La Burle, la version franchouillarde du triangle des Bermudes.

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Récits historiques et légendaires

Qui ne connait pas le Triangle des Bermudes ? Cette zone maritime située dans l’Atlantique nord au large des côtes américaines de Floride et de l’archipel britannique des Bermudes est supposée être plus dangereuse que le reste de la planète pour les aéronefs et navires qui la traverse. L’expression même de Triangle des Bermudes a été inventée par Charles Berlitz, linguiste distingué et petit-fils du fondateur de la célèbre école de langue éponyme, considéré par beaucoup comme le père de l’ufologie. Rappelons que cette dernière n’est en rien une discipline scientifique, on parle plutôt de pseudoscience dans son cas. C’est dire si Charles Berlitz est un personnage… complexe. D’ailleurs pour lui pas de doute les «petits hommes verts» sont les principaux responsables des disparitions de navires et d’avions qui y sont constatées depuis des siècles maintenant. Les causes électromagnétiques ou météos ne l’intéressaient pas.

Car Charles Berlitz est mort il y a 20 ans. Bizarrement l’attrait pour ce triangle des Bermudes ne s’est pas franchement estompé. Sans doute que les réseaux sociaux y sont pour beaucoup, donnant une résonance inédite au ufologues, jusque là plutôt peu médiatisés. Nombre d’entre eux continuent de voir passer ça et là des phénomènes aérospatiaux qu’ils ne comprennent pas. Et comme ils cherchent le merveilleux ou le sensationnel plutôt qu’une explication scientifique et/ou technologique tangible ils sautent forcément à pieds joints dans des théories fumeuses ressemblant fortement à de mauvais scénarii de science-fiction. Par contre étrangement bien peu sont ces ufologues à s’être penchés sur la Burle.

J’en entends déjà d’ici s’écrier : «la quoi ?». La Burle. Si vous trouvez que ce nom sonne bien moins exotique que le Triangle des Bermudes c’est normal. Bon si vous considérez que l’Ardèche, que la Haute-Loire, et que la Loire sont des départements exotiques alors oui la Burle l’est tout autant que le Triangle des Bermudes. La comparaison entre les deux zones géographiques s’arrête là. Car là où le Triangle des Bermudes s’étend sur près de 3.5 millions de kilomètres carrés recouverts à 96% par l’océan la Burle est sensiblement différente. Environ 1000 fois plus petite que le célèbre triangle elle n’est recouverte que par des terres, et même pas mal de reliefs.

C’est véritablement le jeudi 13 mai 1948 que la Burle commence à faire parler d’elle. Ce jour là un avion de ligne régional De Havilland D.H.104 Dove s’écrase à proximité du petit village de Saint-Bauzile dans le département de l’Ardèche. Il n’y a aucun survivant parmi les quatre personnes à bord, deux membres d’équipage et deux passagers. Ayant décollé de Crodon et fait une escale au Bourget où six passagers sont descendus le bimoteur a redécollé en direction de Cannes. La météo était mauvaise et l’avion s’est donc crashé. Les deux passagers sont alors particulièrement médiatisés : il s’agit de lord Peter Wentworth-Fitzwilliam et de sa jeune maîtresse lady Kathleen Hartington. Veuve de guerre cette jeune Américaine de 28 ans naturalisée Britannique est souvent sous le feu des projecteurs. Deux de ses frères, John Fitzgerald et Robert Kennedy, vont tout faire pour que la lumière soit faite sur l’accident. De leurs côtés les autorités aéronautiques britanniques et françaises en viennent à la même conclusion : l’avion s’est perdu dans le brouillard et la cause de l’accident est donc météorologique.

Sur cette photo des restes du D.H.104 Dove on distingue encore le nom de Skyways Airlines, sa compagnie aérienne britannique d’appartenance.

Dès lors plusieurs journalistes vont décortiquer les informations aéronautiques relatives à la région. C’est à cette époque que la Burle commence à se tailler une petite réputation. La légende dit que la région serait maudite depuis qu’au troisième siècle avant notre ère des tribus gauloises auraient rapporté de leurs raids de saccages en Grèce une relique en or venant du temple de Delphes. Appelée la «malédiction de la Table d’Or» cette théorie fait bien plus rire qu’autre chose. Pourtant le mal est fait et beaucoup vont chercher des explications surnaturelles aux accidents aériens de la Burle. Et ils vont en déterrer une dizaine depuis 1931. Assez étrangement avant cela rien, et ce même si des avions étaient régulièrement aperçus dans cette région reculée de l’Hexagone.

L’un des faits-divers les plus souvent mis en avant en cette fin des années 1940 remonte à la Seconde Guerre mondiale. Un bombardier lourd quadrimoteur Handley Page Halifax appartenant à la Royal Air Force réalisa un vol aux profits des Forces Françaises de l’Intérieur. Nous sommes alors le mercredi 3 novembre 1943 et l’avion a pour mission de larguer armes et munitions aux maquisards français. La météo est alors très mauvaise sur le centre de la France et encore pire sur les Cévennes. Des résistants attendent l’avion et sa précieuse cargaison. Rien n’arrivera jamais. Survolant le village ardéchois de Marcols-les-Eaux l’avion perd subitement de l’altitude et vient percuter le sol. Sur les sept membres d’équipage six meurent sur le coup. Seul un mitrailleur en réchappe. Grièvement blessé il est secouru par les FFI qui le déposent dans un couvent où les nonnes le soignent au nez et à la barbe de la Gestapo et des SS. De retour à Londres début 1945 l’homme parle de lueurs aperçues dans le ciel au moment du choc. Forcément la RAF consigne ses dires dans ses archives. Il n’en faut pas plus quelques années plus tard pour tomber dans le sensationnel. Mais entre le choc de l’avion qui va s’écraser, le bruit, et les premières blessures comment être sûr que ce jeune Britannique n’a pas simplement halluciné ? Dans les années 1970 les premiers ufologues français y voient la manifestation d’OVNI.

La Burle n’a pas fini de faire parler d’elle. Dix accidents aériens entre 1952 et 1969 inclus, dont huit mortels. Même les plus sérieux des journalistes commencent à s’y intéresser. Les plus sérieux oui mais toujours pas la presse spécialisée sur l’aéronautique. Pourquoi le ferait-elle puisque ces accidents ont dans tous les cas été imputés par l’aviation civile à des incidents météos. Parmi ces accidents trois sont pourtant tristement restés dans les mémoires.

Le mardi 5 novembre 1963 peu avant midi un chasseur britannique Gloster Javelin FAW Mk-9 appartenant à la Royal Air Force réalise un survol de la région dans le cadre d’un exercice d’alerte aérienne de l’OTAN. Pour une raison demeuré inexpliquée à ce jour le jet décroche alors qu’il approche du village de Jaujac, là encore situé dans le département de l’Ardèche. Réussissant à éviter in extremis l’église il vient percuter plusieurs maisons du bourg avant de terminer sa course dans la rue du Champ de Mars. Outre le pilote et son copilote tués dans l’accident on relèvera quatre personnes décédées dans le crash, des riverains se trouvant chez eux ou dans la rue. Une adolescente de 17 ans est la seule personne blessée dans l’accident. Le bilan aurait pu être bien plus dramatique ; en effet à l’heure du drame les écoliers sortaient de cours et pour certains d’entre eux rentraient à la maison prendre leur déjeuner. Le drame est alors retentissant dans toute la France, tendant un peu plus les relations entre la France gaulliste et l’alliance Atlantique.

L’année suivante ce sont deux North American F-100D Super Sabre appartenant à l’Armée de l’Air qui viennent se percuter au-dessus de la Burle, et plus particulièrement du petit village des Estables dans le département de la Haute-Loire. Nous sommes alors le jeudi 31 décembre 1964 et les avions réalisent un exercice de vol à basse et très basse altitude. Un exercice qui aurait dû être annulé en raison d’un brouillard intense dans la région. Par chance aucune victime en dehors des deux pilotes français n’est cette fois à déplorer les avions survolant des zones agricoles lors de leur accident. La cause météorologique est alors évidemment mise en avant, mais déjà les adeptes du sensationnel cherchent ailleurs. Là encore des «lumières» ont été vu dans le ciel la veille, en réalité les phares d’un Lockheed C-130E Hercules de l’US Air Force en vol tactique. Même scénario que pour ces deux F-100D Super Sabre quand trois mois plus tard deux Lockheed F-104G Starfighter de la Luftwaffe viennent percuter ensemble le Mont Mezenc, le «toit» de la Burle. L’accident passe cette fois complètement inaperçu étant mis sur le compte de la dangerosité supposée ou réelle de cet avion au sein de l’aviation ouest-allemande. Là encore le brouillard masquait le sommet de cet ancien volcan auvergnat à 1753 mètres.

En France le chasseur américain F-100D Super Sabre était apprécié des pilotes.

Outre ces trois accidents un autre a été particulièrement médiatisé, concernant un avion de transport tactique Nord N.262A Frégate. Nous sommes alors le jeudi 21 janvier 1971 et l’exemplaire codé 44 réalise un vol de liaisons pour le compte du Commissariat à l’Énergie Atomique. Ses dix-huit passagers sont tous des scientifiques de haut niveau, beaucoup travaillant sur les futures centrales nucléaires françaises. Alors que là encore la météo est mauvaise en cet hiver 1970-1971 en Ardèche l’avion vient percuter une montagne à 1060 mètres d’altitude. Il n’y a aucun survivant. Alors que vingt-et-une personnes se trouvaient à bord de l’avion les équipes de secours relèveront vingt-deux dépouilles. Celle «en plus» était en fait un randonneur présent dans la région au moment du drame. Là encore les adeptes du sensationnel vont s’en donner à cœur joie, d’autant qu’ici l’accident touche au nucléaire civil. La question est alors hautement confidentielle, la France voulant conserver son avance sur les autres pays européens. Aussi l’Armée de l’Air, le CEA, et la Gendarmerie Nationale bouclent littéralement la zone du crash durant plusieurs semaines donnant du grain à moudre à ceux qui y voient la patte des «petits hommes verts». Simplement les enquêteurs n’ont pas voulu passer à côté de quoi que ce soit dans ce qui représente alors un drame pour la communauté scientifique nationale.

Et ensuite ? Bah en fait après le crash du N-262A Frégate de l’Armée de l’Air il ne se passe plus grand-chose. Comme si les «aliens» avaient décidé de déserter la Burle. Ça ou bien les règles de sécurité aérienne se sont durcies et la technologie protège mieux des risques météos. Il faut tout de même parler du jeudi 18 septembre 1980. Ce jour là plusieurs agriculteurs dans leurs champs respectifs mais aussi trois gendarmes en patrouille font état d’un avion de tourisme monomoteur perdant de l’altitude et semblant s’écraser dans les monts de la Burle. Deux hélicoptères Alouette II de la Gendarmerie Nationale et un Puma de l’Armée de Terre sont dépêchés sur zone afin de rechercher l’épave de l’appareil et d’éventuels survivants. Ils font chou blanc. Non pas que leurs équipages ne retrouvent que des dépouilles ; ils ne retrouvent rien ! Ni avion, ni trace de crash, et encore moins de corps. Les enquêteurs réinterrogent les témoins et tous sont formels : ils ont bien vu un crash qui ne semble pas avoir eu lieu. Mieux encore l’aviation civile confirmera qu’aucun avion ne manque à l’appel dans les aéroclubs français, mais aussi des pays européens limitrophes.

Pour autant des accidents dans la région il y en a toujours. On en a décompté onze entre 1972 et 2010 dans le périmètre de la Burle. Ça ne fait vraiment pas un gros ratio. Et depuis 2010 ? Quatre seulement, dont aucun n’a entraîné le décès d’occupant ou de personne au sol. À croire que cette région n’est vraiment plus au 21e siècle ce qu’elle fut au siècle dernier. Pour la petite histoire le romancier Frédéric Dard fit passer un jour son improbable duo d’enquêteurs San Antonio et Bérurier par cette contrée. Et le célèbre inspecteur dit à son commissaire favori qu’il s’agissait de la «Burle mone». Les amateurs de contrepèteries apprécieront sans doute.

Bien sûr que je serais un des premiers à sauter de joie si j’apprenais qu’Alf, Chewbacca, ou encore E.T. existaient. Mais comme jusqu’à preuve du contraire les extraterrestres relèvent de la science-fiction il faut bien trouver des causes aux accidents aériens qui depuis 1931 sont relevés dans la Burle. Et dans presque 90% des cas la mauvaise météo est mise en avant. On remarquera qu’en dehors de l’accident de la jeune sœur de JFK tous les autres proposés ci-dessus ont eu lieu en automne ou en hiver par temps de brouillard. Ceci pouvant commencer à expliquer cela. En tous cas c’est une explication qui n’est pas moins saugrenue que l’intervention d’une soucoupe volante !

 

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ARTICLE ÉDITÉ PAR
Arnaud
Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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