La route aérienne du Nord-Ouest : l’Amérique au secours de l’URSS

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Récits historiques et légendaires

L’année 2015 fut ponctuée de divers évènements commémorant la fin de la Deuxième guerre mondiale il y a déjà 70 ans. Parmi les chapitres les moins connus de ce sanglant conflit, notons une collaboration pour le moins étonnante entre les États-Unis, le Canada et l’URSS dans la grande aventure du développement de la route aérienne transcontinentale du Nord-Ouest.

À l’initiative de l’organisme américain BRAVO 369 Flight Foundation et de l’entreprise aéronautique russe Rusavia, l’ALSIB 2015 Project a permis de souligner cette coopération américano-soviétique en survolant cette route aérienne légendaire avec quelques avions d’époque, dont le porte étendard fut nul autre qu’un vénérable Douglas C-47 Skytrain. Dans le contexte de la résurgence de la guerre froide sous l’impulsion de l’actuelle nomenklatura russe, ce projet conjoint est d’autant plus remarquable.

NWSR Logo

NWSR Alsib C-47

Tout aussi importante pour la victoire des Alliés que la route aérienne de l’Atlantique sous la gouverne du Ferry Command britannique, celle du Nord-Ouest a permis de livrer à l’URSS près de 8 000 avions militaires par la voie des airs entre 1942 et 1945. Longue de 14 000 kilomètres, cette route aérienne comportait deux portions distinctes, soit le Northwest Staging Route (NWSR) et l’Alaska-Siberia Air Road (ALSIB).

Mais commençons par le début de cette fascinante histoire. Malgré la signature d’un traité de non-agression avec l’URSS en 1939, l’Allemagne nazie déclenche le 22 juin 1941, l’opération Barbarossa. Mal préparée face au Blitzkrieg, les forces armées de l’URSS sont rapidement débordées et les troupes allemandes sont aux portes de Moscou dès octobre 1941. À la puissante et moderne Luftwaffe, l’Aviation du Front n’opposait que des chasseurs obsolètes comme le biplan Polikarpov I-153 Tchaïka et le monoplan Polikarpov I-16 Ishak alors encore largement en usage, ainsi qu’un nombre insuffisant de chasseurs plus modernes comme les Lavotchkin LaGG-3 et Mikoyan-Gourevitch MiG-1/3. Cependant, seul le Yakovlev Yak-1 pouvait véritablement tenir tête aux redoutables Messerschmitt Bf 109, mais sa production était encore insuffisante et l’appareil souffrait de déficiences structurelles et d’une motorisation peu fiable. De plus, une bonne partie de l’industrie aéronautique russe détruite par l’avancée allemande, alors que les usines déménagées à la hâte vers l’Est du pays n’étaient pas encore pleinement opérationnelles, les Soviétiques perdaient plus d’avions qu’ils ne pouvaient en produire.

NWSR Polikarpov I-153 Tchaïka
Polikarpov I-153 Tchaïka

Fort inquiète de la débâcle de l’Armée rouge, la Grande-Bretagne fut la première à porter secours à l’URSS. Un convoi britannique arriva à Mourmansk en septembre 1941 avec 40 chasseurs Hawker Hurricane ainsi que les 550 mécanos et pilotes du No. 151 Wing chargés de protéger ce port stratégique et d’entraîner des pilotes soviétiques au maniement du chasseur anglais. Cette première livraison sera rapidement suivie par près de 3 000 chasseurs Hurricane et plus de 1 300 Supermarine Spitfire qui vont arborer l’étoile soviétique, de même qu’une cinquantaine de bombardiers Handley Page HP.52 Hampden.

NWSR Hurricane
Hawker Hurricane soviétique

Également inquiet, le Président américain va dégeler les relations avec l’URSS qui étaient au plus bas depuis l’invasion de la Finlande par l’Armée rouge en novembre 1939. Empruntant la voie aérienne du nord-ouest à bord d’hydravions, une délégation de haut-gradés et de pilotes soviétiques fut dépêchée aux États-Unis dès août 1941 afin d’essayer divers avions américains susceptibles de répondre aux besoins de l’URSS. Malgré l’insistance des Soviétiques, la fourniture de bombardiers lourds Boeing B-17 Flying Fortress et Consolidated B-24 Liberator fut refusée par les États-Unis. Après avoir rejeté le bombardier d’attaque Martin B-26 Marauder proposé par les Américains, les Soviétiques optèrent plutôt pour le North American B-25 Mitchell dont les premiers exemplaires furent livrés par la voie des mers à Mourmansk, dès la fin de 1941. Entre-temps, le Congrès américain avait élargi le Lend-lease Act pour y inclure l’URSS. Les convois maritimes étant vulnérables aux U-Boote allemands, et la voie aérienne au-dessus de l’Atlantique ne pouvant être utilisée pour livrer rapidement les chasseurs, avions d’attaque et bombardiers légers requis rapidement et en grand nombre par l’URSS, une alternative devenait essentielle.

L’United States Army Air Force 7th Ferrying Group sera donc chargé de mettre sur pied une route aérienne entre les centres américains de production d’avions et la Sibérie, au-delà de la mer de Behring, en passant par le Canada et l’Alaska. Dès le milieu des années 1930, le Canada avait entrepris le développement du Nothwest Staging Route (NWSR) en construisant une série d’aéroports, d’aérodromes intermédiaires, et de radiobalises entre l’Alaska et Edmonton en Alberta. À la fin de 1939, plusieurs de ces pistes pouvaient déjà accueillir des avions. Les principales étapes canadiennes du NWSR furent aménagées à Grande Prairie en Alberta, Fort St. John et Fort Nelson dans le nord de la Colombie-Britannique ainsi que Watson Lake et Whitehorse au Yukon. Les aérodromes intermédiaires étaient situés à Dawson Creek, Beatton River et Smith River en Colombie-Britannique, ainsi qu’à Teslin, Aishihik et Snag au Yukon.

NWSR Alshinik
Tour de contrôle à Aishihik au Yukon, Canada

Ne restait qu’à compléter la chaîne d’aérodromes en Alaska, avec les bases construites à Big Delta et Northway, de telle façon à ce que les pilotes disposent, à environ tous les 260 kilomètres, d’endroits pour se repérer et se poser au besoin. Avec peu de chances d’être retrouvés vivants, particulièrement en hiver, se perdre et tomber en panne au-dessus des immenses étendues de forêt et de taïga était le principal danger pour les intrépides aviateurs. C’était sans compter les conditions météorologiques imprévisibles et fréquemment épouvantables. Encore aujourd’hui, on retrouve par hasard de ces avions égarés dans la nature.

NWSR P-39 épave

NWSR carte

Les pilotes vont toutefois disposer bientôt d’un repère visuel précieux, soit l’Alaska Highway  (aussi connu sous le nom de la route AlCan). Afin de relier et approvisionner cette chaîne d’aérodromes isolés, ce projet qualifié par l’U.S. Army Corps of Engineers chargé de sa construction, comme le plus vaste et difficile chantier depuis celui du canal de Panama, sera réalisé en seulement neuf mois à compter du 8 mars 1942. Motivés par l’attaque japonaise aux îles Aléoutiennes, près de 16 000 militaires et civils œuvrant sans relâche dans des conditions épouvantables vont construire 2 700 km de route en pleine nature sauvage entre Dawson Creek au Canada et Fairbanks en Alaska. Avec la construction d’un oléoduc à partir du port de Skagway, et l’existence du chemin de fer reliant déjà les deux villes, Whitehorse deviendra la plaque tournante logistique pour la construction de la route AlCan et l’opération du NWSR. Les avions de combat destinés à être déployés par l’Alaskan Eleventh Air Force transiteront également par Whitehorse avant de rejoindre l’Elmendorf Field, près d’Anchorage. Les premiers avions empruntant le NWSR à destination de l’URSS, soit un groupe d’une douzaine de bombardiers bimoteurs Douglas A-20 Havoc, seront remis aux pilotes soviétiques, le 3 septembre 1942.

NWSR A-20 Ladd
Livraison d’un Douglas A-20 Havoc au Ladd Airfield, Alaska

Arborant déjà l’étoile soviétique, les avions destinés à l’URSS assemblés en Californie et dans l’Est américain étaient acheminés par les femmes pilotes du Woman’s Air Force Service Pilots (WASP) jusqu’à Great Falls Army Air Base au Montana. De là, les pilotes de l’USAAF prenaient le relais jusqu’à la base de Ladd Field près de Fairbanks en Alaska, soit un trajet de 4 800 Km. Les pilotes soviétiques complétaient par la suite le trajet de 6 400 Km le long de l’ALaska-SIBeria Air Road (ALSIB) jusqu’à Krasnoïarsk en Russie centrale. Peu de pilotes de chasseurs étant entraînés pour le vol aux instruments, les monomoteurs volaient en formation avec les équipages de bombardiers B-25 Mitchell ou A-20 Havoc. Plus lents, les avions de transport Douglas C-47 Skytrain étaient acheminés indépendamment. Le retour des pilotes soviétiques vers l’Alaska était d’ailleurs effectué à bord d’appareils russes C-47 Skytrain dédiés à cette fin. Côté américain, les pilotes de l’USAAF retournaient dans le sud à bord d’avions de ligne nolisés auprès d’entreprises privés, plus fréquemment ceux de la Northwest Airlines.

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Formation de P-63 Kingcobra menée par un B-25 Mitchell au-dessus de l’Alaska

Malgré les conditions météorologiques fréquemment difficiles, et les défis de navigation dans ces vastes contrées nordiques, la route aérienne du nord-ouest fut une grande réussite. Parmi les 15 000 avions américains livrés à l’URSS, environ 8 000 empruntèrent la route aérienne du Nord-Ouest : soit environ 2 600 Bell P-39 Airacobra, 2 400 Bell P-63 Kingcobra, 1 350 Douglas A-20 Havoc, 730 North American B-25 Mitchell, 700 Douglas C-47 Skytrain et quelques centaines de Curtiss P-40 Warhawk. Près de 200 aviateurs perdirent la vie sur cette route nordique, dont 89 américains, mais on dénombra moins de 200 appareils perdus, ce qui témoigne de la qualité et de l’efficacité de cette vaste organisation. De leur sortie d’usine, à leur livraison à Krasnoïarsk en Russie, les avions ne prenaient en moyenne que 33 jours pour accomplir ce périple.

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Étoile rouge apposée à un C-47 Skytrain à sa sortie d’usine
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Le 5 000ème avion livré à l’URSS, Ladd Airfield en Alaska

Plus tard dans le conflit, l’URSS a certes produit en grand nombre d’avions de qualité, mais les appareils américains ont constitué près de 20% de la flotte de l’armée de l’air soviétique pendant une période critique de la guerre. Pourtant peu prisés des Alliés occidentaux, certains avions américains étaient en fait si appréciés des Soviétiques que leur livraison se poursuivit jusqu’à la fin de la guerre. C’était notamment le cas des chasseurs P-39 Airacobra pilotés par plusieurs as soviétiques. Parmi ceux-ci mentionnons Grigoriy A. Rechkalov qui enregistra 50 victoires aux commandes d’un P-39 Airacobra, alors qu’Alexander I. Pokryshkin abattit 48 avions ennemis sur le même type d’appareil. Plusieurs appareils américains vont même demeurer en service dans l’armée de l’air soviétique jusqu’en 1960 et recevoir des désignations de l’OTAN.

NWSR Alexander Ivanovich Pokryshkin
Alexander Ivanovich Pokryshkin avec son P-39 Airacobra

Alors que la Deuxième guerre mondiale tirait à sa fin, le mariage de raison entre les forces capitalistes et communistes commençait à se refroidir. Les Soviétiques encore présents à Fairbanks et Nome, quittèrent l’Alaska dès septembre 1945. Après-guerre, l’Aviation royale canadienne conserva pendant un certain nombre d’années le contrôle des aérodromes canadiens du NWSR qui seront de nouveau fort utiles lors de la Guerre de Corée. Afin de souligner le courage et la détermination des camarades américains et soviétiques ayant participé à ce vaste pont aérien, un monument fut inauguré le 27 août 2006 à Fairbanks en Alaska. Le vol commémoratif d’ALSIB 2015 est venu rappeler cette coopération américano-soviétique d’une autre époque.

NWSR ALSIB Fairbanks

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Marcel
Marcel
Fils d’un aviateur militaire (il est tombé dedans quand il était petit…) et biologiste qui adore voler en avion de brousse, ce rédacteur du Québec apprécie partager sa passion de l'aéronautique avec la fraternité francophone d’Avions Légendaires.
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