentatives d’exporter son appareil, Kawasaki peine à affronter le P-8A Poseidon. L’Italie deviendra-t-il le premier pays à choisir le P-1 plutôt que le P-8A ? En filigrane, il serait question que l’Italie adopte le P-1 en échange de l’achat par le Japon d’avions d’entraînement Leonardo M-346 Master. Si cela se concrétise, l’Italie risque d’être le seul pays européen à adopter le Kawasaki P-1.

En Europe, le Royaume-Uni fut le premier à passer commande d’appareils P-8A Poseidon après l’abandon du programme Nimrod MRA4, une version évoluée du Nimrod MR2. Désignés Poseidon MRA Mk1 par les Britanniques, leur livraison a débutée 2019. Aujourd’hui la Royal Air Force (RAF) aligne neuf appareils Poseidon, mais face à l’agressivité de la Russie, il est question d’en commander d’autres. Il est à noter, qu’en 2023 l’intégration de la torpille légère Sting Ray Mod 1 dans l’arsenal du P-8A Poseidon fut confirmée. Les autres pays utilisateurs du P-8A peuvent dorénavant embarquer soit la torpille américaine Mk54, soit la Sting Ray britannique.

Alors que le futur avion de patrouille maritime Airbus A321 MPA commence à peine à prendre forme, d’autres pays européens se sont entre-temps tournés vers le P-8A Poseidon, face à une Russie menaçante. La Norvège a réceptionné le premier de ses cinq appareils P-8A en 2022. Dès l’année suivante, un P-8A norvégien faisait l’objet d’une interception agressive par des chasseurs russes au dessus de la Mer de Barents. Comme quoi, les Russes craignent tout autant que les Chinois les capacités de surveillance du Poseidon. Faudra-t-il doter les P-8A de moyens de défense air-air pour décourager les dangereuses manoeuvres d’intimidation russes et chinoises ? De son côté, l’Allemagne optait pour le P-8A en 2021 et réceptionnait son premier appareil en octobre 2025, sur les huit exemplaires commandés. L’Allemagne. pourrait se prévaloir d’une option d’achat pour quatre appareils supplémentaires. Les Pays-Bas ont déjà manifesté leur intérêt pour le Boeing P-8A Poseidon, et des discussions ont eu lieu concernant un éventuel achat conjoint avec d’autres pays de l’OTAN comme le Danemark, la Pologne et la Belgique afin de renforcer la surveillance de la mer du Nord et la Mer Baltique. Plus récemment, le Danemark a réitéré son intérêt pour acquérir des avions P-8A Poseidon, notamment pour faire la traque des sous-marins russes patrouillant dans les eaux arctiques. De tels appareils serait notamment déployés au Groenland, dont la souveraineté est surtout menacée par… l’actuel locataire de la Maison Blanche ! Afin de remplacer ses vénérables avions de patrouille maritime Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique, la France a quant à elle fait le choix du A321 MPA en février dernier. D’autres pays auront-ils le luxe d’attendre un avion qui est encore sur les planches à dessin ?

De retour vers les Amériques, le Canada annonçait en 2023 l’acquisition de quatorze exemplaires du P-8A Poseidon, avec option d’achat pour deux appareils supplémentaires. Contrairement à la commande des F-35A Lightning, dont l’ampleur est remise en question suite à la guerre tarifaire tous azimuts lancée par Trump contre ses alliés traditionnels, la commande des P-8A n’est pas menacée. La livraison de ces appareils est censée respecter un échéancier serré en 2026/2027 et les futurs équipages canadiens sont déjà en formation. Après leur séjour au sein de l’escadron de formation VP-30 de l’US Navy basé au NAS Jacksonville en Floride, les aviateurs canadiens poursuivent leur transformation opérationnelle en Écosse. Imbriqués dans les équipages de la RAF, les Canadiens effectuent des missions à bord d’appareils Poseidon MRA Mk1. Le seul flou qui persiste est la future identité des P-8A canadiens. Pour être fidèle au système de désignation de l’Aviation royale canadienne (ARC), sera-t-il désigné CP-108A ? Va-t-il conserver le nom Poseidon ou en adopter un autre, comme ce fut le cas avec le CP-140 Aurora, ou plus récemment avec le CC-330 Husky ? Certains voudraient qu’il soit baptisé Argus II en mémoire du Canadair CP-107 Argus. Nous serons fixés dans les prochains mois.

Sans vouloir faire l’apologie du P-8A Poseidon, il faut bien avouer que c’est un avion multi-missions qui a fait ses preuves, contrairement au E-7 Wedgetail pourtant développée sur la même plate-forme, soit l’avion de ligne Boeing 737NG. La compétition viendra éventuellement du Airbus 321 MPA, mais entre-temps le Poseidon aura sans doute accaparé la majeure partie du marché. Il faut tout de même dire que P-8A est un avion coûteux à l’achat et à opérer, ce qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour les pays aux moyens plus modestes, ou ne désirant pas dépendre des États-Unis, Bombardier Défense propose son avion Global 6500 MPA et serait en discussion avec quelques pays intéressés. Aussi, en juin dernier, Leonardo et Bombardier Défense ont signé une entente de collaboration non-exclusive pour explorer de nouvelles opportunités sur le marché des aéronefs multi-missions maritimes. Bombardier, Airbus et Kawasaki sauront-ils trouver leur créneau dans un marché actuellement dominé par le Poseidon ? Seul l’avenir le dira.

En savoir plus sur avionslegendaires.net
Subscribe to get the latest posts sent to your email.












