Jacques Brel, le pilote chéri des Marquises

Lors d’un échange récent avec notre ami Arnaud, celui-ci m’a indiqué que Jacques Brel, l’artiste fort connu, était également un passionné d’aviation. Ayant piqué ma curiosité, j’ai glané çà et là de l’Information sur cet aspect de la vie peu commune de cet homme aux multiples talents. Les plus jeunes lecteurs d’Avions légendaires ne connaissent probablement pas cet artiste. Commençons donc par un bref rappel sur l’homme lui-même. Jacques Brel est un auteur-compositeur-interprète, poète, acteur et réalisateur, né en 1929 à Schaerbeek en Belgique. Sa carrière débute en 1952 dans les cabarets bruxellois, puis il enregistre un premier disque en 1953. Bientôt il chante sur des scènes françaises de plus en plus prestigieuses et multiplie les tournées. Également connu au Québec, où il séjourne une première fois en 1958, Brel bercera de ses chansons une partie de mon enfance sans que n’y prête trop attention. Ce n’est que la trentaine venue que j’ai redécouvert son œuvre et commencé à l’apprécier vraiment.

En 1964, le rythme effréné des spectacles oblige Brel de passer rapidement de Biarritz à Charleville en Ardennes et son impresario loue à cette fin un petit avion de tourisme Gardan GY-80 Horizon. En vol, Brel sent soudain en lui naître une vocation. Il est initié sommairement au pilotage par Paul Lépante, pilote d’essais chez Sud-Aviation, durant les quatre heures que dure le vol. Peu après, Brel décide d’apprendre à piloter et recontacte Lépante. Ce dernier devient son instructeur et s’adapte à la vie morcelée du chanteur. Élève doué, il obtient rapidement sa licence de pilote privé et achète début 1965 un monomoteur Gardan GY80-160 d’occasion. En 1967, changement d’appareil, toujours un Gardan, mais un GY80-180 plus récent. Rappelons que l’avion de tourisme Gardan, conçu par Yves Gardan à la fin des années 1950, sera construit à plus de 250 exemplaires jusqu’en 1969 par l’entreprise française Socata.

Brel et son Gardan GY80
Brel Gardan GY-80 Horizon
Gardan GY80 Horizon

Après avoir volé un peu partout en France, Brel fera en 1966 un long voyage qui le mènera, en compagnie de son ami Lépante, de Nice à Beyrouth en passant par Calvi, Naples, Brindisi, Athènes, Rhodes, Nicosie pour l’aller et pour le retour par Ankara, İstanbul, Salonique et Corfou. Afin de se consacrer davantage à d’autres projets, Brel décide d’arrêter ses tournées et ses derniers concerts auront lieu en 1967. Il continue cependant à écrire des chansons et à enregistrer. En 1969, il décide de se lancer dans le vol aux instruments et s’inscrit à l’école Les Ailes basée en Suisse. Là, il va rencontrer celui qui va devenir son instructeur et l’un de ses meilleurs amis, Jean Liardon. Début 1970 Brel fait l’acquisition d’un Wassmer WA-40 Super 4 sortant de l’usine d’Issoire en France qu’il ne gardera qu’un an. Ayant réussi sa qualification de vol aux instruments, puis sa qualification sur bimoteur, Brel s’offre un autre appareil, soit un bimoteur Beechcraft B55 Baron. Il poussera sa formation jusqu’à devenir copilote sur Learjet.

Brel Super 4 Wassmer
Brel avec son Wassmer WA-40 Super 4
Brel Wassmer-4-21
Wassmer WA-40 Super 4
Brel Beechcraft B55 Baron
Beech B55 Baron

En 1973, Brel décide de se rendre en Guadeloupe, en compagnie de plusieurs de ses amis. Il sera co-pilote d’un Learjet 25 loué pour ce voyage. Avec une autonomie de moins de 2 000 km, plusieurs étapes seront nécessaires. Le trajet Genève-Paris-Prestwick-Keflavik-Narssarssuaq-Portland-Wilmington-Nassau-Pointe-à-Pitre sera toute une aventure, incluant une longue immobilisation au Groenland due à un problème de train d’atterrissage.

Brel Liardon-Learjet45-Sicile
Brel en compagnie de Liardon avec un Learjet

Voulant assouvir une autre de ses passions, Brel entreprend un tour du monde à bord de son voilier l’Askoy II. En escale à Ténériffe, Brel souffrant, doit être rapatrié en 1974 sur Genève où les médecins confirment une tumeur cancéreuse. Opéré, Brel reprend la mer et jettera l’ancre en novembre 1975 aux iles Marquises, à Hiva Oa, où il découvre son petit paradis et décide de s’installer définitivement dans le petit village d’Atuona.

Hiva Oa

L’archipel des Marquises n’est vraiment pas l’endroit idéal pour redonner cours à sa passion pour le pilotage. Mais Brel dégotte un Beechcraft D50 Twin-Bonanza à Tahiti et le ramène sur son îlot montagneux. Il le baptise « Jojo », du surnom de son plus fidèle ami, l’accordéoniste Georges Pasquier décédé peu avant. Constatant le peu de services publics disponibles à Hiva Oa et l’isolement de l’île, il se dit qu’il allait faire quelque chose avec son avion. Brel obtient les autorisations nécessaires pour faire un vol hebdomadaire aller-retour vers la grande île de Tahiti. Il va se rendre régulièrement d’île en île, pour livrer à la population coupée du monde, du courrier, des colis, médicaments et autres vivres, effectuant même des évacuations sanitaires. Il va ainsi effectuer des vols qu’il qualifie lui-même de mémorables et parmi les plus beaux qu’il ait jamais effectués. Entre Hiva Oa et Tahiti, les vols d’une durée de cinq heures sur un trajet maritime de 1 430 kilomètres, ne sont toutefois pas faciles. En cas de mauvais temps, des aéroports de secours permettent de se dérouter, mais les infos météo ne sont pas fréquentes ou précises. Pas de radioguidage non plus. À Atuona, la piste ressemble à la surface gondolée d’un porte-avions.

Brel Jojo2
Beechcraft D50 Twin-Bonanza «Jojo»

En 1977, malgré la maladie, il revient à Paris pour enregistrer son dernier 33 tours intitulé Les Marquises. La chanson homonyme qui clôt l’album, s’achève sur ces paroles « Veux-tu que je te dise – Gémir n’est pas de mise – Aux Marquises ». Il retourne à  Hiva Oa après cet enregistrement. Très malade en 1978, il est contraint de retourner en France où il décède le 9 octobre. Trois jours plus tard, son corps est ramené sur son île d’adoption où on l’ensevelit, non loin du peintre Gauguin. Parmi ses dernières volontés figurait la création d’un aéroclub aux Marquises pour permettre aux jeunes d’avoir accès aux carrières aéronautiques. Ce n’est que trente ans plus tard que l’Aéroclub Jacques Brel fut inauguré. Soigneusement restauré, le dernier bimoteur de Brel est dorénavant exposé à Atuona. Même l’aéroport local porte son nom afin de témoigner de la gratitude de Marquisiens.

Brel Jojo 3
Beechcraft D50 Twin-Bonanza «Jojo»

Brel Aéroport Jacques-Brel Hiva Oa

Brel Aéroport Jacques-Brel Hiva Hoa
De Havilland Canada DHC-6 Twin Otter à l’aéroport d’Hiva Oa

Brel ne s’est jamais vanté de ses prouesses de pilote. Tout juste s’est-il fait prendre en photo avec son avion sur une pochette de disque. Brel disait pourtant « Je n’aurais jamais été chanteur si j’avais pu être Blériot » et « Quand je ne chante pas, je fais de l’avion, ou j’en rêve ». Brel adorait tout autant l’atmosphère de camaraderie des aérodromes et les conversations entre pilotes au bar. Du haut de ses nuages, Brel appréciera donc sûrement cet hommage à sa mémoire au Bar de l’escadrille !

Brel Suivre-L-etoile


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Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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Commentaires

19 Responses

  1. je savais le grand Jacques pilote, mais je ne connaissais pas son amour de l’aviation . Je pense que son esprit vole au dessus des marquises.
    merci.

  2. Étant un peu plus vieux que vous ^^ J’étais au courant de sa passion pour l’aviation.

    Merci pour ce superbe résumé !

    1. Vous m’avez enlevé les mots de la bouche! Au début du film Brel apparaît pilotant un De Havilland DH-89 Dragon Rapide dans le film « L’aventure c’est l’aventure » tourné en 1972.

  3. C’est le chanteur que mes parents écoutent le plus souvent, quand je leur dirais qu’il était pilote ils ne me croiront jamais.

  4. Pour moi Brel demeurera toujours l’auteur et l’interprète de « Ne me quitte pas », une des plus belles chansons du répertoire francophone.
    Au passage très joli sujet de notre ami Marcel.

  5. Début 1970 Brel fait l’acquisition d’un ? neuf sortant de l’usine d’Issoire : Je suppose un Wassmer WA-40.

    Bel homage, bel article. Merci.
    Je l’admire toujours et je l’écoute parfois. Il a fait parti de l’éducation musicale de mes enfants.
    L’album « Les Marquises » est une pure merveille. En fait, tout est magnifique chez Brel…

  6. Le Wassmer WA40 demeure un des avions de tourisme français les plus réussi de son époque. Pas étonnant que Brel l’ai choisi.

  7. merci cher Arnaud, j’adore toute ces chansons, cela me rappelle ma jeunesse
    et en plus pilote des marquises, il était très aimé dans cette île.

  8. Bonjour, merci pour cet hommage a Jacques Brel,.
    J’ai passé ma qualification « train rentrant » sur le Gardan Horizon , c’était dans les années 1972 , l’avion appartenait a Jacques Brel , il été certainement en location ou en prêt a l’aéroclub de Canne Mandelieu UACA
    D’après les photos que j’ai en ma possession l’immatriculation serait: F-BRD…..? mais pas sur , j’ai perdu mon premier carnet de vol pour connaitre l’immatriculation .
    Ci cela vous intéresse je peut vous envoyer des photos de l’avion .
    D’autre part j’ai programmé un voyage au Marquises pour début 2018 , et voir l’avion de JOJO;
    Cordialement Michel

    1. Bonjour. Merci pour vos mots d’appréciation. Je vous trouve bien chanceux de vous envoler vers les Marquises. Cela fait partie des endroits que j’aimerais bien visiter un jour. Bon voyage !

  9. En 1969 Jacques Brel préparait comme moi sa qualification IFR à Genève . Notons que cette qualifiication IFR ( vol aux instruments) est la plus difficile de toutes, Monsieur Brel s’est distingué par ses compétences et surtout son humilité .Stagiaire doué, il nous a laissé le souvenir inoubliable d’un pilote qui a continué à voler comme le vrai professionnel qu’il n’était pas. Tant d’autres célébrités à « grosse tête » se sont tués aux commandes d’avions pour avoir oublier les règles communes .

  10. CHER JACQUES BREL,

    POUR MOI TU ES LE PLUS GRAND CHANTEUR !!!!

    JE VIENS D’ECOUTER TES CHANSONS,NE ME QUITTE PAS,
    LES MARQUISES.

    AVEC COMME D’HABITUDE, LES LARMES AUX YEUX.

    POUR UN BONHOMME QUI PESE 107 KG ET 1.85 M
    CA FAIT DROLE NON, JACQUES ?

    BERNARD DARDART

  11. En 1992 je me suis posé à saint inglevert il y avait son wa40 dans un hangar et je crois qu’il à été la propriété d’un pilote à Rouen à LFOP

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