1946 – 1968 : l’aventure des porte-avions néerlandais Karel Doorman

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Histoire de l’aéronavale

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le monde découvrit la puissance militaire qu’avait pris les porte-avions. Devenus de véritables enjeux autant stratégiques que politiques, ces bâtiments de guerre permettaient alors d’asseoir la puissance d’un pays sur le reste du monde. Américains et Britanniques étaient alors considérés à l’ouest comme les grands vainqueurs, avec dans une moindre mesure la France. Evidemment, ces trois pays disposaient alors de tels navires.

Nation mineure du conflit, pourtant engagée dans le même processus de refus de son invasion que la France, les Pays-Bas voulaient jouer un rôle de premier rang dans la reconstruction européenne, notamment au niveau de la défense. Surtout, ils tenaient à montrer au monde entier que ce pays était encore une grande puissance coloniale. Malgré la proclamation de leur indépendance, les Indes Orientales Néerlandaises demeuraient possessions hollandaises.

Un échange de bâtiments britanniques de seconde main

Un porte-avions était alors du meilleur effet pour contrer une rébellion armée. C’est la raison pour laquelle Hollandais et Britanniques passèrent un accord afin que la Koninklijke Marine puisse prendre rapidement livraison du HMS Nairana (D05) un porte-avions d’escorte lancé en 1943 et ayant participé aux combats dans l’Atlantique Nord contre les avions et hydravions de patrouille maritime de la Luftwaffe.

Désarmé par les Britanniques, le HMS Nairana est devenu le 26 mars 1946 HNLMS Karel Doorman pour la marine néerlandaise. Il s’agissait alors du premier porte-avions néerlandais. Son embarquement concernait alors une quinzaine d’avions : des chasseurs-bombardiers monomoteurs Fairey Firefly FR Mk-1.

Le navire et ses avions furent envoyés au large de l’île de Bornéo afin de mâter la rébellion locale.
Dans le même temps, Amsterdam et Londres négociaient la vente d’un porte-avions plus efficace disposant de moyens plus importants, le HMS Venerable (R63) lancé lui aussi durant la guerre, en 1942.
Pendant ces pourparlers les marins hollandais expérimentèrent les opérations embarquées. Malgré quelques réussites les pilotes de Firefly ne réussirent pas à empêcher le cours de l’histoire, les Indes Orientales Néerlandaises allaient obtenir leur indépendance et devenir l’Indonésie.

Le second Karel Doorman avec ses Avenger sur le pont d'envol.
Le second Karel Doorman avec ses Avenger sur le pont d’envol.

Durant le mois d’avril 1948, les Pays-Bas entrèrent dans le club très fermé des nations disposant de plus d’un porte-avions. En effet, le HNLMS Karel Doorman (D05) n’avait pas été retiré du service et son remplaçant, l’ex-HMS Venerable avait été livré mais non encore armé. À la fin du mois ce dernier devenait à son tour HNLMS Karel Doorman (R81) tandis que son prédécesseur reprenait le chemin de l’Angleterre pour être revendu à un armateur civil.

De janvier à mai 1950, le Karel Doorman réalisa son premier déploiement officielle. Embarquant vingt-quatre avions de combat, douze Fairey Firefly FR Mk-1 et douze Firefly Mk-4 ainsi qu’un hélicoptère Hiller 360 de la force aérienne néerlandaise. Il s’agissait d’ailleurs du premier hélicoptère néerlandais opérant depuis un navire de guerre. Cette mission amena le porte-avions hollandais jusqu’aux Antilles Néerlandaises.

Par la suite, le Karel Doorman connut deux importants chantiers de modernisation. Le premier dura de juin 1950 à novembre 1951 et concernait divers aménagements d’armements et de moyens de communication. Le second nettement plus lourd nécessita un quasi démontage complet du bâtiment. Il intervint entre juillet 1955 et mai 1958. Il concernait la transformation du navire afin que celui-ci puisse embarquer des avions de combat à réaction. Le pont d’envol fut donc totalement remplacé.

Entre temps, le porte-avions connut plusieurs missions. L’une d’elle permit l’embarcation du premier hélicoptère naval néerlandais, un Sikorsky S-51A. Il fut suivi en 1953 par trois Sikorsky HO4S-3 acquis aux États-Unis pour des missions de sauvetage en mer et de transport sous élingue. Cette même année 1953 fut marquée par l’arrivée en unité du premier Grumman TBM-3W de reconnaissance et de veille radar prêté par l’US Navy en attendant l’arrivée des avions de ce type commandés.

Le meilleur de la chasse embarquée

En juin 1958, un Hawker Sea Hawk FGA Mk-50 fut le premier jet embarqué néerlandais à se poser sur le pont du Karel Doorman. Dès lors le porte-avions hollandais faisait jeu égal avec ses « cousins » britanniques et français.

Un Sea Hawl néerlandais. Remarquez le missile Sidewinder sous l'aile.
Un Sea Hawk néerlandais. Remarquez le missile Sidewinder sous l’aile.

À cette époque l’embarquement hollandais était en effet un des plus modernes de la région. Outre les chasseurs précités on trouvait à bord des Grumman TBM-3S de lutte anti-sous-marine et TBM-3W2 de veille radar, des Sikorsky HSS-1 de sauvetage en mer, ou encore des Sikorsky HO4S-3 de soutien opérationnel et de transport.

L’une des particularités des Hawker Sea Hawk néerlandais était leur aptitude à l’emport et au tir du missile air-air américain AIM-9B Sidewinder, une des armes les plus modernes du genre en cette fin d’années 1950. Deux de ces missiles armaient les chasseurs embarqués hollandais. Cela faisait des Sea Hawk de la Koninklijke Marine des armes redoutables contre d’éventuels aéronefs soviétiques, et notamment leurs bombardiers patrouilleurs à long rayon d’action.

Le 30 septembre 1959, le Sea Hawk numéro F61 s’écrasa sur le pont du Karel Doorman causant la mort de son pilote et d’un « chien jaune« . Six autres furent grièvement blessés. Cette accident, imputé par la suite à une faiblesse de la crosse d’appontage, jeta le trouble à l’état-major vis à vis du chasseur britannique. Dans les six mois qui suivirent trois autres incidents concernèrent ce type d’avion, heureusement sans coûter de vie. De ce fait la carrière de ces chasseurs fut écourtée à la fin de l’année 1960.

Un hélicoptère Sikorsky HSS-1 à l'appontage.
Un hélicoptère Sikorsky HSS-1 à l’appontage.

Toujours en 1959,  la Koninklijke Marine fit l’acquisition de 43 Tracker de reconnaissance et de lutte anti-sous-marine : vingt-six étaient des Grumman S2F-1 et les dix-sept autres des De Havilland Canada CS2F-2. Après le retrait des Sea Hawk ces bimoteurs allaient donner une nouvelle orientation au Karel Doorman, il serait désormais un porte-avions chargé de la lutte anti-sous-marine en Atlantique nord.

Les années 60 : attaque soviétique évitée et incendie fatal

En 1961,  le Karel Doorman et ses hélicoptères et avions participèrent néanmoins à l’opération Trikora qui visait à garantir une forme de souveraineté démocratique en Papouasie, alors encore sous le contrôle d’Amsterdam. En face les Indonésiens, soutenus par Moscou, tentèrent à l’occasion de couler le porte-avions néerlandais. Une attaque fut réalisée à l’aide de deux bombardiers biréacteurs Tupolev Tu-16 Badger. Au moins un missile antinavire KS-1 (AS-1 Kennel selon l’OTAN) fut tiré sans résultat. Cette opération fut le dernier déploiement du porte-avions néerlandais dans la région.

C’est donc désormais la mission de patrouille anti-sous-marine qu’il remplira durant plus d’une demi-décennie. Dès mars 1962, il commença ses patrouilles à la recherche des submersibles soviétiques, armé de ses S2F-1, CS2F-2 et HSS-1. Il sillonna l’Atlantique nord, conduisant plusieurs missions jusqu’au large des Antilles Néerlandaises.

Le 29 avril 1968 alors qu’il se trouvait au large de l’Irlande et faisait route vers son port d’attache deux incendies se déclarèrent à bord. Trente marins hollandais périrent ce jour là et le bâtiment fut gravement endommagé. A son retour au pays le porte-avions fut désarmé.

Données et spécifications

Voici une liste des aéronefs de la Koninklijke Marine ayant servis à bord des deux Karel Doorman durant leur service actif :

  • De Havilland Canada CS2F-2, en service de 1962 à 1968. Ils ont servi auprès du Smaldeel 2.
  • Fairey Firefly FR Mk-1, FR Mk-4 et FR Mk- 5, en service de 1946 à 1954 inclus. Ils ont servi auprès des Smaldeels 1, 2, 4, 860, et 861.
  • Grumman S2F-1, en service de 1962 à 1968. Ils ont servi auprès du Smaldeel 4.
  • Grumman TBM-3S2 et TBM-3W2, en service de 1954 à 1960. Ils ont servi auprès des Smaldeels 2, et 4.
  • Hawker Sea Fury FB Mk-51, en service de 1954 à 1955. Ils ont servi auprès du Smaldeel 860.
  • Hawker Sea Hawk FGA Mk-50, en service de 1958 à 1960. Ils ont servi auprès du Smaldeel 860.
  • Sikorsky HO4S-3, en service de 1954 à 1960. Ils ont servi auprès du Smaldeel 8.
  • Sikorsky HSS-1, en service de 1960 à 1968. Ils ont servi auprès du Smaldeel 8.
  • Sikorsky S-51, en service de 1951 à 1952. Ils ont servi auprès du Smaldeel 4.

Caractéristiques techniques du porte-avions Karel Doorman :

  • Longueur : 211,30 mètres.
  • Largeur : 34.30 mètres.
  • Tirant d’eau : 7.14 mètres.
  • Déplacement : 18 040 tonnes.
  • Puissance moteur : 40 000 chevaux.
  • Rayon d’action : 15 300 kilomètres à la vitesse moyenne de 37 km/h.
En route ves l’Argentine

Le 14 octobre 1968 il fut vendu à l’Argentine qui le baptisa Veinticinco de Mayo. Sous ce pavillon, il navigua de 1969 à 1993. Puis entre 1993 et 1997, il servit de bâtiment école pour les élèves de la marine argentine, sans toutefois quitter le quai où il était amarré. Finalement ce porte-avions fut désarmé en 1997 et envoyé à la ferraille trois ans plus tard. Ainsi finissait le Karel Doorman, second porte-avions hollandais.

Pour l’anecdote, il faut savoir que depuis 2014 la Koninklijke Marine possède un nouveau bâtiment de guerre baptisé du nom de Karel Doorman. Son numéro de coque est A833. Il s’agit d’un navire de soutien aux opérations amphibies, habilité à recevoir jusqu’à six hélicoptères NH90 ou deux CH-47. Ce navire a été déployé fin 2014 en Afrique occidentale dans le cadre de la lutte internationale contre le virus Ebola.

Le "nouveau" Karel Doorman.
Le « nouveau » Karel Doorman.

Depuis 1968, les Pays-Bas n’ont plus de porte-avions. Souvent proposée l’acquisition d’un tel navire n’a jamais été renouvelée. Désormais les Pays-Bas n’ont plus les moyens militaires d’entretenir un tel bâtiment.

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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