Le jour où l’US Air Force confondit YF-113B et F-117A.

À moins d’être à fond passionné des questions aéronautiques des années 1980 vous pourriez bien ne pas savoir ce qu’étaient alors les YF-110 Have Doughnut, YF-113 Have Drill, et YF-114 Have Ferry au sein de l’US Air Force. Pourtant il y a 40 ans jour pour jour, le 26 avril 1984, le monoréacteur de supériorité aérienne à géométrie variable YF-113B Have Drill fut confondu avec l’avion furtif F-117A Night Hawk d’attaque au sol. Une situation ubuesque qui résultait de la conjugaison d’une culture du secret très poussée et de plans de vol mal rédigés. Ce jour là fut aussi synonyme de fin des vols d’essais pour les officiers généraux dans cette même US Air Force.

Il est près de 10 heures du matin ce jeudi 26 avril 1984 quand le lieutenant général Robert M. Bond prend les commandes du YF-113B Have Drill depuis le centre d’essais ultrasecret de Tonopah dans l’état du Nevada. Outre ses trois étoiles cet officier général n’est pas n’importe qui pour l’US Air Force puisqu’il est numéro 2 de l’Air Force Systems Command. Il est donc au courant de tous les essais en vol, y compris les plus secrets. Bond est d’ailleurs un des pilotes attitrés du très protégé F-117A, l’avion d’attaque au sol le plus perfectionné alors dans le monde.

Le temps est clair ce jour sur le Nevada et l’US Air Force a indiqué que toute la zone d’essais de Tonopah est comme à son habitude classée No Fly ! C’est donc en toutes confiances que Bob Bond met les gaz et fait décoller sans difficulté son YF-113B. C’est un avion qu’il connait déjà, c’est son deuxième vol dessus. Il sait que ce jet a «la patate», bien plus d’ailleurs que ce que l’US Department of Defense vieux bien croire. Pour autant le Have Drill n’est pas du tout un avion de combat aisé de pilotage. C’est une grosse machine surpuissante et comme tous les appareils à géométrie variable de cette époque il est plus à l’aise en supersonique qu’en subsonique. Il quitte le plancher des vaches à 10 heures 02.

Seize minutes plus tard, un incident grave au niveau de la motorisation oblige Robert M. Bond a actionné l’éjection du siège de son YF-113B Have Drill. La voilure de l’avion est alors repliée à 72° et l’appareil file à Mach 2 à une altitude de 40 000 pieds. Désormais sans pilote le YF-113B pique du nez vers le sol et vient le heurter au niveau de Little Skull Mountain. Le jet est pulvérisé. Lorsque les équipes de secours de l’US Air Force retrouve le pilote d’essais elles ne peuvent que constater son décès. L’appareil volait trop vite pour Bond puisse survivre à son éjection. L’US Air Force vient dans la même matinée de perdre un de ses meilleurs pilotes d’essais mais aussi un de ses avions les plus précieux.

En ce printemps 1984 il y a moins de cent personnes aux États-Unis qui connaissent l’existence du YF-113B Have Drill. Ils sont cependant un peu plus à avoir eu vent de celle du F-117A Night Hawk. On parle alors de 250 à 270 personnes, grand maximum. Et celles-ci vont croire avoir perdu un des précieux avions furtifs dans le crash qui a tué le lieutenant général Bond. Il faut dire que les premières communication par téléscripteurs laissent croire à une erreur de frappes. Car si le 4477th Test and Evaluation Squadron connait logiquement l’avion, puisque c’est lui qui l’utilise ses personnels oublient parfois que bien peu de gens à l’US Department of Defense ont connaissance de l’existence de ce chasseur à géométrie variable. Au Pentagone on pense alors qu’il y a une faute et qu’au lieu de lire YF-113 il faut lire YF-117.

Dans le même temps les plans de vol de ce jeudi 26 avril 1984 prévoyaient initialement que le lieutenant général Bond vole sur F-117A. Sauf que l’officier général l’avait changé quelques jours plus tôt au profit justement du YF-113B dont il voulait approfondir la connaissance. Et comme à cette époque les plans de vol de Tonopah n’étaient pas partagés avec les autres bases de l’US Air Force en raison de la permanence de la No Fly Zone personne ne savait en dehors de ce coin du Nevada que l’officier général allait prendre les commandes de l’avion à géométrie variable.

C’est finalement plus de vingt heures après le crash et donc la mort du pilote que le Pentagone apprendra qu’un avion ultrasecret appelé YF-113B Have Drill s’est écrasé. Officiellement Robert M. Bond a alors pourtant trouvé la mort dans le cadre d’un programme de développement d’un avion de nouvelle génération. Ce que sur le papier était le F-117 mais sûrement pas l’YF-113B Have Drill. Et pour cause.

Vous l’aurez désormais forcément compris les YF-110 Have Doughnut, YF-113 Have Drill, et YF-114 Have Ferry n’étaient pas pour l’US Air Force des avions de combat comme les autres. Pour que même au Pentagone beaucoup ignorent leur existence il fallait que celle-ci soit sujette à secret. Or en ces années 1980 l’Amérique craint toujours autant le KGB, les célèbres services de renseignement de l’Union Soviétique. Et il fallait absolument s’assurer que jamais l’URSS ne découvrirait l’existence de ces trois modèles d’avion. Il faut dire que sous les désignations YF-110 Have Doughnut, YF-113 Have Drill, et YF-114 Have Ferry se cachent respectivement les Mikoyan-Gurevich MiG-21 Fishbed / Chengdu J-7 Fishcan, les Mikoyan-Gurevich MiG-23 Flogger, et les Mikoyan MiG-17 Fresco / Shenyang J-5 Fresco-C. Le rôle du 4477th Test and Evaluation Squadron était donc de casser les secrets de ces avions soviétiques et chinois.

Aux vues du très niveau de sécurité qui régnait alors autour de ces avions les investigations furent menés par des enquêteurs au niveau d’habilitation élevé. Les résultats furent sans appel. En effet l’enquête démontrera qu’un inhibiteur électromécanique avait été installé par les ingénieurs soviétiques et empêcha le désengagement de la postcombustion à Mach 2 afin d’éviter une rupture complète des réacteurs. Ce que visiblement ni le lieutenant général Bond ni les équipes du 4477th Test and Evaluation Squadron ne savaient.

S’il faudra attendre le 10 novembre 1988 pour l’US Air Force révèle officiellement l’existence du Lockheed F-117A Night Hawk ce n’est que le 15 juillet 1990 que le monde apprendra l’existence d’un programme américain de tests de chasseurs soviétiques. Le même jour la vérité sur la mort de Robert M. Bond éclata au grand jour. C’est également ce jour là que le 4477th Test and Evaluation Squadron fut officiellement mis en sommeil. Il l’est toujours en avril 2024.

La mort en vol d’essais du général (trois étoiles) Bond fut également le point de départ d’une décision mal vécue à l’époque. Celle-ci perdure aujourd’hui encore dans l’US Air Force. Il s’agit de l’interdiction aux officiers généraux de participer à des vols d’essais sur prototypes ou sur avions expérimentaux. Et sans doute aussi sur avions ennemis.

Photo © US Air Force

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Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

5 réponses

  1. Connaissant l’existence de ces 3 chasseurs « fantomes », l’expression « le biréacteur de supériorité aérienne à géométrie variable YF-113B » m’a étonné, car les américain n’avaient pas récupéré de Su-24 (qui n’est pas un chasseur en plus). Le MiG 23 est monoréacteur.
    Par contre l’interdiction d’essais pour les officiers est intéressante à découvrir, merci.

  2. Salut ARNAUD et les Passionnés,
    Des anecdotes aéronautiques croustillantes comme je les adore, et les dévore des yeux, un samedi matin au p’tit déj….!
    Excellent le dénouement sur les avions finalement soviétiques…
    Ça me donne la pêche pour le reste de la journée !
    Aéronautiquement,

  3. Bonsoir Arnaud et les passionnés d’aéronautique. Merci pour cet article instructif qui m’a fait connaître en autre l’existence du 4477e escadron de test et d’évaluation (surnommé « Aigles rouges ») qui avait pour mission de former les pilotes américains sur des avions produits en Union soviétique.

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