Quand Renault et DS s’approprient (abusivement) le patrimoine aéronautique

Une fois n’est pas coutume, parlons un petit peu d’automobile, car si vous êtes fan d’aéronautique, vous n’avez pas pu zapper deux publicités récentes. J’aurais dû passer à côté si l’actualité politique du moment ne me forçait pas à regarder un peu plus la télévision. Et j’ai eu l’occasion de visionner les deux spots en question d’affilée. L’un pour la Renault Rafale et l’autre pour la série spéciale Antoine de Saint-Exupéry pour la marque DS. Alors pourquoi parler de publicité automobile sur votre site d’aviation préféré et au passage en faire un coup de gueule tant qu’à faire ? Et bien, tout simplement parce que, de mon point de vue, les deux constructeurs automobiles en question s’approprient le patrimoine aéronautique français de manières quelque peu singulière, si ce n’est de façon abusive même. Détaillons un petit peu chacune de ces « réclames ».

Commençons par la publicité la plus réussie (il faut tout de même d’avouer), à savoir celle concernant la Renault Rafale (voir le spot). Étant formateur en design graphique pour de futurs publicitaires et communicants (justement), je dois avouer que l’esthétique générale de cette publicité, le storytelling du spot, la colorimétrie et les images aériennes très réussies savent mettre en valeur l’histoire de l’avion, le Caudron C.160 Rafale et aussi les pilotes féminines qui l’ont piloté. Le spot s’est mettre en valeur la réplique de cet avion mythique (reconstruit récemment), dont les lignes épurées et le design ont su faire son succès, notamment dans le milieu de la BD chez Hergé, mais surtout dans la série « Au-delà des nuages » sous le trait ciselée de Romain Hugault. D’ailleurs, le choix judicieux de la musique avec la chanson de Zoé de Sagazan  « La symphonie des éclairs » (que j’adore) est parfaitement adapté et renforce la qualité esthétique de la vidéo.

Réplique du Caudron C460 Rafale en vol
Réplique du Caudron C460 Rafale en vol (sans la mention Renault sur la dérive)

Pour autant, en tant que passionné d’aviation, il convient de rétablir certaines vérités au-delà de cette histoire romancée qui n’a d’autres objectifs que de nous vendre un véhicule SUV, qui plus est. Le premier élément qui me turlupine est la dénomination de l’avion dans le spot. Pour moi, cet appareil restera un Caudron C.460 Rafale et non pas un Caudron-Renault Rafale. Rappelons qu’historiquement, l’avionneur est bien la société des avions Caudron créée en 1909 par les deux frères éponymes Gaston et René, que celle-ci a été rachetée par Renault en 1933 avant de disparaître en 1936. Certes, Renault était le motoriste, puis l’actionnaire majoritaire, mais cela n’en fait pas un constructeur d’avion. Si le concurrent Citroën a bien construit un hélicoptère, la seule expérience anecdotique d’aviation pour Renault reste d’avoir fait voler une un 4L. Blague à part, Caudron reste avant tout un des grands fournisseurs de l’armée de l’air française du début du siècle et de la Première Guerre mondiale. Cette mainmise de l’avion par sa société mère, c’est un peu comme si on avait appelé à l’époque les célèbres sportives au cheval cabré avec la dénomination Fiat. Qui oserait appeler une Ferrari-Fiat Testarossa… Personne.

Autre élément d’appropriation, celui-ci plus dans l’air du temps, est le combat féministe, puisque la publicité cite comme pilote les trois exceptionnelles femmes françaises : Maryse Bastié, Adrienne Bolland, Hélène Boucher… Rappelons tout de même que si cette dernière a bien réalisé des records exceptionnels pour l’époque sur cet appareil, c’est aussi en le pilotant qu’elle est décédée (sur la version C.430 pour être précis). Historiquement, c’est aussi passé sous silence, les exploits de Raymond Delmotte ou de Michel Détroyat, pour ne citer qu’eux. Enfin, troisième et dernier point d’achoppement, c’est le fait de passer sous silence que ce monoplan à aile basse était avant tout un appareil de course aérienne. Il a été conçu pour la coupe Deutsch de la Meurthe et uniquement pour cela, contrairement au Caudron C.714 Cyclone qui lui fut un chasseur de production. Peut-être que les communicants se sont dit que parler de compétition internationale aéronautique de vitesse, aussi emblématique soit-elle, n’était peut-être pas un « éco-friendly ». Mais bon, le petit monde publicitaire n’en est pas à quelques approximations quand il s’agit de vendre un produit. Et je vous épargnerai mon avis sur la Renault Rafale électrique qui est l’aboutissement marketing de ce spot.

Passons désormais à la marque DS qui vient de lancer une collection « Antoine de Saint-Exupéry » pour plusieurs de ses modèles. À l’instar de Citroën, qui, à l’époque avait repris la signature de Picasso avec franc succès commercial, la marque automobile fille a repris la même stratégie, en s’accaparant ce nom célèbre de l’aviation et de la littérature. Dans ce spot (à voir ici), tous les clichés possibles y passent, et sans aucune subtilité d’ailleurs. Forcément, on n’y a pas placé tous les codes associés aux citations et dessins de l’auteur-aviateur : le fennec, la rose, l’étoile, la lune, etc… dans une ambiance nacrée de nuit dans le désert. Au moins, le public n’aura pas à trop se prendre la tête pour comprendre le sujet de ce film publicitaire et faire la référence avec « le Petit Prince » dans sa quête de son étoile guide. Le fameux temps de cerveau disponible cher à Étienne Mougeotte…

Le Breguet XIV semble avoir subit un lifting dans une clinique d’outre-Atlantique.

Pour ce qui est de l’aéronautique, c’est plutôt un carton rouge. Dès les premières images, avec un gros plan du pilote dans son cockpit ouvert, on se rend bien compte que les réalisateurs n’ont même pas pris le soin de faire référence à l’avion piloté par Saint-Exupéry lorsqu’il a écrit ces plus beaux récits en tant que des « pionniers de la Ligne« , comme « Vol de nuit ». Dès que les plans s’élargissent, on se rend compte que les images aériennes (de synthèse) nous proposent un appareil qui ressemble plus à un Boeing P-12 ou à quelque chose de semblable (car je n’ai pas réussi à l’identifier clairement, n’hésitez pas à préciser en commentaire). En tout cas, on est très loin du Breguet XIV qui devrait être mis en avant dans cette publicité. Et donc là, je dois dire que je suis assez circonspect pour ne pas dire en colère que les communicants n’ont même pas pris le soin de mettre en valeur le patrimoine aéronautique français aussi emblématique que celui associé au Petit Prince (voir cet extrait « Des Racines et des Ailes »). Au lieu de ça, on se retrouve avec un ersatz d’un chasseur américain qui n’a rien à voir avec l’époque (au moins 15 ans de différence) ni avec sa fonction d’avion postal. Le constructeur aura beau dire dans sa communication que l’intérieur de ces véhicules rappelle les planches de bord de l’époque, s’ils ont pris l’esthétique intérieure des avions de guerre US, le pauvre Antoine doit se retourner dans sa tombe.

J’arrête là ma diatribe en espérant que cet article décalé de l’actualité aéronautique militaire habituelle ne vous aura pas gêné. N’hésitez pas dans les commentaires à nous dire ce que vous en pensez également. Et si toutefois un responsable marketing de l’une ou l’autre des deux marques passe par ici, qu’il sache que je suis partant pour devenir leur consultant aéronautique à l’avenir .


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Gaëtan
Passionné d'aéronautique et formateur en Web et PAO, il est le fondateur, en 1999, de l'encyclopédie de l'aviation militaire www.avionslegendaires.net. Administrateur et rédacteur en chef du blog, il vous fait partager ses avis et coups de coeur (ou de gueule) sur l'actualité aéronautique.
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Commentaires

19 Responses

  1. En effet, dans l’histoire de l’aviation il a toujours été question du « Caudron Rafale » . Je n’était encore jamais tombé sur l’appellation « Caudron Renault Rafale » ? Au niveau de la colorimétrie il me semble que la teinte bleue a été modifiée pour rappeler la teinte « Iron blue » des Clio RS line ?
    Quant à Citroën, il faut savoir que St Ex était un amateur de belles voitures.
    La dernière qu’il avait achetée en 1939 était une magnifique DeSoto-Chrysler couleur crème qui a été conservée et rachetée par un collectionneur.

    1. Vous avez raison dans le spot la livrée bleue est adaptée aux coloris standard du modèle de chez Renault.
      Mon avis sur la publicité de DS reste sur uniquement centrée sur le remplacement du Breguet XIV, je ne me permettrais aucun jugement sur l’icône St-Ex;-)

  2. ah oui alors ça c’est vachement bien comme article, je suis pour cette vision plus large du spectre aéronautique.
    J’ai une sensibilité pour le monde auto aussi ( et d’autre encore ) et j’aime particulièrement quand ça peut se « télescoper » !
    Pour moi les 2 exemples la sont loupés, c’est du 100% marketing ( je ne peux pas juger les spot TV, ne regardant pas la TV ), je ne comprend rien aux SUV’s et ne comprend pas non plus cette marque « DS » by Citroen … peut-être du pur commerce aussi sans aucune once de passion…
    Par exemple une Morgan 3 wheeler avec une décoration digne d’un chasseur de la RAF de le 2nd guerre mondiale me fait plus vibrer…

  3. En matière de pub les marques ne sont pas à une approximation près.
    Rien à voir avec ce sujet mais j’ai repéré dans la dernière pub de la Peugeot E-3008, de 0:13 à 0;15 sur 0:45 au total, une scène qui est exactement la dernière scène du film de Claude Lelouch « C’était un rendez-vous ». C’est la traversée de Paris au petit matin en Ferrari 275 GTB, sans aucun trucage. Pourquoi ont-ils repris cette scène ? Mystère pour moi.

  4. De mémoire, citroen a fait volé une VISA (plus connu dans sa variante utilitaire C15) dans un spot de pub.
    Ou plutôt, a fait catapulter une Visa….

  5. J’espère que tu n’as pas prévu de t’acheter une voiture chez Stellantis ou chez Renault dans les 30 prochaines années. Car là je crois que c’est mort de chez mort Gaëtan. Et quand je lis ton article je me dis que je devrais vraiment regarder la télé plus souvent car la pub DS Automobiles m’est totalement inconnue.

  6. Je vous trouve injuste avec Renault, qui a, me semble-t-il, un riche passé aéronautique antérieure à sa coopération avec Caudron. Sauf erreur de ma part, Renault a notamment motorisé le Breguet XIV ainsi que les Stampa. Cela n’en fait pas un avionneur, mais la construction du moteur du Bréguet, avec ses parois moteur réduites au plus minces pour gagner du poids, prouve que Renault était très au fait des problématiques de l’aéronautique!

  7. Pour Renault, je me contenterais d’un carton jaune : malgré ses tous ses défauts, la pub a quand même le mérite de donner une très belle visibilité à ce magnifique avion un peu oublié.
    Pour DS, carton rouge : faire voler Saint-Ex dans un avion imaginaire montre le peu de considération de la marque pour le grand homme dont elle emprunte, moyennant finances, le nom…
    Etonnant que les ayants droits l’ai accepté.
    Si DS tenait vraiment à le faire voler américain, un bel hommage aurait de le mettre aux commandes d’un Lockheed P-38 Lightning…

  8. Salut GAETAN,
    J’apprécie particulièrement ce genre d’articles décalés car il apporte une respiration salutaire dans une lecture quotidienne spécialisée en aéronautique.
    L’intérêt de cette publicité RENAULT ne réside pas dans le véhicule, que je considère en décalage par rapport à la qualité du design de son référent, mais justement dans l’avion que cette publicité met en avant. Je ne me rappelais pas de cet avion que je découvre avec bonheur grâce à RENAULT, car il est vraiment magnifique avec ce design épuré et racé, propre aux avions de course. Une réussite esthétique même si techniquement je n’ai pas fait de recherches d’infos, eu égard à l’accident mentionné par GAETAN.
    Quant à la pub de DS, je n’accroche pas du tout, en tout cas beaucoup moins que celle de RENAULT qui me semble plus réussie sur le plan esthétique. Le seul hic, c’est la mise en avant d’un SUV, qui n’est pas franchement un véhicule favorisant la transition écologique, avec son poids de 1,7 tonne….! RENAULT, comme tous les constructeurs masquent cette hérésie du SUV par une motorisation électrique afin de se racheter une virginité écologique ! Affligeant, mais ce sont les consommateurs qui commandent et ils en redemandent….En tous cas, je ne m’inscrit pas du tout dans cette démarche; à contrario, un fan de la Renault Rafale pourra me rétorquer que le Dassault Rafale n’est pas un exemple en terme de transition écologique, et il aura raison, mais partiellement. En effet, s’il est tout à fait possible d’acheter un véhicule non SUV « électrique », cela l’est beaucoup moins pour un chasseur Rafale, et pour quelques décennies !
    A bientôt,

  9. Cette publicité ne fut jamais diffusée sur les écrans de télévision au Québec. Je me souviens de la pulication de celle-ci dans Paris Mach. L’article relatait les dessous entourant la réalisation de cette époustouflante publicité! Je lève mon chapeau au cascadeur au volant de la Citroën qui a décollé du porte-avion!

  10. Oui enfin… dans une Ferrari on n’a pas un moteur Fiat. Alors que dans un Caudron ou un Bréguet d’ailleurs, c’est bien un moteur Renault.
    Alors certes, Renault n’a pas construit l’avion, mais étant propriétaire de la marque, c’est bien Renault au final. C’est la loi du grand capital.

    1. Attention Bob à ne pas sous-estimer Fiat. Durant l’entre-deux-guerres cet industriel conçut et fabriqua d’excellents avions pour lesquels il créa des moteurs souvent bien plus fiables que les moteurs d’aviation Renault de la même époque.

    2. Sauf que Ferrari c’est une marque de Stellantis, la société fondée par Fiat et PSA. Donc une Ferrari c’est juste une Fiat Panda en plus chère plus rapide et plus rouge.

      1. Erreur : Ferrari a quitté le groupe Fiat, donc le groupe Stellantis.
        Quant à la Renault Rafale (qui a été designé par un transfuge de chez Peugeot, ça se voit), elle a été présentée au salon du Bourget 2023 un an avant sa sortie. Dans le stand, il y avait la réplique du Caudron. L’avion était incontestablement plus élégant que la voiture.

  11. Merci Arnaud pour ce petit coup de chapeau à Fiat

    Par exemple, le moteur du Macchi MC 72 certes issu du couplage de deux AS5 mais quand même…et bons sang que cet hydravion est beau

    C’est vrai que pour Citroën, Saint Ex=Bréguet XIV…

    Pour Renault, oui, il y a des erreur mais je relève le mérite de faire revivre en image le Caudron Rafale pour les jeunes générations et leur apprendre qu’on avait de beaux avions et de grand pilotes, notamment de grandes Dames, aussi en France.

    En ces temps agités et déprimants, voyons ce qui élève et faire rêver

  12. Je la trouve vilaine cette Renault Rafale, j’en ai vu passer une la semaine dernière boulevard Saint-Michel et franchement on dirait un SUV comme les autres. Pour moi c’est bien une voiture de mec, aucune finesse et aucune originalité.
    Je préfère le Dassault Rafale, l’avion clodoaldien comme dit notre excellent Arnaud.

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