Les sanctions des Alliés pèsent de plus en plus sur les Boeing 777 en Russie.

La compagnie étatique russe Aeroflot va t-elle devoir se passer d’ici peu de son principal avion commercial long-courrier ? Sur le papier elle aligne un total de vingt-deux biréacteurs gros porteurs Boeing 777-300ER. Dans la réalité ils sont moins nombreux à encore pouvoir voler sur des liaisons internationales, fautes de pièces détachées accessibles facilement. Un décompte de mars 2024 donnait la flotte aux alentours de dix-neuf machines, elles ne seraient plus depuis la semaine dernière que de dix-huit.

Rappelons que le 24 février 2022 l’autocrate russe Vladimir Poutine décidait unilatéralement de déclencher une «opération militaire spéciale» visant à la «dénazification» de l’Ukraine. Pour cela ce pays souverain s’est vu attaqué par les airs et la terre par les forces russes. Malgré les protestations des chancelleries européennes et nord-américaines et des appels de retour à la normale le Kremlin a fait la sourde oreille. Cela obligea les Alliés à prendre des mesures immédiates de rétorsions économiques et industrielles à l’encontre de la fédération de Russie. Sur le plan aéronautiques elles revêtaient deux échelons : purement industrielle d’un côté et plus diplomatique de l’autre.

Sur le plan industriel les avionneurs Airbus et Boeing cessaient immédiatement toute relation avec les compagnies aériennes russes ainsi qu’avec le gouvernement central de Moscou autant que ceux des états fédérés. Les motoristes équipant les avions de ces deux constructeurs devaient eux aussi cesser de livrer réacteurs et pièces détachées. La dégradation de l’état des avions s’est rapidement fait ressentir avec des pannes en cascades et des ennuis mécaniques en pagailles. Grâce au marché noir et à des combines hérités de l’ère soviétique Aeroflot sut un temps faire face.

Les sanctions diplomatiques furent plus lourdes de conséquences encore pour la compagnie étatique russe. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, et l’ensemble des états de l’Union Européenne lui fermèrent leur espace aérien. L’Australie, la Corée du Sud, Israël, le Japon, la Nouvelle-Zélande, et la Papouasie Nouvelle-Guinée en firent immédiatement de même. La France qui était déjà concerné sur son territoire métropolitain par les décisions de l’UE les élargit à l’ensemble de ses espaces aériens ultramarins, dont son immense territoire du Pacifique. Désormais de nombreux pays partenaires de la Russie se voyaient couper d’elle à cause des sanctions internationales. Le réseau des Boeing 777-300ER était lui réduit à la portion congrue.

On sait que depuis juillet 2022 l’exemplaire immatriculé RA-73142 est immobilisé suite à un incident de piste entre un véhicule terrestre en mouvement et l’un de ses réacteurs General Electric GE90-115B. En mars dernier on apprenait que l’avion ne revolera jamais puisqu’il sert aujourd’hui de stocks de pièces détachées pour les autres Boeing 777-300ER. La cannibalisation a cependant ses limites sur les avions commerciaux : la sécurité des passagers et membres d’équipage. Or force est de constater que depuis plusieurs mois il ne s’agit plus vraiment d’une priorité chez Aeroflot, et pas uniquement auprès des Sukhoi Superjet 100 et de leurs galères en série.

Trois récents incidents démontrent que les Boeing 777-300ER russes souffrent de vieillissement accéléré en raison du manque de sérieux dans leur entretien. Celui-ci s’explique surtout par les sanctions internationales qui frappent la compagnie et l’empêche de réviser et de réparer correctement ses avions commerciaux.

C’est ainsi que le samedi 12 janvier 2023 le Boeing 777-300ER immatriculé RA-73135 reliant Bangkok à Moscou fut obligé d’atterrir en urgence à Samarkand en Ouzbékistan suite à un problème de contrôle de l’avion à haute altitude. Un atterrissage particulièrement chaotique qui a déclenché l’accouchement d’une passagère pourtant au 7e mois de grossesse. En inspectant l’avion de ligne les autorités ouzbèkes ont découvert un trou dans l’intrados d’un des volets, de la taille d’un ballon de hand-ball. En temps normal il aurait fallu que Boeing expédie des États-Unis la pièce défectueuse et que les équipes de la compagnie la montent dessus. Sauf que là impossible et depuis l’avion n’a pas bougé de Samarkand. On comprend que même «à vide» aucun équipage russe ne soit particulièrement enclin à le ramener dans cet état au pays.

Plus près de nous le lundi 11 mars 2024 un autre Boeing 777-300ER immatriculé cette fois RA-73148 a été obligé de retourner à l’aéroport émirati de Dubaï quinze minutes seulement après son décollage. Le commandant de bord a indiqué subir une panne généralisé d’avionique, de nombreux équipements ne fonctionnant plus dans le cockpit. L’avion était en partance pour Moscou avec 395 passagers et dix membres d’équipage à son bord. Il n’a pu regagner la Russie que plus d’un mois plus tard, une fois les opérations de remise à jour réalisées, à priori avec l’aide d’ingénieurs chinois. Encore plus près de nous, hier, dimanche 12 mai 2024 c’est l’exemplaire immatriculé RA-73132 qui se posait en catastrophe sur l’aéroport russe d’Irkoutsk. L’avion réalisait une liaison commerciale entre Canton et Moscou quand le commandant de bord a fait état d’une panne majeure sur un des réacteurs. Malgré que l’aéroport d’Irkoutsk ne soit normalement pas prévu pour recevoir des gros porteurs c’est lui qui donc a été choisi. Malgré un atterrissage chaotique aucun blessé n’a été à déploré parmi les passagers et membres d’équipages. Lors de l’inspection par les autorités locales il a été vu que le General Electric GE90-115B subissait un grave manque d’huile. En fait le réacteur n’avait visiblement pas été correctement graissé durant le vol, et surement pas depuis plusieurs jours.

Fait exceptionnel l’aviation civile russe a ordonné ce dimanche 12 mai 2024 au soir que l’ensemble de ses Boeing 777-300ER soient immobilisés afin d’être inspectés et que cette carence en huile soit réglée. Habituellement ces avions volent donc vers la Chine, les Émirats Arabes Unis, et la Thaïlande, mais pas uniquement. La compagnie russe les utilise aussi à destination de l’Arménie, de Cuba, de l’Égypte, des Maldives, et de Maurice. Il s’agit là de destinations touristiques prisées par les classes aisées russes, souvent proche du pouvoir poutinien. Le temps de cette immobilisation ce sont les douze Airbus A330-300 et les sept A350-900 qui assureront ces liaisons commerciales. À condition qu’eux aussi ne soient pas touchés par des pannes et incidents à répétitions.

Affaire à suivre.

Photo © Wikimédia Commons


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

5 Responses

  1. Une grande partie des Boeing et Airbus ne sont pas la pleine propriété des compagnies Russes mais de Sociétés de leasing occidentales ,mais tous les avions ont été saisis ré immatriculé ,d’une part ces avions pourraient être saisis sur les aéroports a l’extérieur de la Russie toutefois les organisations de l’aviation internationale commerciale ont prévenu qu’elles n’auraient aucunes responsabilités sur les incidents ou accidents survenus avec les avions occidentaux des compagnies Russes du fait qu’elles n’ont plus de contrôle sur ces compagnies et que les normes du transport aérien international ne sont plus respectées

  2. Les trolls russes vont encore pleurnicher que c’est à cause des USA et de l’UE que personne n’aime Poutler. Dommage que les passagers russes paient le prix fort des agissements de leur  » président ».

  3. Autant je comprends que la mécanique vieillisse et souffre sans maintenance, autant sur les incidents d’avionique je suis un peu perplexe. J’ai du mal à comprendre comment ces systèmes fiabilisés et peu soumis aux contraintes environnementales (voire en redondance) peuvent lâcher si vite…

  4. « On sait que depuis juillet 2022 l’exemplaire immatriculé RA-73142 est immobilisé […]. En mars dernier on apprenait que l’avion ne revolera jamais puisqu’il sert aujourd’hui de stocks de pièces détachées »

    Je vois que l’avion vole régulièrement en ce moment. Est ce la bonne immatriculation ?

    1. Depuis le début de la guerre en Ukraine les Russes sont devenus spécialistes des doublons d’immatriculation d’aéronefs.

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