Shuttle Carrier Aircraft, la nounou de la navette spatiale américaine

Au moment où se pose de plus en plus question du prolongement de la production en série des Boeing 747 je vous propose qu’on s’intéresse d’un peu plus près à une version méconnue et pourtant emblématique de cet avion, le Shuttle Carrier Aircraft ou SCA.

Administration américaine extrêmement puissante la NASA a en charge le développement aéronautique et spatial des États-Unis depuis sa création durant la Guerre Froide. Forte d’évènements historiques comme le premier pas d’un être humain sur la Lune en juillet 1969 ou bien encore le lancement du premier télescope spatial, le fameux Hubble, la NASA dispose de sa propre flotte d’avions, souvent des appareils militaires profondément modifiés ou des avions de ligne dont les nouvelles missions n’ont plus grand chose à voir avec le transport de passagers. Parmi cette petite centaine d’aéronefs en tout genre on trouve les deux quadriréacteurs commerciaux Boeing 747-100 transformés spécifiquement pour le transport de la navette spatial américaine que sont donc ces Shuttle Carrier Aircraft.

La navette Enterprise sur le dos du premier Shuttle Carrier Aircraft.
La navette Enterprise sur le dos du premier Shuttle Carrier Aircraft.
En fait au cours des années 1980 l’Amérique s’est doté, à l’instar de l’URSS, d’un type très particulier de véhicule : la navette spatiale. Bien que ressemblant fortement à un avion cette dernière est strictement incapable de voler dans l’atmosphère par elle-même. En effet elle se rapprocherait plus d’un planeur à moteur fusée que d’un véritable avion. Voire selon certaines mauvaises langues d’une grosse brique sur laquelle on aurait greffé une voilure et des propulseurs.
Lors de son retour dans notre atmosphère la navette descendait en vol plané et se posait sur différentes bases militaires américaines ou appartenant à des pays alliés aux États-Unis : Australie, Canada, France, Islande, Italie, Royaume Uni, ou encore Suède. Une fois la navette au sol et son équipage prit en compte par la NASA il reste un problème de taille : comment la rapporter à sa base de Dryden ou encore depuis le centre d’essais militaire d’Edwards AFB, tous deux sis en Californie.

En 1974 les responsables de la NASA estimèrent que la future navette spatiale devrait être transportée par avion et ils se lancèrent dans la recherche d’une telle machine. Mais la taille et la masse de l’astronef étaient telles qu’il fallait qu’il soit transporté par un avion de grande taille. Deux appareils furent donc présélectionnés : le Boeing 747 civil et le Lockheed C-5 Galaxy militaire.
On imagina aussi des modifications apportées à ces avions comme ce fut le cas pour les Boeing C-97 qui furent transformés en Super Guppy. Rapidement pourtant les ingénieurs et experts de la NASA, associés à ceux de l’aviation civile américaine et de l’US Air Force, décidèrent de commander deux 747 et de les transformer selon une méthode originale héritée des années 1940 et 1950 : les avions superposés.

Le Shuttle Carrier Aircraft accompagné d'un F/A-18B Hornet démilitarisé de la NASA.
Le Shuttle Carrier Aircraft accompagné d’un F/A-18B Hornet démilitarisé de la NASA.
En effet quelques ingénieurs américains décidèrent de s’inspirer de ce qui se faisait en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale lorsque le quadrimoteurs Heinkel He 274 saisi aux Allemands emportaient sur le dos des prototypes et des maquettes grandeur nature de machines en développement comme par exemple le NC-270, ou le SO-4000. En fait les ingénieurs français avaient déjà initié cette idée dans l’esprit de leurs homologues américains avec le drone Lockheed D-21 et son avion porteur Lockheed A-12 Oxcart. À la NASA on savait donc le principe viable, même depuis un jet. Après tout le Jumbo Jet ne volait pas à Mach 3 comme l’ultra-secret A-12.

Il s’agissait donc désormais de modifier deux Jumbo Jets afin d’en faire les porteurs de la navette spatiale. Les modèles sélectionnés étaient du type 747-100, la version de base. Le premier fut acquis en 1976 d’occasion auprès de la compagnie aérienne American Airlines. Cet avion de seconde main avait peu d’heures de vol et fut donc rapidement retravaillé à Edwards AFB. Le programme fut classé parmi les plus confidentiels aux États-Unis. il faut dire qu’en ces temps de guerre froide il aurait été désagréable pour les Américains que les Soviétiques découvrent leur tout nouvel avion. Même si eux-aussi travaillaient sur un programme similaire pour la navette Bouran.

Vu du dessus la navette paraît presque petite.
Vu du dessus la navette paraît presque petite.
Des moyens considérables furent mis en œuvre : on alloua au projet trois avions différent, appartenant tous à la NASA : un bimoteur Beechcraft Queen Air, un biréacteur d’affaire modifié Rockwell Sabreliner, et surtout un chasseur Lockheed NF-104B qui emportait sur le dos une mini-maquette de la navette.
Le Boeing 747-100 reçut l’immatriculation N905NA.

Par rapport au 747-100 le Shuttle Carrier Aircraft se différenciait par une structure renforcée sur le dos de l’avion, un train d’atterrissage modifié, une cabine vidée de tous sièges et équipements commerciaux, mais surtout un empennage totalement revu et corrigé. Si la queue classique de l’avion demeurait elle fut agrémentée de deux énormes stabilisateurs. Le poste de pilotage fut lui aussi revu, avec un cockpit triplace classique et une quatrième place pour un ingénieur de bord. En outre une petite cabine arrière fut installé, dans la « bosse » du 747 pour les deux ingénieurs d’essais spécialisés dans la surveillance à la fois de l’avion lui-même mais aussi (et surtout) de sa très précieuse cargaison.
Ce sont surtout les trois points de fixation sur le dos du 747-100 qui le différenciait des avions de ligne classique. Le premier SCA effectua son vol inaugural en octobre 1978.

Atterrissage dans le décor mythique mais lunaire d'Edwards AFB.
Atterrissage dans le décor mythique mais lunaire d’Edwards AFB.
Les cinq premiers vols eurent lieu en configuration lisse et c’est à partir du sixième que la NASA greffa au Shuttle Carrier Aircraft une maquette à l’échelle 1 de la navette spatiale. Dès 1981 les vols réelles débutèrent.
En juin 1983 la navette spatiale et sa « nounou » réalisèrent une série de démonstration dans le monde, avec comme point d’orgue le Salon du Bourget où les deux machines firent merveilles. D’autant que l’Union Soviétique n’avait pas encore de machine similaire. En tous cas pas en dehors des planches à dessins de quelques bureaux d’études sévèrement gardés.
En 1988 l’US Air Force, qui fournissait alors les pilotes et mécaniciens de bord, proposa à la NASA de modifier le SCA afin qu’il soit capable d’être ravitaillé en vol, à l’instar de ses Jumbo Jet que sont les Boeing E-4B et VC-25A. Cependant des essais en soufflerie démontrèrent les risques à la fois pour le SCA mais également pour le ravitailleur engagé dans l’opération, le 747-100 modifié de la NASA et son imposante cargaison représentaient un risque de cisaillement beaucoup trop élevé.

Cette même année le second 747-100 fut acquis, quatorze ans après que son budget ait été voté. Celui ci était un avion de la même série mais de la sous-version 100SR à court rayon d’action et capacité accrue en accueil de passagers. Les Boeing 747-100SR avaient été spécialement conçu pour la compagnie nippone Japan Air Lines auprès de qui il fut acheté. Ce second Shuttle Carrier Aircraft fut immatriculé N911NA. Après transformations les différences entre les deux avions s’étaient estompées et étaient donc désormais minimes.

Les deux Shuttle Carrier Aircraft volant de conserve.
Les deux Shuttle Carrier Aircraft volant de conserve.
Après 1988 les deux Shuttle Carrier Aircraft réalisèrent toutes les missions de transport officiel de la navette spatiale américaine. Bien que civils ces avions étaient la plus part du temps pilotés par des équipages militaires et, stationnés dans des enceintes militaires : Edwards AFB  et la très discrète NAS China Lake.
Par contre, contrairement à ce que beaucoup pensent la navette spatiale ne pouvait pas décoller lorsqu’elle se trouvait sur le dos de son SCA pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait à bord ni équipage ni carburant. Tout au plus était-elle largué en plein vol pour des missions d’entraînement mais ces cas là ses propulseurs étaient obstrués voire carrément ôtés.
Une preuve de plus que parfois l’agent 007 peut avoir terriblement tort.
C’est à Dryden que le couple était formé, grâce à une grue spécifiquement assemblée. Un engin similaire, mais servant au débarquement de la navette était installé lui sur le site du centre spatial Kennedy en Floride. Trois grues mobiles ont existé, et étaient transportables par Lockheed C-5B Galaxy ou Boeing C-17A Globemaster III partout dans le monde.
Suite aux attentats du 11 septembre 2001 et l’accroissement du risque terroriste les deux Shuttle Carrier Aircraft ont été doté d’un système leurres antimissiles identique à celui qui équipe Air Force One.

Du temps de leur carrière opérationnelle les deux Shuttle Carrier Aircraft étaient parmi les avions civils les plus chers de l’Histoire mais aussi certainement les plus surprenants. Il faut toutefois remarquer qu’aussi impressionnant étaient-ils, les SCA disposaient d’un rayon d’action pour le moins ridicule : moins de 2000 kilomètres lorsqu’ils transportaient la navette spatiale.

En vol au-dessus de Houston au Texas.
En vol au-dessus de Houston au Texas.
Sur la fin de leur vie les Shuttle Carrier Aircraft servaient aussi pour des programmes de drones, notamment furtifs tel l’ultra-confidentiel Phantom Ray développé par Boeing. En janvier 2008 pourtant le Congrès des États-Unis a annoncé la fin du programme SCA. Le dernier vol a eut lieu en 2012.  Ce sont désormais des pièces de musées préservés et exposés en Californie et au Texas.

Ainsi s’est refermée une page de l’histoire contemporaine américaine, celle liée à une certaine idée de la conquête spatiale. Pour beaucoup de passionnés les Shuttle Carrier Aircraft resteront des Jumbo Jet pas tout à fait comme les autres.

Photos © Wikimédia Commons.

 

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Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

5 réponses

  1. « les SCA disposaient d’un rayon d’action pour le moins ridicule : moins de 2000 kilomètres lorsqu’ils transportaient la navette spatiale. »
    J’ai une question idiote : si l’autonomie de transport n’est que de 2000km (ou moins) et que le ravitaillement en vol n’est pas possible, si la navette se pose en France, comment rentre-t-elle aux États-Unis? Parce qu’il y a un peu plus de 2000km d’océan, pour le coup…

    1. En traversant l’Atlantique par à coups : France, Irlande, Groenland, Canada, et enfin USA. 🙂

      1. C’est ce que je me disais, mais… Les USA ont une base au Groenland où ils peuvent ravitailler un gros porteur pareil ? Vraiment ?

        1. Une base peut être pas, d’autant que les SCA pouvaient opérer depuis des tarmacs d’aéroports.

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