Située sur la Côte d’émeraude baignée par le golfe du Mexique, la ville de Pensacola fut la dernière escale de notre grande virée en Floride l’hiver dernier. Sur cette côte, on se prélasse sur les plus belles plages de la Floride constituées de sable blanc et fin comme du sucre en poudre. Berceau de l’aviation navale américaine, Pensacola c’est aussi la plus grande base aéronavale des États-Unis. L’origine du Naval Air Station Pensacola remonte à 1914 avec l’arrivée des premiers aviateurs. Lors de l’entrée en guerre des États-Unis en 1917, Pensacola n’alignait que 38 pilotes et 54 avions. À la fin du conflit, un millier de nouveaux pilotes y avaient reçu leurs ailes. Durant la Seconde Guerre mondiale, NAS Pensacola connaîtra une deuxième expansion fulgurante permettant d’y former plus de 1000 cadets par mois. La formation accélérée sur avions à réaction durant les guerres de Corée et du Vietnam suivront.
Pensacola est toujours le passage obligé des futurs pilotes de l’US Navy, de l’US Marine Corps et de l’US Coast Guard. D’ailleurs, durant notre séjour dans cette région, nombre de Beechcraft T-6B Texan II et de McDonnell Douglas T-45C Goshawk aux couleurs caractéristiques des avions école de l’US Navy ont survolé nos têtes.
J’espérais bien apercevoir aussi des anges, car Pensacola est la base d’attache des Blue Angels, la célèbre formation de voltige de l’US Navy. Pas de chance car les anges bleus font relâche quelques mois durant l’hiver. Aussi, cette base abrite un musée d’aviation qui vaut largement le détour dit-on. Tout comme le Kennedy Space Centre au Cap Canaveral, une visite du National Naval Aviation Museum était donc un incontournable durant mon séjour en Floride.
L’entrée du musée est gardée par un menaçant Grumman F-14 Tomcat, l’un des légendaires félins de l’aéronavale américaine. À l’intérieur, nous sommes accueillis par un étrange aéronef d’une toute autre époque. Il s’agit d’une réplique du premier avion acquis par l’US Navy en 1911, soit un Curtiss A-1 Triad.
Face au kiosque d’accueil on peut examiner une douzaine de maquettes de porte-avions permettant d’apprécier l’évolution de ces navires de guerre particuliers depuis le tout premier, soit l’USS Langley CV-1. Ce musée, dont l’origine remonte à 1963, se targue aujourd’hui d’exposer plus de 150 aéronefs, sans compter une soixantaine d’appareils additionnels entreposés et en attente de restauration. Mon reportage se limitera donc forcément à mes coups de cœur et certaines curiosités ayant attiré mon attention.
Dès que l’on accède à la première grande salle consacrée aux débuts de l’aviation de l’US Navy, on a l’impression de découvrir une véritable caverne d’Ali Baba. L’appareil qui attire immédiatement le regard est le gigantesque hydravion quadrimoteur Curtiss NC-4. En mai 1919, cet appareil conçu pour de longues patrouilles maritimes effectua le premier vol transatlantique entre l’Amérique du Nord et l’Europe. Complété en 19 jours, ce vol historique comprenait des escales au Massachusetts, en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve et aux Açores avant son arrivée triomphale à Lisbonne au Portugal.
Dans cette section du musée, sont également exposés des avions des époques de la Première Guerre mondiale et de l’entre-deux guerres. Avec ses imposants flotteurs en bois, un Thomas-Morse S-4B/C Scout suscite ma curiosité. On apprend que David Ingalls a acquis ses ailes à bord de ce type d’avion école avant de devenir le seul as de l’US Navy durant la Grande Guerre en volant au sein de la Royal Air Force.
Autre biplan presque inconnu aujourd’hui, un Consolidated/Fleet N2Y attire mon attention en voyant le nom USS Akron sur ses flancs. L’USS Akron était l’un des dirigeables porte-avions de l’US Navy emportant à leur bord des avions de chasse et de reconnaissance Curtiss F9C Sparrowhawk. Une demi-douzaine d’appareils N2Y furent acquis par l’US Navy afin d’assurer la formation et l’entrainement des pilotes à l’arrimage en vol à ces impressionnants dirigeables ainsi que pour assurer le service de navette entre ciel et terre.
Dans cette section du musée on peut également admirer une série d’avions embarqués qui illustrent l’évolution rapide de l’aéronavale américaine durant l’entre-deux guerres. Magnifiquement restauré et en parfait état de vol, le biplan Grumman FF-1 fut le premier d’une longue série d’avions révolutionnaires spécifiquement développé pour l’US Navy par cet avionneur. L’appareil exposé est en fait un G-23 Goblin fabriquée sous licence par l’entreprise Canadian Car & Foundry à Thunder Bay au Canada et qui fut retrouvé tout à fait par hasard au Nicaragua au début des années 1960.
Entré en service en 1936, le Grumman F3F fut le dernier avion de chasse biplan utilisé par l’US Navy. Bien que plus maniable que les avions de chasse monoplan qui suivront, sa vitesse moindre scella son sort. Il engendra toutefois le premier félin de l’aéronavale, soit le Wildcat. Un des trois seuls F3F ayant survécus à ce jour, l’appareil exposé fut repêché en 1988 au large de San Diego en Californie où il s’était abîmé en 1940.
Avion de chasse de première ligne de l’US Navy lors de l’entrée en guerre des États-Unis en décembre 1941, le monoplan Grumman F4F Wildcat devint le premier à tenir tête au redoutable Mitsubishi A6M Zero japonais dont un exemplaire est également exhibé au musée. Un des F4F Wildcat exposés est dans l’état dans lequel il fut repêché en 1991 au fond du lac Michigan, rappelant l’histoire méconnue des porte-avions d’eau douce. Un autre chasseur nippon moins connu, le Kawanishi N1K2 Shiden-Kai (George), fait également partie de la collection du musée.
Une autre section du musée est consacrée à la Deuxième Guerre mondiale où l’on retrouve aussi bien des avions légendaires que des appareils pratiquement oubliés tel le malheureux Brewster SB2A Buccaneer. Celui-ci semble survoler un simulacre du pont d’envol de l’USS Cabot, un porte-avions léger ayant combattu durant la guerre du Pacifique. Aussi, des reconstitutions de divers espaces internes tentent de donner un aperçu de la vie à bord de de ces navires particuliers. Bien que l’effet de ces mises en scène soit intéressant, rien de comparable à la visite de l’USS Midway Museum effectuée il y a déjà quelques années en Californie.
Le musée de Pensacola offre toutefois une plus grande diversité d’aéronefs. On a pratiquement le tournis à admirer les divers oiseaux de guerre américains qui ont marqué le conflit du Pacifique. À l’histoire de ces avions, celle de certains pilotes est également soulignée. Principal bombardier-torpilleur de l’US Navy, un Grumman TBF Avenger aux ailes repliées porte les couleurs d’un des appareils pilotés par George H. W. Bush. En 1943, il devint le plus jeune pilote de l’aéronavale américaine. Ayant effectué une soixantaine de missions de combat, durant lesquelles son avion fut abattu quatre fois, il survécut miraculeusement au conflit pour devenir le 41ème président des États-Unis en 1989.
Côte à côte, deux autres avions de légende parmi mes préférés sont exposés sur le «pont d’envol». Les redoutables Grumman F6F Hellcat et Vought F4U Corsair donneront une nette supériorité aérienne aux Américains face à leurs adversaires nippons.
Comment ne pas parler aussi d’un hydravion légendaire qui a largement contribué aux succès de l’US Navy durant le conflit et sauvé la vie de nombreux aviateurs et marins naufragés. Le musée expose deux exemplaires du Consolidated PBY Catalina, dont un qui permet de voir son équipage au travail et au repos.
Dans un autre coin, on est impressionnés par un autre hydravion célèbre de l’avionneur Consolidated , soit le quadrimoteur PB2Y Coronado. Le musée tente depuis plusieurs années de mettre la main sur un exemplaire d’un autre géant des mers, soit le Martin JRM Mars dont les deux seuls survivants appartiennent au groupe canadien Coulson. Il faudrait sans doute agrandir le musée pour accueillir ce géant, tant les aires d’exposition débordent déjà.
Enfin, un appareil méconnu attire mon regard, soit le TDR-1 Edna III. Peu savent que l’US Navy déploya des drones d’assaut durant le conflit du Pacifique. Développé par l’entreprise Interstate Aircraft en coopération avec Radio Corporation of America (RCA), cet aéronef particulier pouvait accueillir un pilote qui l’amenait près du théâtre des opérations. Grâce à un système de radio-contrôle et d’une caméra qui relayait une image à l’équipage d’avions Grumman TBM-1C Avenger spécialement aménagés à cette fin, le drone bourré d’explosifs était téléguidé sur des cibles bien défendues. Une cinquantaine de ces drones furent déployés en 1944 aux îles Russell dans le Pacifique pour évaluation tactique. Bien que 31 de ces drones attaquèrent avec succès leurs cibles, la supériorité aérienne des Américains à ce stade du conflit était telle, qu’il n’y eu pas de suites. Sur les 2 000 appareils initialement commandés, moins de 200 furent assemblés dont certains furent transformés en avions civils après-guerre. Le TDR-1 exposé à Pensacola est le dernier exemplaire existant.
En plus des avions utilisés durant la guerre, on en apprend aussi beaucoup sur l’évolution des moteurs. Autre fait inusité que j’ignorais, le moteur en étoile de 9 cylindres Wright R-975 Whirlwind qui motorisa nombre d’avions de transport tels le Ford Trimotor, l’élégant biplan Beechcraft Staggerwing et même certains avions de brousse, fut également largement utilisé pour propulser des véhicules blindés. En fait, plus de 50 000 furent assemblés pour notamment motoriser les célèbres chars d’assaut M4 Shermann et M18 Hellcat faisant face aux panzers sur le front européen. Ce polyvalent moteur se retrouva même à bord de l’hélicoptère Piasecki HUP Retriever.
Également exposés au musée, nombre d’avions impressionnants ne connaîtront pas le feu de la Seconde Guerre mondiale. Le magnifique chasseur Grumman F8F Bearcat et l’impressionnant avion d’attaque Martin AM Mauler en sont des exemples. Plus puissant moteur à pistons jamais construit, le moteur en étoile de 28 cylindres Pratt & Whitney R-4360 Wasp Major propulsait le Mauler.
L’avènement des avions à réaction sonna toutefois le glas des avions de chasse et d’assaut à hélices à l’exception du Douglas A-1 Skyraider qui poursuivit sa carrière jusqu’à la fin des années 1960 en s’illustrant lors des guerres de Corée et du Viêt Nam.
Dans une autre section du musée, une impressionnante collection d’avions à réaction retrace l’évolution de cette nouvelle page de l’aéronavale. Le tout premier «jet» de l’US Navy fut le McDonnell F2H Banshee également utilisé par l’aéronavale canadienne.
Le remarquable McDonnell-Douglas A-4 Skyhawk fut sans doute l’un des plus célèbres avions d’attaque de l’US Navy et des Marines. On retrouve plusieurs exemplaires de cet avion compact, mais redoutable, conservés au musée dont quatre appareils aux couleurs des Blue Angels suspendus en formation dans un atrium.
La faim me tiraillant, j’ai décidé d’aller casser la croûte au Cubi Bar Café avant de poursuivre mon exploration. C’est non seulement un sympathique resto où l’on peut se désaltérer avec une bonne bière fraîche tout en mangeant de classiques plats de «fast food» américain, c’est également une pièce de musée car c’est une reconstitution du décor du club des officiers du NAS Cubi Point aux Philippines. Cet endroit était réputé comme le repère préféré des aviateurs qui venaient s’y détendre après des missions de combat durant la guerre du Viêt Nam.
Rassasié et en sortant du bâtiment principal du musée pour se diriger vers le Hangar Bay One où nous attendent d’autres aéronefs, on tombe sur un bombardier léger North American B-25 Mitchell. On pourrait bien se demander pourquoi un tel avion dans un musée consacré à l’aéronavale ? Mais on comprend vite qu’il est aux couleurs des seize bombardiers de l’US Army Air Corps qui décollèrent du pont de l’USS Hornet le 18 avril 1942 lors du téméraire raid de Doolittle.
Dès l’entrée dans le Hangar Bay One, on est accueillis par un Marine (en fait un mannequin) au garde à vous aux côtés d’un hélicoptère aux couleurs du VH-3 Marine One, soit un Sikorsky H-3 Sea King modifié pour le transport du Président des États-Unis. Heureusement, le président Trump n’est pas sorti de l’appareil pour tenter de me serrer la main…
Un panorama hétéroclite d’aéronefs des Marines, de la Navy et de la Garde Côtière américaine s’offre à nous. Deux explorateurs des pôles aux couleurs de l’US Navy attirent mon regard. Le Douglas R4D-5L Skytrain «Que Sera Sera», fut le premier avion à se poser au pôle Sud le 31 octobre 1956. L’avion de brousse De Havilland Canada DHC-3 Otter a également roulé sa bosse tant en Arctique qu’en Antarctique. C’est l’un des rares aéronefs étrangers exposés dans ce musée dont la collection est presque exclusivement composée d’appareils américains.
Imposant par sa taille, un bimoteur Martin SP-5 Marlin marque la fin de la longue lignée des hydravions de l’aéronavale américaine. Surtout utilisé pour la lutte anti-sous-marine, le Marlin effectua également des patrouilles côtières lors de la guerre du Viêt Nam. L’exemplaire exposé fut le dernier hydravion à voler aux couleurs de l’US Navy.
Terminons par un des premiers hélicoptères anges gardiens à remplir la mission «Pedro» à bord des porte-avions de l’US Navy, soit le Sikorsky HO3S. L’appareil exposé avec sa livrée jaune de l’US Coast Guard a fière allure malgré son âge. Bien d’autres aéronefs mériteraient quelques lignes, mais je laisserai aux futurs visiteurs le plaisir de les découvrir. Aussi, pour ceux qui ont le temps, le musée offre des visionnements de films dans un cinéma Imax et une élégante bibliothèque qui conserve notamment une collection de plus de 350 000 photographies. Visiblement ce musée ne souffre pas de sous-financement malgré le fait que l’entrée y soit gratuite. On comprend mieux lorsque l’on sait que ce musée est l’un de ceux relevant directement du Naval History and Heritage Command de la marine américaine. Malgré cela, nombre de bénévoles, pour la plupart d’anciens militaires, y œuvrent pour l’accueil des visiteurs et la restauration d’avions de collection.
Considéré comme l’un des plus beaux musées d’aviation, je peux témoigner que sa réputation n’est pas surfaite. Mon seul regret, est d’y avoir passé seulement une journée car il y a tant à voir. Pour les aérophiles, une visite à ce musée c’est véritablement être aux anges !
Avis de votre reporter
J’ai bien aimé :
- la grande diversité des aéronefs magnifiquement restaurés
- les mises en scènes soignées avec une foule d’objets d’époque
- la grande mezzanine permettant d’avoir une vue en plongée sur les appareils
- le sympathique Cubi Bar Café
J’ai moins apprécié :
- l’éclairage insuffisant dans certaines sections du musée
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