Cette semaine l’Armée de l’Air et de l’Espace a t-elle vraiment perdue toutes ses bases en Afrique ?

Grosse semaine pour la diplomatie française auprès de ses anciennes colonies d’Afrique sub-saharienne. Le Sénégal et le Tchad, chacun de son côté et chacun pour des raisons bien différentes, ont choisi de rompre leurs accords de défense avec la France. Une petite musique retentit depuis quelques heures selon laquelle il n’y aurait désormais plus aucune emprise militaires pour les aéronefs français sur ce continent ; jusqu’où est-ce vrai ? Et au final combien de bases aériennes l’Armée de l’Air et de l’Espace va t-elle perdre avec ces deux pays ?

Pour mémoire le Sénégal et le Tchad ont obtenu leur indépendance de la France la même année : en 1960. Soixante-quatre ans plus tard il n’est pas totalement aberrant que ces pays choisissent d’en finir avec la présence de nos  militaires sur leur territoire. La Françafrique a bien vécu. Il est plus que temps d’en finir avec cette politique post-colonialiste totalement anachronique. Alors certes j’en entends d’ici hurler que si la France s’en va la Russie va arriver comme au Mali ou au Niger. Oui et alors ? C’est le strict droit des Sénégalais et des Tchadiens de vouloir revoir leurs politiques internationales de défense. Et même si Moscou et sa société privée Wagner ne sont pas des modèles de transparence qui sommes nous pour empêcher nos anciens partenaires de faire des erreurs ?

Donc oui le ministère des Armées va perdre ses emprises dans ces deux pays. Mais au fait de quelles installations militaires parle t-on ? Il faut bien différencier le Sénégal du Tchad. D’abord ce sont deux territoires très différents, les deux pays étant distants de 3500 kilomètres. Paris et Moscou sont plus proches géographiquement que Dakar et N’Djamena de 1000 kilomètres. Et oui c’est très étendu l’Afrique.

Au Sénégal contrairement à une idée reçue encore très présente l’Armée de l’Air et de l’Espace ne perdra pas grand-chose. Elle possède un pôle opérationnel de coopération axé sur l’escale aérienne de l’aéroport international Léopold-Sédar-Senghor. La Marine Nationale l’emploie d’ailleurs également. On peut donc y croiser des avions français aussi différents que l’Airbus Defence A400M Atlas, le Casa CN-235, le Dassault-Breguet ATL-2 Atlantique, le Dassault Aviation Falcon 50M, ou encore le Lockheed-Martin C-130J-30 Super Hercules. Cependant aucun d’entre eux n’est basé localement. Plus aucun avion français n’est stationné à l’année au Sénégal, plus en fait depuis treize ans et la fermeture à l’été 2011 de la Base Aérienne 160 de Dakar-Ouakam. En fait si les avions de l’aéronavale servent surtout à patrouiller l’océan Atlantique et le golfe de Guinée ceux de l’Armée de l’Air et de l’Espace servent les 350 militaires français présents dans le pays au titre des EFS, les Éléments Français au Sénégal. Ceux ci sont donc appelés à disparaitre.

A400M Atlas sur le tarmac sénégalais de Dakar Léopold-Sédar-Senghor.

Et au Tchad alors ? Là l’Armée de l’Air et de l’Espace va perdre beaucoup plus lourd. Elle verra disparaitre sa Base Aérienne 172 de N’Djamena, ô combien essentielle à la guerre que la France mène contre le terrorisme islamique au Sahel. Là encore aucun aéronef n’y est stationné à l’année. Par contre les General Atomics MQ-9 Reaper téléopérés ainsi que des avions de combat Dassault Aviation Mirage 2000D et Rafale y opèrent régulièrement. Ils traquent et frappent les groupes djihadistes. On peut aussi y croiser le Groupe Aérien Mixte 56 Vaucluse et ses aéronefs dédiés… à la DGSE. C’est dire si la BA 172 était jusque là un maillon essentiel de la défense projetée de la France.

Vous l’aurez compris l’Armée de l’Air et de l’Espace a bien plus à perdre au Tchad qu’au Sénégal. Pour autant penser que les militaires français sont totalement chassés d’Afrique c’est lourdement se tromper. Il leur reste encore le Gabon où un hélicoptère Eurocopter AS.555 Fennec est stationné à l’année et surtout Djibouti et sa Base Aérienne 188. Cette dernière est le nid de l’Escadron de Chasse 3/11 Corse opérant sur monoplaces Mirage 2000-5F. La BA 188 de Djibouti accueille également régulièrement des avions de transport ou des hélicoptères de l’Armée de l’Air et de l’Espace. L’Escadron de Transport 88 Vercors y est d’ailleurs basé. Et comme pour Dakar il n’est pas rare que la Marine Nationale y envoie des avions de reconnaissance maritime.

Le Fennec des EFG, les Éléments Français au Gabon.

CQFD : le ministère des Armées va quitter le Sénégal et le Tchad mais pas son pré carré. C’est en effet sous cette horrible expression qu’on appelle diplomatiquement l’Afrique… au regard de la France. Post-colonialisme ? Oui sauf qu’en novlangue on appelle cela des accords de défense. Jusqu’à quand tiendront t-ils à Djibouti et au Gabon ? Seul l’avenir nous le dira.

Affaire à suivre.

Photos © ministère des Armées.


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ARTICLE ÉDITÉ PAR
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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

19 Responses

  1. Bonjour Arnaud,
    Merci pour cet article. Sur l’ET 88 stationné à Djibouti : il me semble que c’est le Larzac, pas le Vercors. A part ce détail, savez-vous quelle est sa dotation permanente ? J’avais en tête 1 CN-235 et 3 SA330 Puma.

  2. En dehors de l’aspect Géographique, qui est évident, Djibouti est surtout tourné vers l’indo pacifique. En outre, avec la présence des USA et Chinois, Japonais et Italiens en plus des Français, ce pays n’a aucun intérêt à nous « foutre dehors ». Mais comme dit dans l’article, la où la France a le plus à perdre, c’est le Tchad… mais la BA n’est pas spécifiquement tournée vers le Tchad… Comme le fond de la demande du Tchad est la volonté de souveraineté, il n’est pas impossible que la BA subsiste au départ de l’Armée de Terre…. (à creuser )

  3. J’apprécie votre réflexion globale sur le sujet. Si cela peut enterrer cette situation post coloniale au profit de relations plus équilibrées, cela peut même être positif. La France doit revoir ses priorités et sa stratégie d’influence dans le monde. En outre, les communiqués des deux pays montrent qu’on est loin de la façon dont la France a été expulsée des autres pays.

  4. Qui sommes nous pour juger ces choix ? Juste un pays qui assume d’aider ces pays parce que vous occultez gravement l’impact de nos actions. Cela aurait ete plus interessant que d’essayer de parler de post colonialisme…
    Impacts sur l’activité djiadiste, les mouvements de populations, sur le deploiement de notre armée, et…

  5. Ces pays sont souverain et font ce qu’ils veulent. On imaginerait mal une présence permanente de soldat sénégalais ou tchadiens chez nous. La France à bien fait de même en 1966 où elle a exigée le départ de toutes les bases de l’OTAN, principalement américaines et canadiennes, de France. Ce qui à été fait un an plus tard. La France est présente dans ces pays depuis des décennies, il fallait bien qu’il y ait une fin un jour. Les bonnes relations diplomatiques peuvent très bien se poursuivre ensuite. En revanche s’ils font appel à des contractors militaire étrangers et surtout si ils proviennent de dictatures, sa n’aurait pas de sens et cela en dirait long sur le sérieux de ces pays.

  6. En 1966, De Gaulle à ordonné aux forces américaines de quitter la France et, que je sache, nos relations sont toujours très fortes.
    Pourquoi n’en serait-il pas de même avec Tchad, Sénégal et consorts?…
    Une présence militaire durable, même bienveillante, dans un pays souverain est quand même problématique, et pas seulement en terme d’image.
    Alors laissons aux peuples des pays d’Afrique le soin de choisir leur destin et ayons avec eux des relations économiques et diplomatiques normales. En d’autres termes, fin de la Françafrique!
    Et gageons que nos cocardes continueront de visiter les tarmacs africains.

    1. Personnellement, je suis d’accord avec votre article, et les commentaires qui suivent.
      Ce n’est plus notre rôle d’être le gendarme de l’Afrique.
      Cela nous permettra de faire des économies sur ces Opex, et de consacrer cet argent à renforcer notre Armée sur notre territoire (hommes, matériels et munitions).
      Nous en aurons peut être besoin, plus vite qu’on le pense.

  7. Merci pour l’article, et pour nous rappeler que chacun fait ce qu’il veut chez lui. Dans le domaine civil aussi il se passe des choses : BNP-Paribas et SG vendent leurs filiales locales, et Air Liquide de même. Ce qui n’est pas beaucoup commenté par la grande presse, et encore moins par les politiques de tous poils, pourtant toujours prêts à agiter l’eau du bocal. Curieux.

    1. « Dans le domaine civil aussi il se passe des choses : BNP-Paribas et SG vendent leurs filiales locales, »

      Les banques européennes doivent avoir des activités conformes aux normes de la BCE, filiales hors Europe comprises.

      Elles perdent donc des parts de marché. Ce mouvement de retrait ne concerne pas seulement les banques françaises.

  8. Boujour Arnaud et autres,

    Je plussoie les avis que le fait que la France laisse ses bases en Afrique sub-saharienne soit une normalisation. La France aura dorénavant les mêmes relations qu’avec le Pérou ou l’Afrique du sud.

    En, revanche, l’absence de ces bases servant de point d’appui ne devrait-elle pas relancer le débat sur l’opportunité de donner deux Pang à la marine pour remplacer le De Gaulle ?

    1. Tout à fait d’accord en tenant compte du contexte actuel et au vu du sombre avenir qui se dessine on ne peut compter sur un unique porte avion.

  9. C’est un peu hors sujet mais je pense que la perte la plus importante est le Niger. Est-ce que la France pourra toujours s’approvisionner d’uranium auprès de ce pays pour son parc nucléaire et pour la dissuasion nucléaire.

    1. Le Niger n’est pas le premier fournisseur d’uranium à la France, les importations françaises proviennent majoritairement de 4 pays : le Kazakhstan (27%), le Niger ( 20%), l’Ouzbékistan (19%) et la Namibie (15%). On pourrait remplacer le Niger par l’Australie ou le Canada qui sont aussi deux pays avec de grandes réserves d’uranium.

  10. Nous avons offert la civilisation à ces pays et c’est comme ça qu’ils nous remercient. J’ai honte de mon pays. 50 ans que les socialos et les centristes ont tout fait pour que l’Afrique oublie ce qu’elle doit à la France.
    Et maintenant je lis de la presse militaire comme votre weblog qui se félicite de cette perte d’influence de notre pays en Afrique. Je suis sûr monsieur Arnaud que vous n’êtes pas français. Sinon vous ne méritez pas votre nationalité.

  11. Bonjour Arnaud, Staff et Passionné.
    Ce n’est pas le lieu de parler de colonialisme, de néocolonialisme et de postcolonialisme. Il ne faut cependant pas oublier que le colonialisme est né pour exploiter des territoires sur lesquels il n’existait aucune souveraineté.
    Étant citoyen italien, j’ai une image très négative du colonialisme. Le colonialisme italien était certainement le plus brutal du monde. Cela a été fait en massacrant ( également avec du gaz en Libye et en Éthiopie ) la population locale. Cela a coûté énormément d’argent et n’a rien rapporté. Il n’a rien laissé ( langue, institutions ou économie ) aux peuples soumis.
    Cependant, je pense que l’abandon par la France des bases africaines n’est pas positif. Bien entendu, le réseau de bases en Afrique française était une forme de colonialisme, du moins à l’origine. Cependant, ces États présentaient également certains avantages.
    Ces États ont pleinement le droit de décider qui peut mener des activités militaires sur leur territoire. Mais la capacité française à transformer sa présence d’un simple usage de bases en une alliance solide faisait défaut.
    Il existe d’importantes bases américaines en Italie. Cela ne signifie pas que l’état italien soit sous la coupe des États-Unis d’Amérique. À l’image des nombreux ètats européens qui hébergent des bases américaines. En effet, les européens les plus récemment libres rivalisaient pour avoir des bases américaines sur leur territoire.
    Cette capacité à créer un réseau d’alliances loyales en Afrique était certainement une lacune sérieuse de la politique française.
    Mais la perte n’est pas seulement française. Elle est européenne. Parce que désormais l’europe n’a plus aucune influence sur le continent africain.
    La reconstruire est essentielle pour l’Europe si elle veut pouvoir avoir un impact sur le monde.
    L’importance d’un réseau de bases a été clairement soulignée par le contre-amiral Alfred Thayer Mahan dans son livre magistral « L’influence de la puissance maritime sur l’histoire (1660-1783) ». Livre qui constitue un pilier de la politique américaine. Et ça, les chinois l’ont appris par cœur.
    En europe, c’est presque inconnu.
    Quel numéro de téléphone possède l’europe ?
    Traduit avec Google

    1. Je vous rassure Vittorio le colonialisme français a également été très violent, totalement déshumanisé, et d’une cruauté sans limite. Nous n’avons de leçons à donner à personne en la matière malgré l’arrogance bien française.

  12. ça nous fera des économies, notre premier ministre en cherche partout!
    Ceci dit au milieu de la guerre froide contre la Russie, ce n’est pas la meilleurs nouvelle du monde. Quand on parles de choix des pays cités dans l’article, ok, peut-être, mais cela me semble bien naïf. Pour les pays comme le Mali, on ne peut pas dire qu’ils l’ont fait par choix. Ils ont appelé le France à l’aide quand le pays a faillit s’effondrer sous la pression des Djihadistes, là c’était un choix. Par contre, quand il y a la propagande Russe, les complots anti-français (il y a des entreprises françaises qui sont reprises plus ou moins par la force par des intérêts Russes partout en Afrique noire, telles certaines brasseries du groupe Castel) et quand il y a des coups d’État fomentés par des militaires qui sont en fait à la botte des russes, personnellement, je n’appelle pas ça un choix ni même une erreur, c’est la prise par la force. C’est la guerre froide dont certains pays payent le prix. De ce que j’ai compris, la France ne se laisse pas faire, mais perds quand même beaucoup de terrain.

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