Canadiens et Américains célèbrent en 2018 les 60 ans d’existence du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (North American Aerospace Defense Command / NORAD). L’Aviation royale canadienne (ARC) marque à sa façon cet anniversaire par une livrée spéciale d’un McDonnell Douglas CF-188 Hornet de commémoration qui participe à divers spectacles aériens. Cette année commémorative a également donné lieu à une exceptionnelle démonstration conjointe des trois grandes patrouilles nord-américaines.
La coopération canado-américaine en matière de défense a toutefois débutée bien avant 1958. Face à la déroute initiale des Alliés en Europe, les dirigeants des États-Unis et du Canada avaient déjà pris le soin de signer, en août 1940, un accord de défense commune du continent. Cela se concrétisa notamment lors de la participation d’unités de l’ARC à la défense de l’Alaska lors de la campagne des Aléoutiennes. Lorsque la Deuxième Guerre mondiale prit fin, les Nord-Américains se croyaient enfin à l’abri de toute agression. Une séquence d’événements allait complètement bouleverser cette sérénité. Lors du défilé du 1er mai 1947 à Moscou, l’URSS dévoilait son nouveau bombardier stratégique à long rayon d’action, le Tupolev Tu-4 Bull. Suite à l’explosion de sa première bombe atomique, en septembre 1949, l’URSS démontrait dorénavant sa capacité de menacer sérieusement l’Amérique du Nord. Le Canada se trouva en première ligne d’une éventuelle attaque aérienne, puisque les bombardiers soviétiques survoleraient inévitablement son territoire en passant par l’Arctique.
En réponse à cette menace, le Canada entreprit de rapidement moderniser ses moyens de défense aérienne. Dès décembre 1948, le premier escadron opérationnel de défense aérienne d’après-guerre s’établissait à la base de Saint‑Hubert au Québec, de même que le Commandement de la défense aérienne du Canada. Pour équiper ces nouveaux escadrons, le Canada fit l’acquisition de 85 chasseurs à réaction De Havilland Vampire qui seront à leur tour rapidement remplacés par une cinquantaine de chasseurs North American F-86 Sabre.
L’avionneur Canadair obtint également une licence de fabrication de cet avion américain et plus de 1800 CL-13 Sabre sortiront de ses installations à Montréal, tant pour les besoins de l’ARC que de pays alliés. En parallèle, Avro Canada développait un chasseur biréacteur tout-temps, le CF-100 Canuck, qui entra en service en 1953.
Le réarmement de l’ARC, ainsi que de la toute jeune US Air Force (USAF), n’était toutefois pas suffisant pour faire face à la menace soviétique. L’immensité de l’Alaska et du territoire canadien présentait un défi titanesque en termes de détection précoce d’avions ennemis et nécessitait le déploiement d’un vaste réseau de radars. Au cours de l’été 1950, les États-Unis et le Canada convenaient de collaborer à la conception d’un réseau continental d’alerte radar baptisé Pinetree Line. Ainsi, 44 sites radars furent aménagés dans la partie sud du Canada, dont les premiers entrèrent en fonction dès 1952. Bien que de propriété canadienne, le financement de ces stations fut assumé aux deux tiers par les États-Unis. Sept de ces stations radar furent implantées au Québec, soit à Senneterre, Parent, Chibougamau, Lac Saint-Denis, Mont Apica, Saint-Sylvestre et Moisie.
Dès leur mise en service, plusieurs problèmes techniques limitèrent l’efficacité des stations de la ligne Pinetree. D’une part, l’utilisation de radars classiques empêchait de détecter les cibles volant à faible altitude. D’autre part, bien que situés à quelques centaines de kilomètres au nord des grands centres urbains, ces radars ne permettaient qu’un temps de réaction très court. À compter de 1956, un réseau complémentaire de radars fut déployé plus au nord, le long du Mid-Canada Line. Deux de ces stations furent construites au Québec, soit à Grande Baleine (aujourd’hui Whapmagoostui) sur les rives de la Baie d’Hudson et au Lac Knob, près de Schefferville à la frontière du Labrador.
Contrairement aux stations de radar de la ligne Pinetree, une bonne part de ceux de la ligne Mid-Canada devaient être construits à des endroits isolés et non accessibles par voie terrestre. Profitant initialement des plans d’eau à proximité, hydravions en été et avions sur ski en hiver permit d’initier la construction de ces installations, le temps d’y aménager des pistes d’atterrissage. Pour prêter main forte à ce chantier, l’ARC se dota en 1954 de son premier escadron d’hélicoptères basé à Bagotville au Québec. L’Escadron 108 fut doté d’hélicoptères Piasecki H-21 Workhorse, Sikorsky H-19 Chickasaw et Sikorsky H-34 Choctaw. Les appareils H-21 Workhorse s’avérèrent particulièrement efficaces et fiables, même durant les grands froids hivernaux. Ils furent largement utilisés pour l’hélitreuillage et comme grues volantes. Au plus fort de ce chantier, des hélicoptères de la Marine royale canadienne et de l’USAF furent appelés en renfort afin de participer à la plus grande opération héliportée jamais vue. Lorsque les radars de la ligne Pinetree devinrent opérationnels, l’ARC céda une bonne partie de ses hélicoptères aux entreprises Okanagan Helicopters et Spartan Air Services qui furent chargées de soutenir leur fonctionnement.
En parallèle, Américains et Canadiens s’affairaient déjà à implanter le DEW Line (Distant Early Warning) située à environ 300 km au nord du cercle arctique. Bien que la construction des stations radar de la ligne Mid-Canada présenta un important défi logistique, le chantier de la ligne DEW s’annonçait pharaonique. Dans un environnement encore plus hostile et isolé, plus de soixante stations alignées sur près de 10000 kilomètres devaient être implantées en moins de trois ans. Le chantier de la ligne DEW mobilisa un pont aérien sans précédent faisant appel tant aux aéronefs militaires que civils. Sur une période de 32 mois, plus de 45000 vols permettront de transporter près de 140000 tonnes.
Aussi, le transport de matériel durant les très courtes saisons de navigation dans l’océan Arctique fut exécuté grâce à des opérations amphibies dignes des débarquements alliés durant la Deuxième guerre mondiale. Sous la supervision des autorités militaires américaines et canadiennes, la maîtrise d’œuvre de ce vaste chantier fut confiée au conglomérat privé Bell System qui était alors la principale entreprise de télécommunications en Amérique. Les meilleurs ingénieurs et techniciens de cette entreprise recrutés aux États-Unis et au Canada furent assignés à ce projet spécial. En septembre 1957, l’ensemble des radars de la ligne DEW étaient opérationnels. Le soutien aérien pour l’approvisionnement de ces stations fut confié à divers transporteurs privés, dont Nordair, Transair, Okanagan Helicopters et Kenting Helicopters. Tant durant la construction qu’après, les vols au nord du cercle arctique présentait son lot de défis et plus d’un aéronef fut perdu dans ces opérations.
Les stations de la ligne Pinetree demeurèrent opérationnelles durant le développement des deux nouvelles lignes de défense mais furent modifiées pour s’incorporer à la technologie SAGE (Semi-Automatic Ground Environment) qui coordonnait les informations provenant des différentes stations radar afin de disposer d’une carte globale du ciel. Cette technologie permit de réduire de moitié le personnel d’opération des stations radar. À la fin des années 1950, la majorité des stations de la ligne Pinetree furent toutefois délaissées au profit des nouveaux radars situés plus au nord et entrant en service. Néanmoins, plusieurs furent modernisées et demeurèrent en fonction jusque dans les années 1980.
À terme, ce vaste réseau de radars fut intégré électroniquement, mais le principal problème résidait dans l’absence d’intégration opérationnelle. Il n’y avait pas de commandement unifié pour diriger efficacement une éventuelle bataille aérienne d’ampleur. L’USAF souhaitait intercepter elle-même les avions ennemis dans l’espace aérien du Canada. Mais cela soulevait évidemment de vives réactions, le Canada souhaitant conserver sa souveraineté. En février 1957, les chefs d’état-major des États-Unis et du Canada proposèrent un concept de commandement unifié : le Commandement de la défense aérienne de l’Amérique du Nord (NORAD). Entérinée par les gouvernements américain et canadien, l’entente donnant naissance au NORAD fut signée le 12 mai 1958.
Les tensions avec l’URSS ne cessant de croître, le Canada et les États-Unis avaient entretemps débuté la construction de deux centres de commandement pouvant résister aux attaques nucléaires. Au Canada, le North Bay Underground Complex situé dans le nord de l’Ontario débuta ses opérations le 1 octobre 1963. Creusé à même le granit du Boucler canadien, ce complexe conçu pour accueillir 400 personnes pouvait résister à une explosion 267 fois plus puissante que celle d’Hiroshima. Plus connu du grand public, le Cheyenne Mountain Complex situé à Colorado Springs aux États-Unis, entra en service en 1966. En 2006, ces installations souterraines furent délaissées au profit de bâtiments de surface. Mais ces complexes souterrains sont encore entretenus de façon à pouvoir être réutilisés en cas de besoin.
Tout au long de son histoire, le NORAD s’est ajusté afin de répondre aux menaces en constante évolution, comme celles posées par les missiles balistiques intercontinentaux. Cette évolution constante a donné lieu à l’élargissement de la mission du NORAD de façon à y inclure les alertes tactiques et l’évaluation de toute attaque possible contre l’Amérique du Nord, qu’il s’agisse d’aéronefs, de missiles ou de véhicules spatiaux; cette mission a été codifiée dans l’accord du NORAD qui, en 1981, fut renommé Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord.
Lorsque l’on entend parler du NORAD, c’est souvent des images d’avions de chasse interceptant des aéronefs frappés de l’étoile rouge qui viennent en tête, même encore aujourd’hui. Les pilotes de chasse ne sont toutefois pas les seuls anges gardiens de l’Amérique. Les équipages de bombardiers (dissuasion), d’aéronefs de transport, ainsi que le personnel d’entretien et d’opération des stations radar et autres moyens de détection, des centres de commandement et des batteries de missiles jouent un rôle tout aussi essentiel au bon fonctionnement du NORAD.
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4 Responses
À chaque fois que je vois des images du complexe de Cheyenne Mountain ça me fait penser au film culte Wargames dans les années 1980. Une grosse partie de l’intrigue s’y déroule, notamment la phase finale contre l’ordinateur Joshua.
C’est drôle car moi ça m’évoque la série Stargate SG1. Mais je dois être trop jeune pour avoir connue le film dont vous parlez.
Bravo Marcel pour cet article et les superbes photos du Commandement de la défense aérienne du Canada à Saint-Hubert qui évoquent celles de la bataille de l’Angleterre.
Quand je vois les photos du cf101 voodoo (un appareil que j’adore), je ne peux m’empêcher de penser au superbe cf105 Arrow qui aurait dû entrer en service à sa place… Quelle catastrophe pour l’industrie aéronautique Canadienne…
Cet engin aurait littéralement fait un intercepteur hors normes… Il fait partie des supers avions qui ont eue un destin brisé dans l’œuf comme le f108, le tsr2a… Quelle tristesse…
Bravo pour ce super article