Le destin brisé des avions de ligne quadrimoteurs à turbopropulseurs

Ce contenu est une partie du dossier thématique : Récits historiques et légendaires

Le premier vol le 15 juillet 1954 du prototype Boeing Model 367-80, alias Dash 80, révolutionna le monde aéronautique. Pour la première fois depuis le décevant De Havilland DH.106 Comet britannique un programme d’avion de ligne permettait d’entrapercevoir de futures liaisons commerciales transocéaniques sur avion à réaction. Ce quadriréacteur allait donner naissance un peu plus de trois ans plus tard au célèbre Boeing 707, premier véritable long-courrier quadriréacteur. Pourtant cette révolution n’allait pas faire que des heureux.

Boeing Dash 80, le révolutionnaire prototype du 707.

En effet des avionneurs comme Bristol et Vickers au Royaume-Uni ou encore Lockheed aux États-Unis avaient parié sur une autre technologie pour traverser l’Atlantique ou le Pacifique nord le plus rapidement possible et dans des conditions de sécurité accrues : les quadrimoteurs à turbopropulseurs. Ces avions étaient censés, à l’instar du Boeing Dash 80, permettre de remplacer dans des délais très courts les quadrimoteurs à pistons comme le Boeing 377, les Douglas DC-6 et DC-7, et le Lockheed L-1049 Super Constellation américains ou encore le Sud-Est SE.2010 Armagnac français. Ce dernier ne tenait pas vraiment la comparaison avec ses concurrents venus d’outre-Atlantique et ne fut construit qu’à neuf exemplaires.

En ce milieu des années 1950 un avion à moteurs à pistons comme le Douglas DC-7C pouvait mettre entre quinze et seize heures pour relier Londres ou Paris à Montréal ou New York. Dans le même temps un avion de ligne turbopropulsé réduisait ce temps de 15 à 20% mais avec une fiabilité de la motorisation, donc une sécurité des vols, bien plus importante. L’apparition du Boeing Dash 80 allait totalement rebattre les cartes. Afin de se rendre au salon du Bourget 1955 pour y être présenté l’avion rallia la cote est des États-Unis à la région parisienne en un peu moins de neuf heures. Désormais les passagers pouvaient voler à des vitesse que seuls les pilotes militaires connaissaient : une croisière à 850-890 kilomètres heures.

Prototype du Lockheed L-188 Electra.

Non seulement c’était le chant du cygne pour les avions de ligne à moteurs à pistons mais la concurrence s’annonçait désormais écrasante pour ceux à turbopropulsion. Les Bristol Britannia et Vickers Vanguard britanniques, et le Lockheed L-188 Electra américain allaient devoir s’adapter si leurs avionneurs ne voulaient pas risquer de les voir disparaître.
Dans le même temps les géants aéronautiques Convair et Douglas annoncèrent publiquement qu’ils travaillaient chacun sur un avion similaire au Dash 80 : les futurs CV-880 et DC-8. L’ère des avions de ligne quadriréacteur était donc apparue.

Le premier à réagir fut Bristol qui décida d’orienter son Britannia vers le marché militaire, au profit de la Royal Air Force. Un choix qui fut assez judicieux puisqu’environ un quart des 85 avions construits fut acheté à titre militaire. Une licence de production fut même vendu au Canada afin d’y réaliser une version de transport militaire et de transport de fret civil sous la désignation CL-44. L’avion fit les belles heures de l’Aviation Royale Canadienne.
Le transport de fret fut justement l’option retenu par Vickers pour espérer ne pas voir sombrer son très ambitieux Vanguard. Refusé par les militaires britanniques cette évolution agrandie du Viscount permit aussi à quelques compagnies majeures comme Air Canada ou British European Airways de patienter en attendant les livraisons de quadriréacteurs de facture américaine. Les Vanguard modifiés en avions-cargos civils étaient désignés Merchantman.

Le méconnu, et un peu oublié, Vickers Vanguard. Il est ici aux couleurs de la compagnie britannique BEA.

L’avionneur américain Lockheed fit les mêmes choix pour son L-188 Electra : adaptation au transport de fret civil et au marché militaire. Et sur ce dernier point c’est l’US Navy qui sauva l’avion puisqu’il servit de base à une des plus fameuses machines de patrouille maritime de l’Histoire : le P-3 Orion. En outre le L-188 Electra connut une petite carrière militaire à l’export, auprès de pays comme l’Argentine, la Bolivie, ou encore le Panama.
Il faut savoir que si fin 2021 quelques L-188 Electra civils volaient encore ça et là dans le monde, notamment en Alaska, il n’en était rien des Bristol Britannia et Vickers Vanguard. Tous deux ne sont plus désormais que des pièces de musée.

En Amérique du nord et en Europe occidentale, mais aussi dans plusieurs pays du reste du globe comme le Brésil ou le Japon les quadriréacteurs avaient fini de tuer l’aviation commerciale sur quadrimoteurs à turbopropulseurs dès les années 1963-1964. Mais alors qu’en était t-il de l’autre côté du Rideau de Fer ?
La situation y était bien différente.

En Union Soviétique, et plus largement dans les pays placés sous le joug de Moscou, l’économie et l’industrie répondaient à un modèle marxiste. Tout donc relevait du principe de planification, une règle faisant généralement fi de l’économie de marché existant dans le reste du monde. L’aviation civile commerciale n’y faisait pas exception. Surtout les avionneurs soviétiques ne répondirent pas immédiatement au Boeing Dash 80 américain.
Ils croyaient encore dans les avions de ligne turbopropulsés.

Le surprenant et très impressionnant Tupolev Tu-114 Cleat soviétique.

En fait la compagnie Aeroflot alignait en cette fin des années 1950 trois modèles de quadrimoteurs à turbopropulseurs, avec cependant deux seulement capables de traverser l’Atlantique nord : le surprenant et très impressionnant Tupolev Tu-114 Cleat et surtout le très réussi Ilyushin Il-18 Coot. L’Antonov An-10 Cat ne possédait pas un rayon d’action lui permettant de quitter l’Europe. En fait il réalisait surtout des vols intérieurs.
Aeroflot croyait alors dur comme fer au Tu-114 Cleat, directement dérivé du bombardier stratégique Tu-95 Bear. Pour autant comme tous les avions soviétiques de son temps cet avion de ligne était bruyant, polluant, et totalement inconfortable. Mais il était rapide, bien plus que n’importe quel autre avion de ligne turbopropulsé. Sa vitesse de croisière de 770 kilomètres heures lui permettait de presque rivaliser avec les jets quadriréacteurs.

La compagnie étatique soviétique dut attendre le tout début des années 1970 et la généralisation du quadriréacteur l’Ilyushin Il-62 Classic pour abandonner progressivement ses dessertes transocéaniques sur avions à turbopropulsion. Il-18 Coot et Tu-114 Cleat rejoignirent les lignes intérieures.

À l’instar d’Aeroflot la compagnie roumaine Tarom fit un usage intensif de l’Ilyushin Il-18 Coot comme long-courrier.

Véritable épiphénomène dans l’histoire de l’aviation civile les quadrimoteurs transocéaniques à turbopropulseurs furent pourtant le symbole d’une période durant laquelle le carburant ne coûtait pas grand-chose et où les règles environnementales n’existaient pas. Aujourd’hui de tels avions seraient heureusement impensables.
Sans compter qu’ils étaient généralement très inconfortables, à l’exception notable du Vickers Vanguard britannique.


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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