Quand l’Amérique surestimait (légèrement) le Reggiane Re.2001 Falco II.

En général les avions de chasse italiens de la Seconde Guerre mondiale ne sont pas reconnus par les historiens comme ayant particulièrement marqué leur époque, à quelques rares exceptions près cependant. Les monomoteurs construits par Reggiane à partir de son Re.2000 Falco en sont la démonstration flagrante tout comme le Fiat G.50 Freccia. Aussi quand en 1940 le Re.2001 Falco II fit son apparition il a curieusement été largement surclassé par les services du renseignement militaire américain. Une erreur dont se rendront compte les pilotes de l’US Army Air Force dès début 1942 quand ils arriveront en Afrique du Nord et en Méditerranée.

Tout d’abord rappelons que tant que l’Amérique n’était pas en guerre, donc tant que le Japon ne l’avait pas attaqué à Pearl Harbor au début du mois de décembre 1941 son renseignement militaire était encore assez balbutiant. L’OSS, l’Office of Strategic Service, n’avait pas encore été fondé et le gros de l’espionnage reposait encore sur le vieux CIP, le Corps of Intelligence Police, hérité de la Première Guerre mondiale. Les agents du CIP n’étaient pas réputés à cette époque pour la diligence de leurs investigations et la majorité de leurs données récoltées sur les forces de l’Axe l’avaient été via des relais avec leurs services homologues en France et en Grande Bretagne. Aussi quand la première s’effondra au printemps 1940 un gros canal de renseignement vînt se tarir immédiatement. Le CIP ne pouvait plus compter que sur les Britanniques, en gros le MI5 et le MI6.

Pour autant Washington DC entretenait encore de manière tout à fait officielle des relations diplomatiques avec Berlin, Rome, et Tokyo. Et justement à l’ambassade des États-Unis en Italie les diplomates envoyaient régulièrement des câbles autour des avancées militaires fascistes. En juin 1940 l’attaché militaire fit parvenir plusieurs d’entre eux autour du premier vol du Reggiane Re.2001 Falco II. L’homme n’était pas un aviateur il venait de l’US Navy, et n’y connaissait rien en aéronautique. Ainsi pour lui un avion aussi élégant que le Re.2001 était forcément un bon avion de combat. Et c’est en ce sens que ses câbles parvinrent au siège du CIP. Les espions américains demandèrent à leur collègue diplomate de réaliser des clichés de l’avion en question afin de garnir leurs dossiers sur lui. Et après plusieurs négociations l’attaché militaire en question se le fit présenter officiellement en janvier 1941. Il réussit à prendre ses photos en toute liberté, prétextant que son pays cherchait à acheter de nouveaux avions en Europe sans se limiter. Les Italiens étaient t-ils dupes ? Toujours est-il que l’homme a fait ses clichés et a pu les faire parvenir avec plusieurs notes offertes par les pilotes d’essais de la Regia Aeronautica et par les ingénieurs de Reggiane.

Quelques jours plus tard les agents fédéraux du Corps of Intelligence Police rédigèrent une synthèse de toutes les infos glanées aussi bien par leur attaché militaire que par leurs collègues britanniques. Ces derniers avaient un peu snobé le Reggiane Re.2001 Falco II comme d’ailleurs ils en avaient pris l’habitude avec tous les chasseurs italiens. Le CIP se basa donc principalement sur les travaux de leur diplomate à Rome. La note envoyée à l’US Army Air Force en juin 1941 l’annonçait comme équivalent aux dernières évolutions de l’époque du Supermarine Spitfire britannique. À un détail près : le Re.2001 Falco II n’était pas encore en service ! Son déploiement en unité avait pris du retard. Aussi quand en septembre 1941 les premiers arrivèrent dans les escadrilles de la Regia Aeronautica les Américains commencèrent à le regarder de plus près, d’autant que le MI6 les avait informé de l’élaboration chez Reggiane d’une nouvelle évolution du Re.2000 Falco appelé Re.2002 Ariete.

Des notes furent donc préparées et remisées au cas où l’Amérique entrerait en guerre contre l’Axe. Ce qui devait arriver arriva et celles-ci furent ressorties des armoires métalliques et envoyées aux escadrilles de l’US Army Air Force déployées en Europe. Malheureusement il avait été impossible de proposer des photos correctes du Re.2001 Falco II car les images prises par l’attaché militaire étaient de trop mauvaise qualité. Un dessinateur de l’US Department of War réalisa donc deux dessins techniques les plus fidèles possibles afin que les pilotes se fassent une idée claire de ce qu’ils allaient affronter. Aussi quand en janvier février 1942 les premiers pilotes de Curtiss P-40E/F Warhawk et de North American P-51B Mustang commencèrent à affronter les dits Re.2001 Falco II beaucoup comprirent l’erreur des agents du CIP. Non seulement le chasseur italien n’avait rien à voir avec le Spitfire mais en plus sa faible vitesse ascensionnelle en faisait une cible finalement assez facile. En fait il fallut réellement attendre le Re.2005 Sagittario construit en petite série pour avoir un chasseur Reggiane reprenant les qualités du mythique chasseur britannique. Celui-ci arriva trop tard.

Représentation « officielle » américaine du Re.2001 Falco II.

Dans les années 1990 deux universitaires américains émirent l’hypothèse que si les pilotes de l’US Army Air Force avaient pu abattre aussi aisément des Reggiane Re.2001 Falco II c’était aussi parce qu’ils forçaient leurs propres avions croyant avoir affaire à un super chasseur en face d’eux. En cela donc l’erreur du CIP avait été bénéfique aux pilotes de chasse américains.

Illustrations © National Museum of US Air Force.


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Arnaud
Passionné d'aviation tant civile que militaire depuis ma plus tendre enfance, j'essaye sans arrêt de me confronter à de nouveaux défis afin d'accroitre mes connaissances dans ce domaine. Grand amateur de coups de gueules, de bonnes bouffes, et de soirées entre amis.
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Commentaires

5 Responses

  1. La petite histoire à l’intérieur de la grande !
    J’ai beau être fana d’aviation depuis 50 ans, vous arrivez tous les jours à m’apprendre de nouvelles choses.
    Un grand merci.

  2. Effectivement JiF, cela doit représenter un gros travail de recherche (à moins de tomber sur les archives ou le bouquin idoine dès le départ), puis d’analyse et enfin de synthèse (en évitant le copier-coller).
    C’est ce qui rend ce site particulièrement intéressant : une info complémentaire voire décalée par rapport aux news officielles, les petites histoires au sein de la grande. Chapeau bas !

  3. Bonjour,
    J’ai appris cette facette de l’histoire du Re 2001 grâce à votre article… Bien qu’étant d’origine italienne et ayant lu « quelques » bouquins sur la Regia Aeronautica, je n’avais jamais entendu parler de cette note ! Merci pour cet article !

    Ciao ! 🙂

  4. Les avions italiens suivaient la même philosophie que les français, moteur peu puissants, maniabilité privilégiée, construction complexe, armement léger. Même philosophie pour les appareils japonais. Pour ces avions motorisés avec des moteurs en etoiles puis remotorises avec des moteurs en lignes plus puissants, c’est la structure qui ne suivait plus, tout comme pour le p36 qui devint le p40.

  5. Votre excellent article est symptomatique d’une Amérique qui sous-estimait déjà les capacités industrielles de l’Italie. Pourtant elle oubliait ainsi qu’elle avait rapporté en 1919 d’Europe des bombardiers Caproni qu’elle fit voler jusqu’à 1927. Merci monsieur Arnaud pour ce super sujet et pour tous les autres.

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