Dans l’histoire de l’aviation les accord passés entre deux constructeurs le furent la plus part du temps pour permettre d’étaler les dépenses budgétaires ainsi que pour faciliter l’émulation des équipes d’ingénieurs. L’image la plus célèbre est certainement celle de British Aircraft Corporation et Sud Aviation sur l’avion de ligne supersonique Concorde.
Pourtant il existe aussi un accord transatlantique dans lequel la réciprocité d’ingénierie n’exista quasiment pas puisque les ingénieurs américains assumèrent 90% de la tâche. C’est celui signé dans les années 1950 entre Bell aux États-Unis et Agusta en Italie.
C’est en effet en 1952 que le constructeur américain chercha à développer son activité voilure tournante sur le marché de l’export. Pour cela il envisageait la signature d’une licence globale de production de ses aéronefs avec un constructeur européen. Les dirigeants de Bell Helicopters commencèrent alors à démarcher leurs homologues britanniques de Westland, français de la SNCASE, et italiens d’Agusta. Ils se disaient que parmi ces trois aucun ne pourrait refuser une telle proposition.
Ils avaient tort, et s’en rendirent rapidement compte. En France autant qu’au Royaume-Uni ils firent chou blanc car Westland autant que la SNCASE étaient déjà en liens avec un autre hélicoptériste américain : Sikorsky. C’était notamment le S-55 qui avait scellé cet accord anglo-franco-américain. Construit sous licence par la SNCASE pour les besoins militaires français mais aussi de tous les pays européens de l’OTAN, il était même produit par le constructeur britannique sous la désignation de Whirlwind. Ce dernier modèle fut par la suite exporté à une quinzaine de pays étrangers.
Il ne restait donc aux dirigeants de Bell Helicopters que le seul Agusta, qui était soyons clairs le troisième choix. Les premiers pourparlers prévoyaient une production pour l’ensemble des marchés civils européens et africains du Bell 47 et de futurs machines. Mais les dirigeants italiens tablaient également sur la production sous licence de machines militaires pour les besoins intérieurs du pays autant que pour ceux des nations placées sous la (petite) sphère d’influence italienne d’après-guerre.

Finalement en 1954 un accord fut trouvé donnant satisfaction aux deux parties en présence : désormais Agusta pourrait produire sous licence les machines développées par Bell Helicopters autant pour les besoins civils et parapubliques européens et africains que pour le compte des forces armées italiennes ainsi que celles de leurs alliés. Seul le Royaume-Uni et l’Irlande demeuraient sous la coupe de Bell Helicopters. Les hélicoptères en question recevraient donc la désignation d’Agusta-Bell, suivis des lettres AB et de la désignation constructeur de l’appareil. Ainsi le Bell 47 construit sous licence italienne était appelée à devenir Agusta-Bell AB-47.
Et rapidement ce fut le succès escompté pour l’hélicoptère sur les marchés civils européens, notamment en Allemagne de l’Ouest, en Belgique, en France, ou encore… en Italie. Fin 1954 un accord bipartite fut passé entre la direction d’Agusta et le ministère italien de la défense visant à une fourniture obligatoire d’au minimum cinquante exemplaires de chaque modèle d’hélicoptères construit sous licence.
Trois ans plus tard les dirigeants de Bell Helicopters signèrent un avenant au contrat de licence prévoyant la construction sous licence du nouvel hélicoptère léger de transport et d’assaut Bell 204. Le futur Agusta-Bell AB-204 devait permettre aux deux hélicoptéristes de toucher encore plus de clients potentiels. Les AB-204 entrèrent de ce fait en service dès 1959 en même temps que les premiers Bell 204 militaires américains, mieux connus sous la désignation d’UH-1B Iroquois.

En 1962 une poignée d’ingénieurs italiens proposa à Bell Helicopters de développer une version de lutte anti-navire et de recherches-sauvetages en mer sous la désignation d’AB-204AS pour les besoins italiens, mais aussi de clients potentiels. Moyennement confiant dans un tel projet le constructeur américain donna finalement son feu vert. D’autant qu’il ne visait aucun contrat de ce type avec l’US Navy, étant client fidèle de Sikorsky ! Grand bien lui en prit puisque l’Agusta-Bell AB-204AS connut un certain succès d’estime, d’abord avec l’aéronavale italienne mais pas uniquement. Malte et la Turquie notamment leur emboitèrent le pas. Une quarantaine d’hélicoptères de ce type fut produite.
Et par la suite la seconde version du célèbre Huey, le Bell 205 ne fit pas exception devenant en Italie l’Agusta-Bell AB-205 qui était appelé à un véritable succès militaires à l’exportation, au point même de restreindre l’accord Bell-Dornier de production du UH-1D au seul marché militaire ouest-allemand alors même que les dirigeants de l’historique constructeur allemand en avaient décidé autrement.

Pourtant cet accord n’était pas sans conséquence sur les productions propres d’Agusta. En effet la majorité des hélicoptères développés après 1954 par le constructeur ne dépassèrent pas le stade du prototype. Il faut dire qu’un constructeur n’ayant pas besoin de beaucoup d’ingénieurs périclite forcément. D’autant que les productions Agusta-Bell étaient généralement bien moins onéreuses que tout ce qu’Agusta seule aurait pu proposer.
En 1966 les deux constructeurs signèrent un nouvel avenant au contrat visant à la production sous licence de deux machines alors en cours de développement : le monoturbine léger Bell 206 et le biturbine de transport et d’assaut Bell 212, conçu initialement comme une version améliorée du Huey.
Mais déjà le ver était dans la pomme car les ingénieurs italiens comptaient bien rattraper leur retard sur leurs homologues britanniques et surtout français en proposant une machine de conception nationale capable de concurrencer les meilleurs hélicoptères légers du moment. Ce futur Agusta-Bell AB-206 se présentait donc comme un concurrent direct au futur hélicoptère.

Les ingénieurs d’Agusta durent donc totalement revoir leur copie, en intégrant de nouvelles technologies tels le train d’atterrissage escamotable en lieu et place des traditionnels patins d’atterrissage. Même l’aérodynamique de l’hélicoptère fut revue et corrigée. Dans le même temps l’Agusta-Bell AB-206 se vendait bien, même parfois mieux que bien. En parallèle les ingénieurs italiens développèrent, sur le modèle de l’AB-204AS, une version de lutte anti-navire et anti-sous-marine sous la désignation d’AB-212ASW. Capable de tirer aussi bien des torpilles que des missiles anti-navires l’hélicoptère fut vendu outre l’Italie, à la Colombie, l’Irak, l’Iran, Malte, le Pérou, et bien d’autres. Un véritable succès, et pas uniquement d’estime comme l’AB-204AS.

À l’été 1971 alors que l’Agusta-Bell AB-206 se vendait très bien vola le prototype de l’Agusta A.109 résolument novateur. Cependant les dirigeants de Bell Helicopters ne prirent pas la mesure du danger de ce nouvel appareil, le pensant réduit à demeurer à l’état de prototype. Mais déjà l’accord semblait s’effriter puisque les dirigeants d’Agusta refusèrent de produire sous licence le Bell 214 et sa version rallongée 214ST.
Quand cinq ans après ce premier vol l’hélicoptère entra en service opérationnel la donne changea radicalement. D’autant qu’Agusta refusa de construire sous licence le nouvel hélicoptère léger civil américain, le Bell 222 qui aurait pu faire de l’ombre à son A.109 émergeant.
On aurait alors pu croire l’aventure commune entre Agusta et Bell en voie d’extinction. Pourtant il n’en était rien. En 1980 un nouvel avenant fut signé visant à la production du futur Agusta-Bell AB-412 Grifone, un biturbine léger de transport et d’assaut. Et pour la première fois l’appareil, dans sa version civile et parapublique, pouvait être commercialisé en Irlande et au Royaume Uni.

Par la suite plus aucun nouvel hélicoptère conçu par Bell Helicopters ne fit l’objet d’une production sous licence par Agusta avant qu’en 1998 une coentreprise ne soit fondée par les deux hélicoptéristes sous la désignation de Bell Agusta Aerospace Company ou BAAC. Elle visait au développement et à la commercialisation d’une nouvelle génération d’hélicoptères dont le premier représentant serait le futur Agusta-Bell AB-139. Dans le même temps les deux constructeurs prévoyaient le développement conjoint d’un avion convertible civil désigné Bell-Agusta BA-609 et reprenant une partie des technologies développées pour le Bell-Boeing CV-22 Osprey militaire. Cependant le mariage annoncé entre Agusta et son homologue britannique Westland fit largement capoté la co-entreprise. L’AB-139 fut totalement repris par la nouvelle structure en tant qu’AW.139 tandis qu’une guerre commerciale et juridique éclata au sujet du BA-609.
Finalement BAAC disparut en 2011. Et le BA-609 tomba dans l’escarcelle d’AgustaWestland en tant qu’AW.609 sans pour autant qu’il ne dépasse jusque là le stade de l’appareil de développement expérimental. La fin de la BAAC signifia aussi la fin de l’accord de production sous licence entre les deux constructeurs, avec cependant une grosse nuance pour AgustaWestland : la possibilité de continuer à construire et vendre les machines déjà dans son catalogue avant l’annulation. L’AB-412 Grifone pouvait donc continuer d’être assemblée et vendue.

Au travers d’un peu plus d’un demi siècle de tumultes l’accord Agusta-Bell permit aux deux constructeurs d’y gagner. Pour Bell Helicopters il s’agissait de pénétrer un marché jusque là réservé à Piasecki et Sikorsky et de s’imposer face aux constructeurs européens tandis que pour Agusta c’était la possibilité d’accroitre son outil industriel au-delà de ses simples machines propres. Un accord qui marqua durablement l’histoire des voilures tournantes.
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